Philippe Labonne, PDG d’Africa Global Logistics : « L’Afrique est la nouvelle frontière du développement »

Labonne aborde

Aujourd’hui président du groupe réunifié et renommé Africa Global Logistics et à la tête du comité Afrique du Medef International, Philippe Labonne aborde désormais le tournant d’un secteur confronté à la concurrence et à des défis géopolitiques nombreux. Pour Jeune Afrique, il pose son regard sur l’actualité qui affecte de près ou de loin un secteur en pleine transformation.

Jeune Afrique : La mer Rouge est actuellement le théâtre de perturbations dans le trafic maritime. Les géants que sont MSC, Maersk et CMA CGM ont dû changer leurs itinéraires. Cela vous inquiète-t-il pour l’avenir ?

Philippe Labonne : Ces dernières années, nous avons bien compris que le monde était de plus en plus imprédictible. Nous avons eu le Covid, nous avons la guerre en Ukraine, nous avons également la situation au Moyen-Orient et ceci implique que la chaîne logistique s’adapte.

Nous avons su démontrer pendant la crise comment les entreprises logistiques, comme Africa Global Logistics, avaient réussi à continuer à alimenter le monde en vaccins. En ce qui concerne la mer Rouge, les compagnies maritimes passent maintenant par le cap de Bonne-Espérance. Le parcours est plus long, aller-retour, de 20 jours, et effectivement cela coûte plus d’argent aux compagnies maritimes et donc à la fin aux clients.

Pour un pays comme l’Egypte, qui tire l’essentiel de ses revenus du canal de Suez, le changement de route est un coup fatal. Quel est l’impact au niveau de votre activité locale ?

L’Égypte est un pays stratégique pour l’Afrique. C’est un pays qui est situé sur le bord de la mer Rouge et maîtrise le canal de Suez. Il y a beaucoup d’énergie, de grandes compétences et des terres arables. Sa situation géographique lui permet de servir la partie de la Corne de l’Afrique qui va jusqu’au Kenya, qui a des terres arables.

L’Égypte reprendra sa position géographique le moment venu. Je pense qu’aujourd’hui, il faut rester en Égypte, être patient, baisser la voilure si nécessaire et bien regarder aussi les atouts du pays et son potentiel dans l’émergence du continent africain.

À l’opposé, à l’ouest du continent, on retrouve la même situation d’imprévisibilité, voire d’insécurité au Sahel. Les entreprises européennes, et notamment françaises, y ont-elles encore leur place ?

En fait, ce sont des pays très jeunes, en train de se construire, qui traversent des crises. Effectivement, la situation politique a un impact sur le fonctionnement des affaires parce que certains acteurs se retirent. Mais ce n’est pas notre cas. Nous continuons de rester dans ces pays pour desservir notamment les acteurs du monde agro-industriel.

Nous avons parmi nos grands clients les producteurs de coton et nous assurons l’évacuation de la quasi-totalité de la campagne de coton du Burkina Faso et du Mali. Les gens continuent à travailler, à se nourrir. Il est important aussi que nos salariés continuent de pouvoir travailler.

Concrètement, pour un acteur du secteur privé, quel impact peuvent avoir les sanctions économiques sur vos activités ?

Dans ces cas-là, les acteurs réagissent avec une certaine inertie, notamment dans les commandes. Ensuite, les armateurs s’adaptent et commencent à ne plus effectuer de chargements pour le Niger.

Donc vous avez effectivement une activité qui baisse. Cela a été le cas du port du Bénin, c’est aussi le cas au Niger. Nous essayons alors de resserrer la voilure, tout en souhaitant rester dans le pays.

Nos activités au Bénin n’ont pas été affectées significativement, mais nous ressentons une baisse sensible dans les volumes du port de Cotonou. En ce qui concerne le Niger, la bonne nouvelle est que les États de la Cedeao ont décidé de lever les sanctions et le pays doit reprendre son chemin dans l’économie régionale.

Et en ce qui concerne le Mali ?

Nous sommes restés au Mali, où nous opérons plusieurs ports secs et sommes le logisticien des grandes compagnies cotonnières. Nous allons rester dans le pays. Je pense qu’il y a deux temps, celui de l’économie et celui du politique, et les acteurs économiques doivent comprendre qu’il faut laisser du temps aux politiques pour résoudre leur équation.

Ne craignez-vous pas le boycott ou le bannissement, en tant que groupe français filiale d’un groupe italo-suisse ?

Nous sommes présents au Sahel depuis des dizaines d’années. Nous y avons des clients qui comptent sur nous, et nous allons rester. Sur le continent, d’Est en Ouest, du Nord au Sud, les entreprises françaises sont extrêmement appréciées.

Les entreprises françaises ont cette spécificité d’être humanistes : l’homme est au cœur de tout et l’attention que nous portons aux communautés est très importante. Aujourd’hui, il n’est pas question de bannissement ou de retrait des acteurs français d’Afrique.

Que répondez-vous à ceux qui critiquent la France et qui disent qu’elle accapare, comme d’autres puissances, les matières premières ?

Je pense que le rôle de la France en Afrique est très honorable. Encore une fois, je ne suis pas un homme politique, et je vais laisser le temps aux politiques d’agir. Mais pour notre part, nous allons poursuivre nos investissements en Afrique et nous sommes convaincus que les acteurs économiques sur le continent ont leur rôle à jouer pour contribuer à sa prospérité, à créer de l’emploi pour les jeunes, à les former et à permettre à l’Afrique de développer son commerce intra-africain. Encore une fois, c’est une condition de la prospérité et de la paix.

Lorsque le climat des affaires est plus compliqué dans une région qu’une autre, n’avez-vous pas songé à reporter vos activités sur cette dernière ? En Afrique de l’Est par exemple ?

C’est la vision du groupe MSC : l’Afrique est une nouvelle frontière du développement. Aujourd’hui, le continent africain représente 3 % du commerce mondial. Et quand on sait que sa population représentera un quart de la population mondiale en 2050, on imagine le potentiel de développement de ce continent.

Il n’est pas question de faire un choix entre un pays et un autre. Bien entendu, comme je le disais, il faut s’adapter, être agile quand une situation sécuritaire ou politique entraîne une diminution des activités. En revanche, nous resterons en Afrique de l’Ouest et nous allons poursuivre nos développements dans les autres régions d’Afrique.

Lors d’un discours controversé sur les relations Afrique-France en février 2023, le président français Emmanuel Macron avait appelé à un réveil collectif des entreprises françaises en Afrique. En tant que représentant du patronat, comment réagissez-vous à ces propos ?

Il faut prendre les États africains au sérieux, il faut prendre les citoyens africains au sérieux, c’est ce que fait Africa Global Logistics et c’est pour cela que les États nous font confiance. Les entreprises françaises que je connais sont extrêmement respectueuses de leurs partenaires africains et jouissent d’une bonne image.

Ces entreprises emploient un demi-million de personnes en Afrique depuis que je suis à la tête du comité Afrique du Medef. Nous allons faire une cartographie de l’impact des entreprises françaises en Afrique pour démontrer comment celles-ci ont un impact positif sur l’économie africaine et contribuent à la prospérité, au développement des bonnes pratiques.

Mais surtout, ce à quoi fait référence le président Macron, c’est aux mauvais élèves ?

Ce que je dirais, c’est que je ne me reconnais pas et je ne nous reconnais pas dans les propos du président Macron.

Quelles sont vos priorités à la tête du comité Afrique du Medef International ?

D’abord, je pense qu’il faut donner la mesure de l’impact des entreprises françaises. Notre position au sein de Medef International est d’aider les entreprises françaises à se développer en Afrique, mais aussi de les aider à nouer des partenariats avec les acteurs africains, de contribuer à créer un écosystème vertueux de développement de supply chain locales en Afrique qui correspondent aujourd’hui à la priorité du continent.

Quelles sont vos relations avec les autres patronats en Afrique ?

Il y a 54 pays en Afrique, donc il y a 54 patronats africains. Je ne les connais pas tous, mais les relations sont bonnes et dès que nous le pouvons, nous organisons des missions conjointes. Prochainement, nous allons organiser avec le patronat du Maroc un forum d’affaires au mois de mai. Nous allons promouvoir les partenariats entre les entreprises françaises et marocaines pour contribuer au développement économique du Maroc.

Vous félicitez-vous du réchauffement des relations diplomatiques entre la France et le Maroc ?

Au Maroc, nous avons plus de 1 300 entreprises, 50 000 salariés, filiales de ces groupes français. C’est un pays important pour les entreprises françaises et c’est un pays important pour l’Afrique. Et il est primordial que les relations soient les meilleurs possibles.

L’un de vos crédos est l’africanisation des filiales de votre groupe. Cela se ressent-il au niveau des divers conseils d’administration ?

La très grande majorité de nos entreprises sont dirigées par des Africains. Il y a d’autres nationalités. Le patron de notre terminal à Tema est Palestinien, le patron de nos activités dans la région de Guinée et de Sierra Leone est Croate. Je vous donne deux exemples, mais la majorité de nos collaborateurs sont Africains. Clairement, la majorité de nos affaires en Afrique sont appelées à être dirigées par des Africains.

Un autre des sujets que vous défendez au Medef est la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). Est-ce un espoir pour le dirigeant français que vous êtes ?

Bien sûr, c’est un des axes de notre stratégie, ainsi qu’un des axes de la stratégie d’AGL, de contribuer au développement du commerce intra-africain. Celui-ci représente aujourd’hui, 20 % du commerce de l’Afrique, soit moins de 1 % du commerce mondial. La marge de progression est immense.

Le premier marché de l’Afrique et des États africains, cela doit être l’Afrique elle-même. C’est un sujet de priorité pour nous et dernièrement, nous étions en Éthiopie et avons rencontré le commissaire de l’Union africaine chargé de la Zlecaf pour mesurer l’état d’avancement du projet et lui présenter les compétences des entreprises françaises en matière de transport et de commerce.

C’est un sujet de priorité, mais force est de constater que cela patine depuis l’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange en 2021. Concrètement, en quoi le patronat français et son expérience avec l’Union européenne peuvent-ils aider ?

Les entreprises françaises peuvent apporter leur expertise mais elles ne peuvent pas apporter la volonté politique. Donc il appartient aux États africains de faire en sorte que la volonté politique s’applique. Nous ne pouvons que partager notre expérience en matière de gestion de corridor, de transfert des marchandises et de gestion de l’information le long des flux. Nous pouvons aussi sensibiliser, à notre échelle, sur la nécessité de fluidifier la circulation des marchandises et de montrer comment cela peut participer à la prospérité des économies et à la création d’emplois.

Pour finir sur un dernier sujet d’actualité récente, vous avez participé, en tant que sponsor avec AGL, à la dernière Coupe d’Afrique des nations (CAN) en Côte d’Ivoire. D’un point de vue économique, adosser l’image d’une entreprise à un événement comme celui-là est-il bénéfique ?

En fait, ce qu’on espère, c’est promouvoir l’image d’une Afrique qui gagne. J’ai été frappé de la cérémonie d’ouverture de la CAN, à laquelle j’ai assisté avec mon épouse, et qui était de grande qualité, avec des spectacles extrêmement bien organisés et un grand professionnalisme. C’est cette image de l’Afrique que nous voulons soutenir et c’est cette image de l’Afrique à laquelle nous souhaitons être associés.

Source : Jeune Afrique

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