Un ancien Premier ministre du Sénégal donne quelques conseils à Emmanuel Macron

Abdoul Mbaye

Monsieur Emmanuel Macron, Président de la République française, est manifestement soucieux de mieux comprendre pourquoi la jeunesse africaine rejette tout rapport privilégié avec la France. Il sait donc que cette relation, qui porte en devenir celle de la France et de l’Afrique francophone, est mal en point.

Il mérite conseils car en quête de réponses au pourquoi et se montre à la fois pionnier et maladroit lorsqu’il renonce au dialogue direct avec les chefs d’état des pays africains pour échanger en public avec des jeunes sélectionnés comme représentatifs de leurs jeunesses (Montpellier, octobre 2021). Pionnier et innovateur puisqu’il a eu le courage de sortir des sentiers battus. Maladroit car inviter sur le sol français des jeunes africains pour réfléchir à redessiner les relations entre la France et l’Afrique est contraire aux bons usages diplomatiques, froisse la dignité des dirigeants
africains et donc, de nouveau, celle de tous les Africains. Cette impression gênante aurait pu être évitée s’il s’était fait inviter, dans un contexte similaire, en terre africaine, par ceux qui furent ses interlocuteurs.

Trouvant récemment les responsables de ce désamour en Turquie, en Russie ou en Chine, il me semble s’engager dans de nouvelles maladresses ; non pas parce qu’il s’en prendrait à des États et à des peuples innocents de la destruction de la qualité des rapports franco-africains, mais parce que ce faisant, il avoue considérer les Africains comme populations influençables et capables de se vendre au premier venu sur la foi de fausses promesses.
Le premier conseil porte sur la nécessité d’une prise de conscience de l’étendue de la dégradation de la relation Afrique -France. Le constat du désamour est juste. Il est traduit par les réseaux sociaux (comme il le relève) et des slogans lancés lors de manifestations et repris sur des
pancartes et des tags. Principalement exprimé par la jeunesse experte dans l’utilisation des réseaux sociaux, il est toutefois essentiel de prendre conscience de son ampleur à travers l’ensemble des populations quelque soient les strates d’âge.

Le second est qu’il est temps de considérer que les Africains, jeunes et moins jeunes, et en particulier leurs leaders faiseurs d’opinion, savent lire le contenu des relations internationales ou en retenir les analyses livrées par les spécialistes de tout bord. Ces derniers peuvent être turcs, Russes
ou Chinois ; cependant ils sont essentiellement français ou francophones. Les faits et prises de position de l’État français et des Chefs d’états africains, dans la durée et sur l’actualité de l’état du monde, démontrent inlassablement que la France continue de considérer l’Afrique comme un objet
du maintien de sa propre influence à l’échelle de la planète. Or l’Afrique meurtrie par l’esclavage puis par la colonisation a d’abord besoin de voir sa dignité respectée et un retour de générosité à défaut de réparations.

Le troisième conseil découle du souci de la France de garder la main sur sa zone africaine d’influence ; elle est la principale dont elle dispose, aussi celle non contestée par son camp (l’Occident) mais courtisée par ces autres pays désignés fauteurs de divorce par elle. La recherche de
positions d’États en soutien de celle de la France, conduit cette dernière à entretenir les meilleures relations possibles avec les potentats africains. En le faisant, la France sacrifie les intérêts et droits des peuples d’Afrique. Ces derniers lui tournent alors le dos la tenant complice des responsables de leur souffrance.

Les amitiés et autres fraternités liant Présidents de la France et ceux de l’Afrique conduisent les premiers à ne jamais condamner la mal-gouvernance des seconds, leur confiscation et maltraitance de la démocratie, leur manipulation des Constitutions avec pour seul objectif l’allongement de leur durée au pouvoir, les instrumentalisations judiciaires pour neutraliser les opposants politiques, les nombreuses violations de droits de l’homme, leurs excès en dépenses de luxe et leur népotisme. Pendant que leurs peuples souffrent de chômage, de manque d’éducation et de services essentiels ; meurent de faim, de mauvaise prise en charge médicale, de désespoir en pirogues vers l’eldorado européen, … de balles réelles perdues lorsqu’en manifestations pacifiques ils souhaitent exprimer leur exaspération.

Les seconds narguent leurs peuples en allant chercher l’adoubement sur le perron de l’Élysée, affichant ainsi un soutien de la France dont ils espèrent retirer crainte de leurs peuples et de leurs opposants. Le conseil le plus important que je donnerais à Macron est le suivant : les populations africaines tiennent au respect de leur dignité. Cessez donc de soutenir ceux qui la martyrisent.

Condamnez leurs excès comme vous condamneriez ceux de la Russie, de la Chine ou d’autres pays. Cessez de considérer l’Afrique comme zone d’influence à préserver par des complicités avec leurs dirigeants choisis ou soutenus, mais faites en sorte qu’elle choisisse d’être aux côtés d’une grande
nation défenderesse des intérêts de ses peuples et principalement leurs droits à la liberté, la justice, au progrès et au développement. Même lorsque survient la nécessité d’en expulser un de vos sols dans le respect de vos lois, faites-le avec décence affichée, comme vous l’auriez fait avec un citoyen américain.

En matière de coopération, lorsque les Chinois, Russes ou Turcs effectuent des percées dans les économies africaines, retenez qu’elles peuvent être normales et conformes aux intérêts des populations africaines. Lorsqu’elles ont lieu sur la base de corruption, toujours possible notamment
avec les dirigeants impopulaires que vous soutenez, alors dénoncez-les, et vous serez mieux
entendus.

Libre à vous cependant d’introduire de la générosité dans votre nouvelle conception de votre coopération avec notre vieux Continent. Ce serait la plus belle des réponses à vos préoccupations. Je comprends cette générosité comme le souci de véritablement créer du développement et de la croissance profitables à nos économies respectives, plutôt que de demeurer dans une démarche trop visible et mal appréciée de conquête de marchés.

Je vous livre un premier exemple pour traduire ce que la générosité n’est pas : en décembre 2019, le Président français prend conscience de la nécessité de réformer le modèle de coopération liant son pays et ceux émettant le franc CFA en Afrique de l’Ouest ; il met fin au dépôt obligatoire d’une partie de leurs réserves dans les livres du Trésor français mais maintient le principe de « garantie illimitée » donnée à la monnaie africaine. Ce n’était pas de la générosité puisqu’il ne s’agit que d’un engagement de « facilité de crédit limité » à la fois en montant et dans le temps.

Cependant, en utilisant un terme dont le sens exact ne s’est jamais traduit en faits (sauf une fois sous la forme d’une facilité d’avance limitée dans le temps), il continue de heurter la conscience de cette jeunesse qui contestait l’infantilisation de notre banque centrale commune, mature, suffisamment expérimentée et compétente pour gérer seule la monnaie qu’elle émet, et qui a même été donneuse d’exemple à l’Europe et à sa zone Euro. Ce fut en définitive l’histoire d’un triste gâchis pourtant né de la juste appréciation d’une nécessité historique de refonder une certaine forme de coopération.

Un modèle nouveau de coopération, porteur de générosité tout en restant profitable à toutes les parties, peut venir de la démarche suivante : le financement et l’extraction de matières premières pour les exporter en l’état sont appréciés par les peuples comme un prolongement d’exploitation
coloniale ; à l’inverse, créer sur place les industries de transformation et les emplois associés relève de générosité économique, tant cette attitude est rare.

Ce modèle nouveau de coopération ne doit pas exclure le secteur privé, bien au contraire. Et lorsque la BNP cède sa participation dans sa filiale sénégalaise, un communiqué repris par les réseaux sociaux peut à juste titre défendre le fait comme une contribution de la France à l’émergence d’un nouveau champion sénégalais dans le secteur de la bancassurance (groupe SUNU du Sénégalais Pathé Dionne).

Car la jeunesse en réseaux sociaux adore aussi liker ces faits présentés comme sympathiques et flatteurs de dignité.
Alors la compétition avec Russes, Turcs et Chinois sera gagnante, et vous aurez aussi les cœurs avec vous tout en respectant notre liberté de choisir nos alliés et les Nations avec lesquelles commercer.

Abdoul Mbaye H76
Ancien Premier ministre du Sénégal
Ancien citoyen français

One thought on “Un ancien Premier ministre du Sénégal donne quelques conseils à Emmanuel Macron

  1. Excellente analyse Monsieur le premier ministre, cependant j’ai comme l’impression que le président Macron est pris au piège entre le désire de faire bouger le partenariat France- Afrique dans un sens positif. Mais la tradition paternaliste de la diplomatie française l’en n’empêche. Il faut qu’il se décide vite, parce que la jeunesse africaine est impatiente. La révolution numérique et les réseaux sociaux ont prouvé à la jeunesse que c’est le moment de jouer sa partition dans le concert mondial. Il n’est plus concevable de nourrir le monde entier, alors que nous même avions faim.

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