Qui succédera à Kezembou Marcel allias Tayo Marcel à la tête du groupement Bangou ?

Décédé la semaine dernière et immédiatement inhumé selon les traditions Bamiléké, Kezembou Marcel alias Tayo Marcel qui présidait aux destinées du groupement Bangou laisse derrière lui une situation des plus incertaines. Deux lignées s’opposent pour sa succession.

“Lah Ngniep ! Lah Ngniep!”, le cri de guerre et de rassemblement des ressortissants Bangou s’apprête à retentir sur les collines de ce grand groupement Bamiléké. Ce sera à la faveur des évènements que la nature vient d’imposer aux filles et fils de ce village. C’est en effet depuis vendredi 16 novembre 2018 qu’il est connu de tous que la “chefferie a brûlé” avec l’inhumation expresse et dans la pure tradition Bamiléké de Kezembou Marcel allias Tayo Marcel ci-devant chef supérieur de ce groupement. Le moins que l’on puisse dire est que l’homme défunt s’est trouvé à cause de son passé flou au centre d’une terrible bataille ces dernières années. Il a lutté du mieux qu’il a pu pour tenter de sauver un trône qu’il a hérité frauduleusement dans des conditions troubles. Une usurpation lourde à porter et pour beaucoup de ses proches, sa mort sonne même comme une délivrance pour un chef terriblement malmené ces dernières années et très mal aimé par les membres de son groupement.

Indépendance

L’histoire de ce grand groupement Bamiléké se met à bégayer en 1959. Le pays est à la veille de l’Indépendance. Partout dans le pays Bamiléké l’insécurité règne entre les partisans et les adversaires des nationalistes conduits par l’Union des Populations du Cameroun qui lutte pour le départ des colons. Leur message a une grande audience au sein des jeunes qui rêvent d’un grand dessein pour leur jeune pays. Sans préjudice de son statut de Fo’o, S.M. Kemayou Paul Bernard qui vient d’être porté à la tête du grand groupement Bangou prend fait et cause pour l’Upc. Il a 21 ans. Comme lui d’autres jeunes monarques Bamiléké ont embrassé le combat de l’Upc. On pense à l’inoxydable Fo’o de Bamendjou, Sa Majesté Sokoudjou Jean Rameau ou le chef supérieur Bandenkop, Feue Sa Majesté Feze Ngandjong Marcel. De très jeunes chefs modernes à l’époque qui luttent à gommer les privilèges liés à leurs rangs, puisqu’on les voit régulièrement jouer au football avec les jeunes de leur âge. C’est sur le terrain politique que leur vie va basculer. S.M. Sokoudjou Jean Rameau de Bamendjou va flirter avec la prison à Dschang. C’est finalement un meilleur sort. Les chefs de Bangou et de Bandenkop qui sont de la même génération vont connaître des épreuves plus tragiques. Mis sous la protection de Martin Singap, le chef de l’Armée de libération nationale du Kamerun (Alnk), les deux chefs sont exfiltrés de leurs groupements et conduits en exil où ils en profitent pour parfaire leurs humanités en Chine et dans les pays de l’Europe de l’Est et à la fin de leurs formations, tous deux sont installés en Guinée Conakry où des entreprises et projets de développement leur sont confiés. Dans leur pays d’origine, le Cameroun, l’Upc qu’ils avaient choisie a perdu la guerre et doit subir la dure loi des vainqueurs.

Destins croisés

A Conakry où ils sont réfugiés, les Fo’o Kemayou Paul Bernard et Feze Ngandjong Marcel ne peuvent que constater l’évolution des choses qui se passent maintenant sans eux. Il faudra attendre 1985 pour voir leur destin basculer à nouveau. 3 ans plus tôt, leur bourreau, le Président de la République, Ahmadou Ahidjo quitte le pouvoir. Son successeur constitutionnel, Paul Biya, profite d’un voyage à Paris pour appeler tous les exilés politiques et surtout ceux de l’Upc à revenir dans leur pays. Il annonce pour eux une amnistie. Dans son gouvernement, il y a un ministre originaire de Bandenkop, feu le ministre Kamgueu Daniel qui plaide particulièrement pour les chefs Bangou et Bandenkop. Paul Biya marque son accord pour leur retour. Alors qu’ils sont en train de faire leurs bagages pour retrouver le Cameroun, les choses ne se passent pas bien pour Sa Majesté Kemayou Paul Bernard qui succombe à la suite d’un empoisonnement à Conakry le 17 octobre 1985. Sa Majesté Feze Ngandjong Marcel de Bandenkop rentrera donc seul et grâce à son peuple, il retrouvera son trône moins de 4 ans plus tard, précisément le 26 mai 1989. Un parcours heureux qui donne des idées aux partisans de son ami et camarade Feue Sa Majesté Kemayou Paul Bernard. Ceux-ci décident alors d’organiser une cérémonie de son “inhumation” à Bangou le 11 mai 1995 au terme de laquelle ils entendent déloger l’usurpateur des lieux, c’est-à-dire Kezembou Marcel alias Tayo Marcel.

L’opération commando tourne court après que des gendarmes aux ordres de Kezembou Marcel alias Tayo Marcel sont dépêchés sur les lieux pour disperser la foule et procéder à des interpellations. En vérité, les choses ne peuvent pas se passer comme à Bandenkop, parce que les données sont plus complexes.
Outre l’entregent des filles et fils de Bandenkop de la haute administration à l’instar du ministre Kamgueu Daniel et le poids financier des riches industriels et commerçants conduits par Yimo Timothée, il se trouve aussi que à Bandenkop, les acteurs étaient les mêmes qu’au départ de 1959. En face de Sa Majesté Feze Ngandjong Marcel qui revient en 1985, il y a le chef régent S.M. Mwagni Michel qu’il trouve en poste. C’est plus facile à gérer. A Bangou la complexité vient du fait que, ici on n’a plus affaire à Sa Majesté Kemayou Paul Bernard lui même, mais à son héritier. Première complexité. Deuxième complexité, Kezembou Marcel alias Tayo Marcel qu’on veut déloger n’est pas le régent comme Mwagni Michel de Bandenkop. Il est le fils adoptif du régent Majesté Tayo Christophe décédé en 1979. Étant fils adoptif non-originaire de Bangou mais de Bamendjou comme le confirme son acte de naissance, il n’est jamais entré au La’akam et n’a jamais suivi une initiation de chef. Malgré cette forfaiture, sa fonction a été constatée par arrêté n° 48/A/Minat/Dot du 7 avril 1980 sous la pression des élites corrompues Bangou tel que Fandjo alors député. Bandenkop a retrouvé sa lignée normale comme Bangoulap dans le Ndé ou Baleveng dans la Menoua. L’occasion de dire que les troubles dans le pays Bamiléké n’ont pas été sans conséquence pour les dynasties régnantes. Avec le retour de la paix, les peuples se sont arrangés à restaurer la bonne lignée. Sauf à Bangou. Mais pour combien de temps ?

Sa Majesté Paul-Bernard KEMAYOU, 12ème Roi de Bangou, homme politique et résistant anticolonialiste camerounais

Un roi en sursis

Kezembou Marcel alias Tayo Marcel sauve donc son trône le 11 mai 1995, mais il n’aura plus jamais la paix. Il se sait en sursis et les occasions de sueurs froides se multiplient pour lui. Le peuple est plus divisé que jamais et tout sera bon pour le fragiliser. Avec le retour au pays du Pr. Nana Sinkam Charles qui était le “Nkuipou” donc l’adjoint du Roi Kemayou Paul Bernard, le combat s’amplifie et l’autorité de Kezembou Marcel alias Tayo Marcel est de plus en plus ébranlée.
Altruiste et investisseur social hors pair, Nana Sinkam Charles dont personne ne conteste la légitimité à Bangou occupe le champ social en lançant le concept des “Journée médicales de Bangou” où il gagne davantage les cœurs en survenant aux besoins des populations de base, le
tout sous le prisme du retour à l’orthodoxie coutumière et traditionnelle de la dynastie de “Lah Ngniep”. Marginalisé et isolé, Tayo Marcel règne mais ne contrôle plus grand monde dans son groupement. Il devient même un client assidu des prétoires du tribunal de Bafoussam où il est régulièrement poursuivi par ses administrés. Aujourd’hui, il est poursuivi pour destructions de biens; hier, c’était pour “profanation de corps et vol de cercueil”. Plus loin, il doit répondre des accusations de sorcellerie. L’un des chefs d’accusation qui a le plus intrigué est celui où sa filiation est même mise en doute. Certains de ses frères doutant même qu’il est le fils du régent feu S.M. Djomo Christophe qui a pris la place de feue Sa Majesté Kemayou Paul Bernard à son départ d’exil. Coupé de la légitimité traditionnelle, voici que Kezembou Marcel alias Tayo Marcel se lance dans la quête d’une reconnaissance républicaine sans toujours obtenir le succès escompté. En 2013, il dépose son dossier pour être conseiller municipal de la commune de Bangou. Feue Mme Mboutchouang Rosette, sous les conseils des fils Bangou, rejette les dossiers du chef comme s’il s’agissait d’un malpropre. On rit dans les chaumières et le chef doit ravaler sa honte en se consolant du fait que la belle mère du chef de l’Etat l’a empêché d’être conseiller municipal, mais, en retour, lui a filé entre les jambes une femme Beti pour meubler son harem. Reste que Kezembou Marcel alias Tayo Marcel essuiera un autre camouflet lors des obsèques de son élite. Il n’est pas invité à Mvogmeka et s’y rend quand même pour constater que des vigiles vont le bloquer à l’entrée de la résidence du chef de l’Etat. Des âmes charitables l’accueilleront dans un bar où il fera “son deuil”. Very chocking ! Cet homme qui a tout vu, tout manipulé, tout écrasé de sa vie a quitté la scène le vendredi 16 novembre 2018. Des sources introduites parlent même d’un suicide. La mort serait donc un repos et une délivrance pour lui. Laissant ainsi s’ouvrir une nouvelle page à écrire pour le peuple des “Ngniep !”

Avec Michel Eclador PEKOUA

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