Journaux du 22 mai 2018: La politique fait les choux gras de la presse camerounaise

Les journaux camerounais parus mardi, au lendemain d’une journée fériée et chômée sur toute l’étendue du territoire, se focalisent sur la célébration contrastée de la Fête de l’unité sur fond de crise anglophone, au cours de laquelle le président Paul Biya a sorti sa dernière limousine hors de prix, mais également sur l’appel des États-Unis au même chef de l’État à passer la main après 37 ans de règne.
«Fête nationale : 20-Mai sanglant dans les régions anglophones» ; «Fusillades et rapts en Anglophonie : un 20-Mai au son des armes» ; «Un 20-Mai sous des fortunes diverses dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest» ; «Troubles dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest: les séparatistes intensifient les enlèvements», titrent respectivement Le Jour, Le Popoli, The Guardian Post et The Sun.
La première publication citée fait état de 9 morts, tombés sous les balles des indépendantistes pour avoir enfreint le mot d’ordre de boycott par eux lancé, mais également d’un maire kidnappé.
En termes de «retombées» dans cette crise qui s’enlise, The Star, qui évoque un bilan encore plus lourd, qualifie mai 2018 de mois le plus sanglant depuis le début des violences dans cette partie du pays, en octobre 2016.
Ce fut en effet un week-end très agité là-bas, confirme Mutations alors que le satirique Le Popoli caricature un membre des forces de défense et de sécurité pourchassant un séparatiste, mais lui-même sous la menace d’une salve de balles ennemies.
Pour ce 20-Mai 2018, la célébration de la paix et du vivre-ensemble s’est faite sur fond de troubles, confirme La Voix du Centre : alors que ces valeurs étaient magnifiées dans le reste du pays, plusieurs attaques étaient perpétrées dans les régions anglophones avec de nombreux décès et blessés.
Et le moins que l’on puisse dire, renchérit The Guardian Post, c’est que le sang a coulé partout dans les régions anglophones, avec en prime une série d’enlèvements d’officiels accusés, par la résistance ambazonienne, de rouler pour le pouvoir de Yaoundé qu’elle veut bouter hors de son nouveau territoire.

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Pour crier leur dépit face à l’intensification des violences, le Front social démocratique (SDF) et le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), deux partis de l’opposition n’ont rien trouvé de mieux, rapporte The Sun, que de défiler, sous les yeux ébahis du président Biya au Boulevard du 20-Mai à Yaoundé, la capitale, soit les mains sur la tête, ou carrément mi-vêtus.
Mais le quotidien à capitaux publics Cameroon Tribune, sous le titre «20-Mai 2018 : le triomphe de l’unité», ne semble pas avoir vu les choses sous le même angle : la 46ème Fête nationale, célébrée dimanche dernier à travers le territoire national, aura été «l’occasion exceptionnelle d’une communion entre le président de la République, Paul Biya, l’armée et l’ensemble du peuple camerounais autour de la volonté de continuer à vivre ensemble et défendre l’indivisibilité du Cameroun».
Mais ce que InfoMatin a surtout vu, lors de la parade militaire et civile de Yaoundé, c’est «la voiture du président» qui «fait jaser» : une Range Rover Sentinel, version limousine, qui compte parmi les véhicules les plus cotés et les plus fiables de l’heure, présentée pour la première fois au public à l’occasion du Salon de l’automobile de Genève de février dernier et qu’utilisent déjà la chancelière Angela Merkel d’Allemagne, le président russe Vladimir Poutine et la reine Elisabeth d’Angleterre.
Ce véhicule fait polémique, constate également Émergence alors que Aurore Plus sort l’artillerie lourde pour évoquer «la voiture de la honte» : la dernière lubie mégalomaniaque XXL du Prince coûte la peau des fesses au contribuable, soit près d’un milliard FCFA.
Cette acquisition dispendieuse, se lâche le bihebdomadaire, intervient à l’heure où les grandes agglomérations du pays croulent sous les ordures, que l’eau et l’électricité sont des denrées rares, que la précarité est rampante, que les Camerounais, à qui on a promis la plus belle fête du football africain en 2019, c’est-à-dire dans un an, continuent de s’écarquiller les yeux face à l’ampleur de la tâche et des improvisations.
«Voici donc un pays pauvre et très endetté, sous perfusion de la communauté financière internationale, sous plan d’ajustement depuis fin juin 2017 et auquel le Fonds monétaire international (FMI) commande, entre autres, ‘’la réduction des risques budgétaires’’ et du ‘’recours à l’endettement’’», mais dont le monarque, qui prescrit la rigueur budgétaire à son gouvernement, ne se refuse rien lui-même.
«Le prestige du Cameroun est rehaussé : il n’y a pas de grand pays sans symboles forts ni démonstration de puissance», répond en écho InfoMatin, la même publication qui fait état d’un «complot des États-Unis contre Paul Biya», à la faveur d’un communiqué publié par l’ambassadeur US à Yaoundé, Peter Henry Barlerin, invitant le président de la République à «penser à son héritage et à la façon dont il veut se souvenir dans les livres d’histoire pour être lus par les générations à venir, et a proposé que George Washington et Nelson Mandela soient d’excellents modèles».
«Et que ce message ait été délivré sous cette forme, et surtout que son porteur ait tenu à ce que cela se sache par le plus grand nombre, apparaît suffisamment grave pour la suite des relatons entre les deux pays», analyse le quotidien à capitaux privés.
Selon InfoMatin, pour les États-Unis, Paul Biya est donc désormais disqualifié tant qu’il n’aura pas passé la main, une incitation à peine voilée en direction du peuple souverain du Cameroun, de se donner un nouveau cheval, l’interlocuteur que le pays de l’oncle Sam jugera «légitime».
Et Peter Henry Barlerin, on l’imagine, ne peut se permettre un tel dérapage sans l’aval de son administration aujourd’hui coiffée par un Donald Trump, qui ne semble faire que peu de cas du droit du peuple camerounais à se choisir les dirigeants à même de conduire son destin
Les États-Unis montrent la sortie à Paul Biya, écrit Aurore Plus : «Au travers de ce message, qui on l’imagine vient directement de Washington, le diplomate est venu signifier à son interlocuteur que l’heure était venue de passer le témoin. 37 ans de pouvoir, ça use en effet même les dirigeants les plus clairvoyants de la planète.»
«Donald Trump demande à Paul Biya de quitter le pouvoir», résume Émergence qui publie en outre la réaction musclée du ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Issa Tchiroma Bakary, précisant que le Cameroun, État souverain, ne saurait se soumettre au diktat d’une puissance étrangère.
Pour L’Indépendant, en procédant ainsi, les États-Unis ont en réalité déjà trouvé le bon cheval appelé à défendre leurs intérêts au Cameroun en lieu et place du chef de l’État sortant, et il n’a échappé à personne que ces pressions interviennent à quelques encablures de l’élection présidentielle prévue en octobre prochain.
Au-delà de demander à son interlocuteur de marquer l’histoire en quittant délibérément les affaires, l’ambassadeur US, tempère The Sun, a également condamné les atrocités commises par les séparatistes anglophones, non sans fustiger l’usage souvent immodéré de la puissance de feu par les forces de défense et de sécurité.

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