L??information judiciaire suit son cours dans le cadre de l??affaire de la gestion des frais de tva collectés de 2000 à 2004 par la direction des Impôts pour le compte du Crédit foncier du Cameroun. Quinze mois déjà que l??ancien ministre de l??Economie et des Finances fait l??aller-retour entre le quartier 12 de la prison de Kondengui, à Yaoundé, et le bureau
du juge Batoum, magistrat au Tgi du Mfoundi-Centre administratif, chargé de l??instruction de l??affaire de la gestion des frais de Tva collectés pour le compte du Crédit foncier du Cameroun par Direction des Impôts, du temps où Polycarpe Abah Abah y trônait. Pour mémoire, en vertu d??un protocole d??accord signé le 15 septembre 2000 entre ces deux administrations, les coûts administratifs générés par les opérations de recouvrement de la contribution au Crédit foncier devaient être supportés par la banque. Celle-ci s??engageait à supporter ces frais en versant à la Direction des impôts «une quote-part de 6% des sommes effectivement collectées et mises à la disposition du Crédit foncier».
L??ex-ministre est soupçonné de malversation dans la gestion de ces frais d??assiette et de recouvrement, logés dans le compte N° 01510800139 au Crédit foncier. Un compte qui a accueilli des centaines de millions dès son ouverture. A titre d??illustration, un pointage effectué entre novembre 2000 et mai 2004 fait ressortir des retraits de l??ordre de 1.268.351.000. Une partie de cet argent aurait pris une destination contraire à son affectation de départ. Notamment le paiement de certains prestataires dont la Sopecam, Air-France, Cami-Toyota et la Socada, pour des services n??ayant rien à voir avec l??imputation.
Autre fait reproché à Polycarpe Abah Abah, la distraction d??une partie des fonds collectés au nom du Cfc. Les experts commis par la justice ne se mettent pas d??accord sur le total des sommes collectées qui ne seraient pas arrivées à bon port. M. Nzié Nzié, le premier expert commis par la justice, aurait établi le trou à près de 6 milliards de Fcfa, sans toutefois établir la responsabilité personnelle de Abah Abah qui, de son côté affirmerait que, durant la période couverte par l??expertise, la Direction des Impots a crédité un compte du Cfc à la Bicec d??un montant équivalent. De la seconde expertise, menée par Bayoyi, il ressortirait que c??est plutôt le Cfc qui doit de l??argent à la Direction de Impôts. «Aucun de ces experts n??a imputé ni établi un modus operandi de détournement. Aucun n??a établi l??effectivité de la dissipation de l??argent, personne n??a établi que Abah Abah a touché cet argent », commente un parent de l??ex ministre, qui dit attendre impatiemment les résultats de la troisième expertise, que mène un collège d??experts conduit par Didier Parfait Onana.
Paradoxalement, c??est par les médias, qu??il arrose pourtant de publicité comme jamais aucun ministre auparavant, que les malheurs de l??ex grand argentier commencent. Le 09 février 2006, Le Front publie ??en exclusivité?? le ??hit parade des fonctionnaires milliardaires??. Aussitôt parue, la fameuse liste est reprise comme un talmud par une partie de la presse. Auparavant et au fil des éditions, la presse lui avait bâti progressivement une image de délinquant économique. La condamnation de son épouse à une peine pécuniaire dans le cadre de l??affaire Mounchipou contribue à amplifier la rumeur. Tout comme une vraie fausse affaire de faux timbres fiscaux, et une autre de confusion de chéquier qui a révélé le contenu gargantuesque d??un de ses comptes bancaires. Des procès intentés et gagnés contre la presse n??y font rien. Surtout que des chancelleries occidentales, ainsi que Paul Biya lui-même, en rajoutent une couche. Début mars 2006 en effet, alors que l??opération Epervier est lancée, le chef de l??Etat lui interdit de quitter le pays pour une mission à l??étranger. Les observateurs avertis préssentent de la fin de la messe. Mais Paul Biya le seul à actionner la machine judiciaire, n??a pas encore décidé de l??offrir en holocauste à l??opinion qui semble ne pas croire à sa campagne dite de lutte contre la corruption.
Enfin exclu du paradis ministériel le 7 septembre 2007, Abah Abah s??est-il laissé séduire par des idées schismatiques ?
Certains, dans le camp du Renouveau le pensent. Les services de renseignement disent avoir aperçu son ombre derrière et les émeutes de février dernier. Info ou intox? Peu importe à Paul Biya qui semble enfin tenir là, la preuve que les milliards de Fcfa attribués à Abah Abah sont destinés à lui arracher le pouvoir. La fièvre des émeutes de février n??est pas tombée que le rouleau compresseur se déroule, selon un enchaînement implacable:
18 mars 2008 : le Dgsn ordonne au commissaire divisionnaire Jacques Dili, directeur adjoint de la police de frontières, de procéder au retrait des passeports ordinaire et diplomatique de Abah Abah et de lui notifier l??interdiction de sortir de Yaoundé sans l??autorisation du Dgsn
20 mars 2008: en raison des informations persistance faisant état de ce que Abah Abah s??apprête à fuir le pays, le gouverneur du Centre, Koumpa Issa instruit le commandant de légion de gendarmerie, le délégué provincial de la sûreté nationale et le préfet de Mfoundi de renforcer les contrôles dans les onze entrées et sorties de Yaoundé
24 mars 2008: le préfet Joseph Beti Assomo, s??adressant à tous les commissaires centraux de Yaoundé et au chef d??antenne de la surveillance du territoire, demande de veiller à ce que les trois membres du gouvernement concernés soient suivis dans leurs mouvements, et surtout qu??il ne sortent pas de Yaoundé, sans l??autorisation du Dgsn
31 mars 2008 : à 6h20, la grille de l??imposante villa d??Odza, au lieu dit Koweit-city, dans la banlieue de Yaoundé, s??ouvre sur un officier du Gso. Il ressort 35 minutes plus tard aux côtés de Polycarpe Abah Abah, qui tient le volant d??une Peugeot 305 de couleur grise. Quinze mois déjà
Dieu, après Mamon
L??argent n??achète pas le salut. C??est la conclusion à laquelle convie la trajectoire de l??ex ministre de l??Economie et des finances, interné à la prison de Kondengui, converti à l??enseignement du catéchisme, après un séjour à la faculté de théologie de l??université protestant d??Afrique centrale à Yaoundé dès sa sortie du gouvernement.
Diplômé de l??Ecole nationale de l??administration et de la magistrature à la fin des années 70, il se retrouve très rapidement dans les allées du pouvoir. D??abord comme conseiller technique à la primature, dans les années 90, puis comme chargé de mission à la présidence de la République. Inspecteur des impôts, il préside une commission des réformes fiscales instituée par les pouvoirs publics. Il propose notamment le passage de la taxe sur le chiffre d??affaire à la taxe pour la valeur ajoutée. Proposition qui, visiblement, séduit Edouard Akame Mfoumou, le ministre d??Etat en charge de l??Economie et des Finances. Il le fait nommer à la direction des impôts en 1999.
A ce poste, il s??entoure d??une équipe de jeunes inspecteurs volontaires : Ngamo Hamani, Alfred Bagueka Assobo et Charles Tawamba, entre autres?? Il aura été le directeur qui a entrepris de rembourser des crédits Tva aux sociétés. Ses libéralités lui assurèrent une grande popularité auprès du personnel des Impôts, plus motivé, doté de moyens importants. Cette direction se transforme en mamelle nourricière de l??Etat, ravissant à la douane la première place en terme de contribution au budget de l??Etat. Promu ministre de l??Economie et des Finances en 2004, il conduit à terme les négociations en vue de l??atteinte du point d??achèvement de l??initiative Ppte.
Envers du décor, on retiendra que son règne fut caractérisé par un élargissement de l??assiette fiscale, étendue jusqu??aux «débrouillards» et une accentuation de la pression fiscale. C??était une exigence du Fmi et de la Bm. Quelques magnats des affaires se virent contraints de fermer boutique, ou de délocaliser à l??étranger, pour bénéficier d??un environnement plus bienveillant.
Après tant d??années consacrées au service de l??administration des finances, il envisage, à 53 ans, de consacrer sa vie à Dieu. Qui a dit que Dieu et Mamon étaient inconciliables?
Le Jour : Xavier Luc Deutchoua