Belle soirĂ©e, certes, mais pour qui exactement ? La cĂ©rĂ©monie du Ballon d’Or camerounais 2024 restera dans les mĂ©moires comme un Ă©vĂ©nement paradoxal oĂč les vĂ©ritables stars du football local ont Ă©tĂ© relĂ©guĂ©es au second plan, Ă©clipsĂ©es par une plĂ©thore d’invitĂ©s « prestigieux » sans lien direct avec le cuir rond national. Une mise en scĂšne qui soulĂšve de sĂ©rieuses questions sur la finalitĂ© mĂȘme de cette cĂ©lĂ©bration.
Un gala transformé en meeting politique et célébration personnelle
La critique d’Alain Denis Ikoul rĂ©sonne comme un coup de sifflet final dans un match truquĂ© : « J’ai eu le sentiment que ce qui Ă©tait supposĂ© ĂȘtre un moment de cĂ©lĂ©bration de l’excellence footballistique locale avait beaucoup plus l’air de la cĂ©lĂ©bration de l’anniversaire du PrĂ©sident de la FECAFOOT, et parfois d’un meeting politique. » Une observation cinglante qui met le doigt sur un malaise profond dans l’organisation de l’Ă©vĂ©nement.
Cette tendance Ă la personnalisation excessive des Ă©vĂ©nements sportifs camerounais n’est pas nouvelle, mais atteint ici un niveau prĂ©occupant. Les premiĂšres rangĂ©es, normalement rĂ©servĂ©es aux acteurs du football et aux laurĂ©ats, Ă©taient occupĂ©es par des personnalitĂ©s extĂ©rieures au milieu, transformant ce qui devait ĂȘtre une fĂȘte du football en un dĂ©filĂ© mondain dĂ©connectĂ© de la rĂ©alitĂ© sportive.
Les vrais héros du football camerounais relégués aux gradins
Le plus aberrant dans cette mise en scĂšne reste sans doute l’absence criante des lĂ©gendes du football camerounais et des dirigeants de clubs qui se battent quotidiennement pour maintenir le championnat Ă flot. « J’ai vu beaucoup de belles femmes et d’Ă©lĂ©gants hommes assis lĂ oĂč on aurait pu installer d’anciens joueurs de notre championnat (WomĂ©, Babanda, Njitap, Nouk Minka, Antoine Bell etc…), et les prĂ©sidents de clubs qui font d’Ă©normes sacrifices pour le football », dĂ©plore Ikoul.
Cette vision contrastĂ©e du Palais des CongrĂšs, oĂč une jeune artiste musicienne siĂ©geait en deuxiĂšme rangĂ©e tandis que les champions du soir Ă©taient « engluĂ©s loin derriĂšre », illustre parfaitement le dĂ©voiement d’une cĂ©rĂ©monie censĂ©e mettre en lumiĂšre le talent sportif.
Un modÚle international ignoré au profit du « bling-bling »
La comparaison avec les cĂ©rĂ©monies internationales rend le constat encore plus accablant. « Dans toutes les cĂ©rĂ©monies de rĂ©compense des sportifs au monde, les sportifs sont mis en avant. France Football, UNFP, FIFA The Best, CAF Awards et autres, les sportifs sont les plus mis en avant. » Cette rĂ©fĂ©rence aux standards internationaux souligne l’Ă©cart prĂ©occupant entre une cĂ©lĂ©bration authentique du mĂ©rite sportif et un spectacle de relations publiques.
Plus troublant encore, la rĂ©alisation tĂ©lĂ©visuelle a accentuĂ© ce dĂ©sĂ©quilibre en braquant obstinĂ©ment ses camĂ©ras sur les invitĂ©s « Bling-Bling » au dĂ©triment des laurĂ©ats. « On a presque jamais vu les laurĂ©ats Ă l’Ă©cran de TĂ©lĂ©vision, en dehors du moment oĂč ils Ă©taient invitĂ©s Ă aller recevoir leur trophĂ©e« , note avec amertume Ikoul, qualifiant cette approche de « faute professionnelle ».
MalgrĂ© ces critiques fondĂ©es, la cĂ©rĂ©monie n’a pas Ă©tĂ© dĂ©nuĂ©e de moments forts, notamment la consĂ©cration mĂ©ritĂ©e de Bosco Nchindo. Mais l’impression dominante reste celle d’une occasion manquĂ©e de vĂ©ritablement honorer ceux qui font vivre le football camerounais au quotidien, loin des paillettes et des discours convenus.
Pour que le Ballon d’Or camerounais gagne en crĂ©dibilitĂ© et remplisse sa mission de valorisation du talent local, une profonde remise en question de son organisation s’impose. Car comme le suggĂšre Alain Denis Ikoul, cĂ©lĂ©brer le football sans mettre les footballeurs au centre, c’est un peu comme jouer un match sans ballon.