Olivier Bile: « La pauvreté, le sous-emploi et les crises sociopolitiques sont des conséquences du Fcfa »

L’enseignant et homme politique, lors de la Conférence inaugurale du Mouvement pour l’émancipation et l’intégration monétaire de l’Afrique (MEIMA), le 11 juin, à Yaoundé, a expliqué que les principaux fléaux qui minent les pays africains pourraient être vaincus par la monnaie.

L’avenir le plus décisif de l’Afrique se joue ces dernières années devant nous. Le privilège de le vivre s’accompagne aussi d’un défi à la fois exaltant et angoissant. Jamais auparavant, la question de la monnaie n’avait à ce point cristallisé et mobilisé l’opinion publique. Des chefs d’Etats et de gouvernements, y compris non africains, des dirigeants politiques à divers niveaux, des diplomates, des universitaires, des chefs d’entreprises, des acteurs de la société civile, des organes médiatiques, les réseaux sociaux, des citoyens et activistes de tous bords se manifestent chaque jour dans ce débat sur la problématique du franc CFA et de la monnaie en Afrique. Assurément, la grande actualité de ce débat vient nous rappeler le caractère crucial, voire existentiel d’une superstructure monétaire digne de ce nom, pour des Etats aspirant à sortir du bourbier d’un sous-développement structurel et tenace. Elle nous révèle aussi à quel point la monnaie est, plus que jamais, au cœur des grands problèmes contemporains et comment, dans le cas de nos Etats de la zone franc, elle charrie des enjeux d’influence géopolitique et géoéconomique pas toujours en phase avec les légitimes aspirations à l’indispensable expansion économique dont ces Etats ont cruellement besoin. Assurément, elle n’est point l’unique facteur explicatif de nos misères, mais en constitue toutefois un des déterminants structurels majeurs.

Il est en effet loisible à quiconque de constater qu’une situation persistante et croissante de rareté généralisée et de pénuries diverses est le lot quotidien de l’ensemble de nos concitoyens dans nos Etats de la zone franc d’une manière globale. Cet environnement austéritaire, il faut le dire ici, est tributaire de nombreux facteurs, et singulièrement, des effets considérablement atrophiants de la mécanique du Franc CFA, symbole significatif, s’il en est, de la survivance du dispositif suranné du pacte colonial. Le déficit abyssal en matière de capacité de mobilisation de nos forces productives est en grande partie lié à ladite mécanique. Il en résulte une situation de pauvreté endémique en Afrique dont il me semble utile d’esquisser le tableau.

La pauvreté est souvent présentée comme la source des fléaux sociaux en Afrique. La banque mondiale nous apprend qu’en 2015, les pauvres vivaient, pour plus de la moitié, en Afrique subsaharienne, et pour plus de 85% en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud. Par suite de la réduction rapide de la pauvreté en Chine, les pauvres qui étaient concentrés en Asie de l’Est dans les années 1990, puis en Asie du sud en 2002, le sont depuis 2010 en Afrique subsaharienne où leur nombre total ne cesse d’augmenter. Sur les 27 pays les plus pauvres de la planète, 26 se trouvent en Afrique subsaharienne.

S’agissant des crises sociopolitiques, alors que la proportion des pauvres diminue à l’échelle mondiale, les observations indiquent que l’extrême pauvreté est de plus en plus souvent associée à des situations de fragilité institutionnelle et de conflit. En 2015, les personnes vivant dans un Etat fragile ou touché par un conflit se trouvaient majoritairement en Afrique (54%). En général, il existe une corrélation négative entre taux de pauvreté et solidité des institutions. Les pays qui affichent un taux de pauvreté élevé ont plus difficilement accès aux services financiers, le climat des affaires y est moins favorable, l’état de droit plus fragile, la corruption plus perceptible, la tendance et les velléités pour l’émigration plus élevés.

D’une manière générale, les principaux problèmes de l’Afrique actuelle se manifestent en effet sous les symptômes du sous-emploi massif, en particulier des jeunes, d’une pauvreté structurelle qui s’amplifie tous les jours malgré les divers efforts consentis, de velléités toujours plus grandes d’émigration vers l’occident avec toutes les conséquences connues en matière de crises migratoires, d’un exode rural croissant, de crises sociopolitiques et socioéconomiques interminables, etc. Le dénominateur commun à ce kaléidoscope de problèmes est incontestablement la Monnaie. Elle est la question la plus essentielle sur laquelle les attentions des Africains devraient être prioritairement mobilisées car il est mortel, comme on le voit dans nos pays, de confondre la source du mal avec les symptômes. La source des problèmes ne réside pas dans les nombreuses crises qui surgissent çà et là, qui ne sont que les diverses manifestations extérieures d’une pathologie bien plus profonde dont il faut prendre conscience. Il est urgent pour les Africains d’agir sur ce qui est essentiel, sur le cœur du mal: la monnaie!

La compréhension par les hommes en général et par les Africains en particulier du phénomène monétaire a été depuis longtemps compromise par un certain nombre de contrevérités. Ces dernières ont du reste contribué à entretenir des conceptions erronées ayant occasionné une véritable phobie des Africains à l’égard de la question monétaire. L’une des principales idées fausses prévalant dans cet imaginaire africain sur la monnaie est «qu’il est d’abord nécessaire de construire une économie suffisamment solide pour garantir et soutenir la monnaie à créer». Autrement dit, «un système de production robuste et consistant doit précéder la monnaie». Si on pouvait y arriver sans une monnaie créée et orientée à cet effet, pourquoi éprouverait-on le besoin de se défaire du F CFA? Combien de temps faudrait-il à une telle monnaie pour réaliser une si robuste économie lorsque l’on voit la situation globale des Etats de la zone franc 75 ans après la création de cet espace monétaire?

«Mais être convaincu ne suffit plus si l’Afrique veut minimiser les retombées d’une crise économique de moins en moins évitable en raison de la profondeur de ses causes. L’action est urgente… L’action en matière monétaire demande …non seulement que le responsable ait une idée claire et simple de ce qu’il fait, mais encore, et surtout, que cette idée soit bien comprise par ceux que l’action intéresse et sans l’adhésion de qui aucun objectif ne peut être atteint: les citoyens… Il convient que la monnaie cesse d’être l’affaire de quelques ‘technocrates’ au langage hermétique, souvent irresponsables devant les peuples. Phénomène social par essence, source de progrès des économies modernes… la monnaie devrait pouvoir être comprise par tous ceux que le fonctionnement du corps social intéresse, économistes ou pas».

Dieu bénisse l’Afrique !!!

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