Mouvement Ots : La grève ne s’essouffle pas, le gouvernement menace

OTS

Des enseignants continuent de bouder les cours à travers le pays, mais les évaluations et les épreuves d’éducation physique et sportive en cours ne permettent pas d’en réaliser l’ampleur.

Il est difficile en passant devant un établissement d’enseignement secondaire public depuis la rentrée du troisième trimestre 2021-2022, de soupçonner un quelconque mouvement d’humeur en cours au sein de ces établissements. Pourtant, le mouvement lancé au mois de février dernier par un collectif d’enseignants connu sous le nom d’Ots (On a trop supporté), est loin de connaître son essoufflement. « La grève se poursuit. C’est parce que le troisième trimestre n’existe presque pas que l’on ne s’en aperçoit pas. En outre, c’est parce que les programmes des élèves varient entre les épreuves d’éducation physique et sportive et les évaluations n° 5 qu’on n’en réalise pas du tout l’ampleur », nous a confié hier un censeur. Ce professeur des lycées d’enseignement général (Pleg) revient du lycée de la Cité des Palmiers, à Douala, lorsque nous abordons la situation avec lui. Il y a vu des collègues qui surveillaient deux salles de classe à la fois dans le cadre desdites évaluations.

Voilà une preuve parmi tant d’autres que le mouvement « Craie morte » a encore de beaux jours devant lui. L’autre preuve est la menace brandie il y a quelques jours par la ministre des Enseignements secondaires, Pauline Nalova Lyonga. Ce membre du gouvernement a exigé des patrons des établissements de cet ordre d’enseignement qu’ils lui fassent parvenir les listes et noms des personnels enseignants qui continuent de bouder les cours, ce alors même que le collectif Ots avait annoncé à la mi-avril dernier, la suspension provisoire du mot d’ordre de grève sur toute l’étendue du territoire, sans doute au regard de leur part de responsabilité. Car ces seigneurs de la craie ne voulant certainement pas voir planer le spectre d’une année blanche, s’étaient alors contentés des promesses et annonces faites en grandes pompes par le gouvernement.

100 millions pour la discipline

Ils promettaient pourtant de remettre ça si rien n’était fait pour trouver une issue favorable et des solutions durables à cette crise des blouses blanches, qui avait duré presque deux mois. Chose plutôt rare dans un pays où les mouvements sociaux sont souvent tués dans l’œuf grâce à des mécanismes pernicieuses mises en place par les pouvoirs publics. D’aucuns ont même redouté que les menaces proférées par la Minesec ne jettent l’huile sur le feu, dans un contexte de tensions sociales généralisées. Mais, selon un très Pleg que nous avons rencontré, il s’agit d’une menace à titre préventif : « Ce que madame Nalova veut faire, c’est d’éviter que le mouvement se répercute aux examens de fin d’année scolaire. Dès lors, il faut tuer dans l’œuf toute velléité de boycott. » Or, poursuit-il, le conseil de discipline exigé par la ministre se réunit dans les services du gouverneur aux frais du contribuable et émarge dans le budget du Minesec à hauteur de 10 millions de F CFA pour chaque région. Soit 100 millions pour les dix régions, « alors que le gouvernement ne parvient pas à satisfaire les revendications des enseignants », déplore notre source.

Dans leur mémorandum, le collectif Ots faisait savoir que plus de 25.000 enseignants sont en attente de complément salaire, 90.000 en attente de validation de leurs avancements. Le Collectif des enseignants indignés, créé cinq ans plus tôt, parlait, pour sa part, de 21 000 enseignants concernés par les intégrations, et donc en attente de compléments de salaires, pour une dette étatique évaluée à 56 milliards de F CFA sur ce chapitre. Pour ce qui est des avancements, les enseignants « indignés » parlaient de 98 000 dossiers en instance pour 95 milliards de dette, tandis que les partisans du mouvement « On a trop supporté » évoquaient le chiffre de 90 000 enseignants concernés par cette rubrique. « Plusieurs d’entre nous vont déjà à 07 ans sans complément de salaire vivant ainsi sous le poids de la misère », dénonçaient les adhérents d’Ots qui, par ailleurs, se disaient « fatigués de vivre dans la précarité et la pauvreté extrême ».

Mais la clé de voûte des revendications des enseignants demeure la signature de leur statut particulier élaboré depuis l’an 2000, et dont une copie revue et corrigée a été déposée cette année-même à la présidence de la République pour signature. De ce statut dépendra, en effet, la résolution de tous les autres problèmes posés par ces personnels de la fonction publique. Comme l’automatisation des avancements et des effets financiers aussi bien dans le secondaire que le primaire, ou encore le paiement des primes de logement dus aux personnels enseignants issus des six dernières promotions de l’Ecole normale supérieure (Ens) de Yaoundé. Une prime qui représente les 20% du salaire de base des enseignants. A côté de ces revendications, il y a la suppression du système du 1/3 érigé en norme depuis bientôt sept ans.

Statut particulier

Ce système est né en effet d’un autre mouvement d’humeur lancé en 2017 par le « Collectif des enseignants indignés », qui regroupait alors des jeunes enseignants nouvellement sortis de l’Ecole normale supérieure. « Il y a une vieille pratique qui veut que, quand on sort de l’école, on travaille sans salaire pendant au moins trois ans avant d’obtenir le rappel de ses salaires, explique un enseignant à Douala. Quand nos jeunes collègues ont manifesté en 2017 pour exiger que leurs salaires soient désormais payés dès le premier mois de service, le gouvernement a proposé, pour désactiver la bombe, de leur payer chaque mois les 2/3 de leur salaire. Le tiers restant n’était plus payé, et ils ont érigé ce fonctionnement en norme. »

Les manque à gagner dus aux enseignants du fait de la pratique du système du « un tiers » sont évalués à quelque 181 milliards de francs CFA sur une enveloppe globale de 31 milliards F CFA alloué à l’éducation dans la loi de finances 2022, d’après le mémorandum publié sur les réseaux sociaux par les planificateurs de l’opération « Craie morte » et du mouvement « On a trop supporté », qui s’est voulu acéphale à ses tout débuts, avant de voir émerger progressivement des porte-parole. Sur « très hautes instructions du Chef de l’Etat », le gouvernement a promis d’éponger progressivement cette dette, ce qui était loin de rassurer ces fonctionnaires. Le Jour a appris que le ministère de la Fonction publique et de la Réforme administrative procède depuis quelque temps à l’immatriculation systématique des élèves enseignants de l’Ens en application des hautes instructions. Tout comme le « un tiers » et la prime de logement ont été payés aux ayant-droit. Sans que les rappels ne suivent pour autant. Restent le statut particulier et les rappels des 181 milliards. Là est le nerf de la guerre, manifestement.

Théodore Tchopa / 237online.com

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