18 janvier 1996-18 janvier 2016 – 20 ans d’une Constitution trahie au Cameroun

L’histoire constitutionnelle du Cameroun dénombre à ce jour une douzaine de modifications de la loi fondamentale.
Et la dernière en date, entérinée le 14 avril 2008, n’est peut-être pas la dernière de l’ère Paul Biya si l’on en croit les oracles politiques qui, prophétisent l’avènement d’une nouvelle réforme constitutionnelle pour instaurer le poste de vice-président de la République. Dans quel intérêt pour le pays ? Régler la question de la vacance à la tête de l’Etat, rétorquent certains dans le sérail. Un problème qui est pourtant résolu dans la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 qui dispose à l’article 6, alinéa 4 (a) que « l’intérim du président de la République est exercé de plein droit, jusqu’à l’élection du nouveau président de la République par le président du Sénat. Et si ce dernier, est à son tour empêché, par son suppléant suivant l’ordre protocolaire ».
Un faux problème en somme pour tenter de détourner l’attention de la seule et vraie préoccupation qui vaille : la mise en œuvre effective et totale des dispositions prévues par une loi fondamentale objet de violations et manipulations à des fins politiciennes. Mutations profite de la célébration des 20 ans de cette Constitution pour faire le point sur ce sujet ô combien important.

Les faits
Loi 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin 1972. Article 67, alinéa 1 : « les nouvelles instituions de la République prévues par la présente Constitution seront progressivement mises en place ». 20 ans plus tard, les Camerounais attendent toujours l’avènement des régions – au sens de la loi fondamentale –, la mise en place de la Haute Cour de justice et du Conseil constitutionnel. Ont-ils été dupés ? Rien n’est moins sûr. Pour certains, le ver était dans le fruit. Puisque les germes de cet aspect de la trahison consommée de la loi fondamentale se trouvent précisément dans cette formule aussi imprécise que vicieuse. C’est d’ailleurs sur cette ligne de pensée que se situe le socio politiste Claude Abé qui observe que «  le terme progressivement n’est pas juridique. Il procède d’une manipulation voulue de la langue pour ne pas s’obliger. C’est l’art des régimes autoritaires de jouer avec les mots pour neutraliser l’ensemble du dispositif mis en place ». Pour cet universitaire, « progressivement peut être dans 300 ans. Le droit a vocation à réguler les choses de manière à éviter justement l’arbitraire. Or, c’est l’institutionnalisation de l’arbitraire qui devient la règle plutôt que l’exception ». Difficile de contredire cet observateur averti de la vie publique camerounaise, surtout si l’on prend en compte le contenu de l’exposé des motifs du projet de loi modifiant  et complétant certaines dispositions de la loi citée plus haut. Ce texte déposé le 04 avril 2008 sur la table des députés convoqués en session ordinaire 23 jours plus tôt, indique que « dans son application, la loi fondamentale de 1996 qui a été conçue et adoptée dans un contexte de sortie de crise assez particulier, a très tôt dégagé quelques insuffisances. Le présent projet de loi tend à corriger ces insuffisances à travers la modification des articles 6, 14, 15, 51, 53 et 67(6) ». Curieusement, comme on sait, le fameux alinéa premier ne subira aucune retouche en dépit des réserves évoquées. Sans doute parce que les vrais ressorts et enjeux de cette modification constitutionnelle qui consacrera d’autres actes de trahisons de la loi fondamentale sont ailleurs. Le premier qui est la partie la plus visible de l’iceberg, est la levée du verrou de la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux.

Tripartite
Un principe sacralisé par la conférence tripartite qui s’est tenue du 30 octobre au 13 novembre 1991. Faut-il rappeler que ce conclave républicain présidé par l’ancien Premier ministre Sadou Hayatou et qui a réuni plusieurs centaines de personnalités représentatives du pays – dont Nicole Claire Ndoko et Louis Tobie Mbida, respectivement porte-voix de la société civile et des partis politiques légalisés – était le socle consensuel sur lequel a été forgé cette Constitution ? Pour justifier ce viol constitutionnel, les ingénieurs politiques du régime précisent dans l’exposé de motif du projet de loi en question que « cette rééligibilité du président de la République sans limitation du nombre des mandats participe : (…) de la continuité de la tradition constitutionnelle de notre pays dont aucune des Constitutions successives depuis 1960 ne contenait des dispositions relatives à la limitation du nombre de mandats présidentiels ». Soit. Le septennat qui ne fait pas non plus partie de notre tradition constitutionnelle ne sera étonnement pas supprimé, au profit du quinquennat bien ancré dans nos mœurs constitutionnelles.
L’autre grand intérêt de la manœuvre de 2008, c’est de s’assurer que dans la démocratie made in renouveau, le pouvoir exécutif arrête tous les pouvoirs sans que l’inverse ne soit possible. La preuve ? La réforme constitutionnelle de 2008 ajoute à l’article 15, alinéa 4 une locution pour le moins suspecte. « En cas de crise grave ou lorsque les circonstances l’exigent, dit le texte, le président de la République peut, après consultation du président du Conseil constitutionnel et des bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat, demander à l’Assemblée nationale de décider par une loi de proroger ou d’abréger son mandat ». Auteur d’un ouvrage de référence intitulé « la Constitution de la République du Cameroun », l’expert en droit public Alain Didier Olinga notera que l’expression « lorsque les circonstances l’exigent », est « vague » et moins précise qu’« en cas de crise grave » qui a l’avantage de traduire une situation plus objectivement appréciable par tous.

Conseil constitutionnel
Pour Claude Abé, la trahison est d’autant plus évidente qu’ « on est en face d’une technique qui consiste à entretenir le flou et l’imprécision quant au contenu des lois dans l’optique de laisser la possibilité aux gouvernants, le cas échéant, de faire prévaloir leurs intérêts plutôt que celui du peuple ». Et le peuple justement ne sera pas davantage ménagé. Il assistera dans le même temps et aux premières loges, à un autre acte de viol de sa Constitution. La victime cette fois se nomme Conseil constitutionnel. L’article 51 alinéa 1 du projet de loi susmentionné disposait : « le Conseil Constitutionnel comprend onze (11) membres désignés pour un mandat de six (6) ans non renouvelable ». Dans la mouture promulguée, le terme « non renouvelable » est remplacé par « éventuellement renouvelable ». Ce qui fait dire au politologue Mathias Eric Owona Nguini que « le pouvoir s’est arrangé pour en partie vider le Conseil constitutionnel de sa consistance en remettant en question le principe adopté en 1996, qui est celui d’un mandat unique ». Une option qui avait le mérite de placer les membres de cette institution dans une situation d’indépendance notamment vis-à-vis du locataire d’Etoudi.
Faisant grâce de la non application à ce jour de l’article 66 de la loi fondamentale relatif à la déclaration de biens des hauts commis de l’Etat, le dernier acte recensé de trahison de la Constitution du 18 janvier 1996 intervient en 2014. Il se rapporte à l’avènement de la loi antiterroriste. Une loi qualifiée de « liberticide » par la quasi-totalité de l’opposition camerounaise dont Maurice Kamto, le leader du Mouvement pour la renaissance du Cameroun. Contraire selon certains, au préambule de la Constitution qui garantie notamment  le droit de grève, « cette loi introduit un régime de restrictions des libertés publiques dont la liberté de manifester », renseigne Claude Abe non sans ajouter qu’« il n’y a aucun débat sur la nécessité de criminaliser le terrorisme, mais cela doit se faire dans le respect des dispositions de la loi fondamentale ». Au vu de ce qui précède et à l’heure du bilan, il semble bien qu’au cours de ses deux décennies d’existence, la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 a été autant désacralisée que trahie.

Yanick Yemga

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