Marie Francine Dongmo : Le savoir-faire artistique au service de la sensibilisation sur les questions juvéniles au Cameroun

Marie Francine Dongmo

En se focalisant sur la jeunesse camerounaise dans un contexte de crise et de chômage endémiques, l’œuvre de Francine Dongmo soulève la problématique suivante : comment cette jeunesse vit-elle ses difficultés? Avec quelles armes affronte-elle le chômage, la vie chère, le climat sociopolitique tendu, etc? Quels sont les perspectives qui lui sont offertes?

A travers un procédé créatif qu’un article de Kym Media qualifie de «poétique de la résilience», Marie Francine Dongmo explore et met en évidence les différentes armes à travers lesquelles une partie non négligeable de la jeunesse camerounaise affronte son quotidien très souvent grisâtre, marqué par le chômage doublée de la vie chère et par un difficile climat sociopolitique qui n’autorise pas toujours le rêve d’un lendemain meilleur : alcoolisme, jeux de hasard, addiction, stupéfiants, moto-taxi, etc. tels sont les aspects de la scénographie de Marie Francine Dongmo qui interpellent, dans une œuvre dont la scène englobante relève des Arts plastiques tandis que la scène générique évoque à fois la peinture, l’installation et la sculpture.

«Mon ambition, indique-t-elle, c’est de porter mon art et son message d’alerte le plus loin possible, au Cameroun en particulier où le contexte psychosocial et économique se détériore de plus en plus ».
En effet, avec sa « poétique de la résilience », Francine Dongmo confère à son œuvre un message d’alerte au sujet de la jeunesse camerounaise dont elle espère booster l’agency en mettant en évidence la fragilité de cette forme de résilience par laquelle les jeunes s’adonnent à des paradis artificiels.

A ce propos, un critique de Doual’art écrit: L’oeuvre de Francine Dongmo décrit de façon hyperréaliste le paradoxe et la résilience d’une jeunesse dotée d’une certaine espérance, comme en témoignent les couleurs fraîches et franches de son œuvre, mais qui se recroqueville dans des attitudes de prosternation ou [de renoncement] face aux difficultés de la vie. Elle dévoile ainsi le contrecoup de la modernité avec ses rudes réalités psychosociales et économiques qui poussent les jeunes, par instinct de survie, à toutes sortes d’évasions, à se perdre dans les abîmes de la manipulation de masse, de l’alcoolisme [et autres psychotropes] .

Dans Asile, par exemple, cette plasticienne scénarise les jeux de hasard qui mobilisent autour d’une table des chaises anthropomorphes tapissées de capsules de bières. Il s’agit de l’allégorie d’une jeunesse désœuvrée et adepte de Bacchus dont la désorientation et l’absence de repère sont attestées par des têtes aux allures de papiers froissés.

Dans Refuge 2, elle présente une structure de fer en forme de parapluie tapissé de capsules de bières, suggérant ainsi cet autre refuge fragile de la jeunesse camerounaise qui ne dure généralement que le temps du plaisir fugace que procure la consommation de l’alcool. Refuge 2 et Asile témoignent au final d’une même forme de résilience, celle qui trouve dans l’addiction aux jeux de hasard et à la consommation de l’alcool le moyen d’affronter les dures épreuves de la vie.

Avec Trêve, Reflets et Mi-temps, elle consacre une part belle au métier de moto taxi, « cet autre échappatoire dans lequel s’engouffrent un peu facilement des jeunes qui atterrissent en milieu urbain sans repères.

A travers l’optimisme que recèle une scénographie emprunte de végétation, Francine « loue malgré tout la bravoure, la persévérance et la résilience de cette jeunesse affligée1 », à qui la forte capacité de mobilisation et parfois de nuisance à l’autorité publique confère la réputation de cinquième pouvoir.
En fait, comme l’explique l’artiste, « la verdure c’est la résilience même. C’est lorsqu’on coupe une plante qu’elle se relève de plus belle2… ».

Chrysalide 1, Chrysalide 3 et Transition 4 sont une exploration psychosociale des violences que subie très souvent cette jeunesse dans son enfance, des violences dont les traumatismes la prédispose à des comportements déviants.

A s’en tenir à quelques indices de sa biographie évoqué par Kym Media, le processus créatif de ce produit des Beaux-Arts de l’Université de Dschang se nourrirait d’un potentiel paratopique consécutif à une enfance plutôt difficile, de quoi conclure que son activité de création est l’expression de sa propre résilience, mais une résilience par l’effort créatif et non par le refuge dans des comportements psychoactifs déviants car cette seconde option voile en réalité un renoncement ou une résignation face aux épreuves de la vie.

Avec l’œuvre de Marie Francine Dongmo, l’art se voit en définitive prescrite comme une arme efficace contre le désœuvrement, l’oisiveté, la misère mentale et la grande criminalité qui s’ensuit, comme un moyen de questionnement sur la vie et de dépassement des limites que celle-ci tend à imposer à l’être humain; ce qui restitue aux écoles des Beaux-Arts cette place de choix dans la formation humaine que l’idéal matérialiste du monde capitaliste tend à occulter par sa prescription exclusive des domaines de formation réputés rentable parce qu’ils forment des automates reproducteurs du système.

Marie Francine Dongmo fait partie de la toute première cuvée de l’Institut des Beaux-Arts de l’Université de Dschang à Foumban. De 2010 à 2015, elle y a reçu une formation couronnée par un diplôme de Master professionnel en Arts Plastiques et Histoire de l’Art.
Elle a par la suite mis le savoir acquis au service de son école de formation en y exerçant comme vacataire pendant trois ans. Depuis 2019, elle se consacre uniquement à sa carrière artistique qui lui a ouvert de nombreuses portes sur la scène nationale et internationale à travers les expositions telles que « Dialogue (s) » et « Woman Power » à Bandjoun Station, The Last Picture Show à Lagos, ART2020 à Doual’art, Urbana Facta à la Gallerie du Carré des Artistes, etc.

Toutes ces aventures ont souvent été couronnées par des prix. Elle est l’une des lauréats du Concours Art 2020 lancé par Doual’art sous le thème Patrimoine Contemporain, grâce à sa sculpture à l’allure de moto-machette intitulée Le cinquième pouvoir. Elle a également été sélectionnée parmi les 03 participants au projet « Jeunes Regards Urbains 3 » de Doual’art qui vient de s’achever.

Par Rodrigue Marcel ATEUFACK DONGMO,
Université de Dschang/Cameroun

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