Marché européen : 190 milliards d’exportations de fruits et légumes camerounais menacés d’interdiction

En cause, la qualité des produits exportés et le peu de fiabilité du système national de contrôle sanitaire et phytosanitaire, selon un audit de l’Union européenne.
Le Cameroun multiplie en ce moment des initiatives pour sauver ses exportations de fruits et légumes à destination de l’Union européenne (UE). L’organisation d’un atelier, les 04 et 05 avril 2018 à Yaoundé, est la dernière action en date. Cette séance de travail, organisée avec le soutien de la coopération européenne, visait à arrêter «les grandes lignes d’un plan d’action pour le renforcement du système national de contrôle (SNC) sanitaire et phytosanitaire (SPS)» de la filière.
Il se trouve que, ces dernières années, des organismes nuisibles à la santé et à l’environnement (résidus de pesticide, mouches de fruits, moisissures…) sont découverts aux portes du marché européen, dans des cargaisons de marchandises qui, au départ du Cameroun, avaient pourtant reçu des certificats de conformité SPS, après des contrôles afférents. Selon Babacar Samb, expert du Comité de liaison Europe-Afrique Caraïbe et Pacifique (ColEACP) qui animait l’atelier, «entre 2015 et 2017, 159 interceptions ont été enregistrées et notifiées au Cameroun». Pour comprendre l’ampleur des dégâts, il faut savoir qu’«une seule notification est déjà importante», précise le Sénégalais. Et d’expliquer: «d’abord, parce que la marchandise est détruite aux frais de l’exportateur (perte économique importante). Et deuxièmement, c’est publié partout (contre-publicité pour l’origine Cameroun)».

Audit
Pour des raisons similaires, les crevettes camerounaises, pourtant prisées, sont frappées d’embargo sur le marché européen depuis 1998. Confronté à une situation similaire, le Ghana a également vu ses fruits et légumes interdits du même marché entre 2015 et 2017. En réalité, si les végétaux camerounais ont continué d’entrer en Europe, c’est parce que le pays bénéficie d’un sursis. Cette clémence est due au fait que, en réponse aux courriers de la Commission européenne, l’Organisation nationale de protection des végétaux (ONPV) a conçu en octobre 2016 et mis en oeuvre un système de certification à l’exportation pour les mangues, le produit pour lequel les interceptions sont les plus nombreuses.
Mais, cela n’a pas mis le pays à l’abri, croit savoir Ndjib Bahoya. Le président du Conseil interprofessionnel des sociétés d’assainissement au Cameroun (Cisac) estime que «les contrôles ne répondent pas (toujours) aux exigences des marchés internationaux». La preuve : l’année dernière, vingt cas d’interception ont encore été enregistrés, dont douze concernent les mangues. Selon un membre du Réseau des opérateurs des filières horticoles du Cameroun (Rhorticam), il y en a déjà également eu cette année.
C’est d’ailleurs à la même conclusion qu’est parvenue la direction générale de santé de la Commission européenne après un audit du SNC effectué du 08 au 18 mai 2017. «À l’heure actuelle, un grand nombre des éléments exigés par les normes internationales et les normes de l’UE ne sont pas inclus dans ce système. Son organisation et sa mise en oeuvre présentent d’importantes faiblesses, ce qui compromet son efficacité globale. Par conséquent, les contrôles avant exportation ne peuvent pas être considérés comme fiables lorsqu’il s’agit de garantir la conformité avec les conditions d’importation fixées par l’UE», peut-on lire dans le rapport rédigé à la fin de l’audit. «Le tout premier du genre effectué dans un pays d’Afrique francophone », indique Babacar Samb, pour montrer aux participants à l’atelier combien la situation est inédite.

Enjeux
Le rapport de cet audit adresse sept recommandations au Cameroun afin de remédier aux manquements de son SNC (voir encadré). Pour les mettre en oeuvre, le ministère camerounais de l’Agriculture et du Développement rural (Minader) a arrêté trente actions dont vingt-deux de cours termes et huit de moyen et long termes. Ces actions vont de l’augmentation de l’effectif du personnel travaillant dans le système de contrôle et de l’amélioration de son savoir-faire, à la mise en place d’un système d’enregistrement des producteurs et d’un mécanisme de normalisation de la chaîne logistique (emballage, magasins, moyens de transport…), en passant par la punition des exportateurs qui ne respectent pas les règlements.
«Au cas où rien n’est fait, l’Union européenne prendra les mêmes sanctions d’interdiction d’exportation comme avec les crevettes», prévient le président Cisas. Ce qui devrait déséquilibrer la balance commerciale du Cameroun vis-vis de l’UE ; les exportations de fruits et légumes représentant plus 15% des exportations totales du pays vers cette destination. A cela, il faut ajouter l’impact sur la filière de se réorganiser et de trouver de nouveaux débouchés. Une option dont ne veut d’ailleurs pas entendre parler Ndjib Bahoya.
«Le marché de l’Union européenne est très abordable et riche en termes de business-services par rapport à d’autres marchés (Agoa, Asie ou bien Inde)», justifie-t-il. Pour s’assurer que ce marché reste ouvert aux produits agroalimentaires en provenance du Cameroun, en fin octobre, le président du Cisas a obtenu du Minader la mise sur pied d’une task force à la tête de laquelle il a d’ailleurs été porté. C’est à travers ce groupe de travail public- privé que le gouvernement camerounais a d’ailleurs organisé l’atelier des 04 et 05 avril. A l’issue des travaux, un consensus s’est dégagé sur la nécessité de mettre en place un référentiel pour la promotion des bonnes pratiques agricoles. Mais, d’importantes divergences demeurent à propos du contenu de ce système de contrôle privé. «Un autre atelier sera organisé dans les prochains jours pour définir le contenu du référentiel », répond à ce sujet, le président de la task force. L’horloge tourne…

Aboudi Ottou

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