Louis Deschamps Lothin Elessa : «Le contrat social est brisé au Cameroun» 

Le président de la Fondation Elessa Lothin-Sen présente la vision et la philosophie de l’institution qu’il dirige, son positionnement tant sur le plan social qu’économique du pays.

Il donne les clés de la compétitivité aux chefs d’entreprises camerounaises.

Pourquoi associez-vous l’administration aux Rencontres professionnelles LCA/professionnal Meeting, là où on n’attendrait prioritairement les acteurs du patronat et du monde financier et économique ?

Nous associons à cette réflexion stratégique les colonnes administratives, qui nous sont chères : la préfectorale. De mes expériences de chef d’entreprise, ce sont des colonnes sur lesquelles nous pouvons compter : les sous-préfets, les préfets et les gouverneurs. Vous ne pouvez pas accorder du crédit si vous n’avez pas une banque de données objective du Cameroun. Et, dans mes autres vies, j’avais même suggéré à une autre organisation patronale beaucoup plus importante que le Gicam, d’associer la préfectorale du Cameroun aux réflexions stratégiques de banques de données des opérateurs économiques. Si je voudrais connaitre qui fait quelle activité à Mouanko, je peux m’arrêter au bureau de M. le sous-préfet et prendre son protocole économique. Si je veux connaitre un peu plus ce qui se passe dans la Sanaga Maritime, je prendrais le protocole économique à la disposition de M. le préfet. Et ce seront des banques de données fiables.

Selon vous, pourquoi les chefs d’entreprises, qui utilisent le FCfa, sont moins compétitives ?

Le FCfa est une monnaie, mais nous savons très bien que ce cadre d’opération nous pose un problème. Autant nous achetons dans la sous-région, et ça peut se passer relativement bien, mais lorsque vous avez une activité stratégique et que vous achetez en dehors de ce cadre institutionnel qu’on appelle Cemac, vos difficultés de compétitivité commencent, parce que le FCFA n’est pas une monnaie en ce moment-là adaptée à votre business. Les politiques ont leur part de responsabilité mais elles n’évoluent pas tant qu’il n’y a pas des imputs. Et je pense que la mission de nos regroupements, qui sont des regroupements d’objectivités économiques, c’est de pouvoir faire comprendre aux politiques qui nous gouvernent, notre capacité à interroger ces questions-là et d’être prêts à les accompagner dans une mouvance d’évolution de ces mécanismes dont nous avons hérité.

Il en va même de la survie de l’Etat. J’ai beaucoup d’admiration pour l’économie allemande : c’est la PME qui soutient toutes ses économies ; ce n’est pas les grands groupes. Il y en a bien sûr, comme Mercedes à Bavière, mais les intrants de Mercedes sont faits par au moins 200 PME allemandes. Il y a une qui va faire la roue, une autre, le boulon ; ce n’est peut-être que l’assemblage que Mercedes va faire. Donc nous ne pouvons pas gagner une économie constructive en ayant hérité des mécanismes qui ne sont pas compétitifs, et en ayant des imputs qui ne puissent pas faire évoluer ces mécaniques-là. Il faut interroger cela.

Que peut la Fondation Lothin Elessa-SEN dans l’accompagnement du Cameroun vers son émergence en 2035 ?

Autour des questions de bienfaisance, la fondation a une orientation et un positionnement clairement économique. Pour être généreux, il faut travailler ; et le cadre du travail le plus approprié, partout dans le monde, reste l’entreprise. Nous espérons que pour toutes les années qui viennent, ces entreprises qui soutiennent le social ne soient pas des acteurs en dehors du système beaucoup plus macro, qui est le système des opérations. Nous interrogeons les politiques publiques de l’émergence du Cameroun en 2035 et la compatibilité d’une monnaie avec d’autres systèmes financiers actuels. Pour les jeunes chefs d’entreprises que nous sommes, nous héritons d’un système du colon ; nous évoluons dans un environnement concurrentiel et nous n’avons pas les mêmes armes. Mais je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il faille se plaindre à la rue et donner l’impression que, éternellement, nous Africains, sommes condamnés à suivre et à subir. Moi, je n’y crois pas.

Donc au-delà des aspects des dons (une bibliothèque de 1000 livres au Groupe scolaire bilingue de Bastos – Yaoundé, le 27 septembre, une remise de 300 bourses d’excellence d’une valeur de 5 millions de FCFA aux écoles publiques de Malimba-Océan et Mouanko Centre et d’Edéa II, les 16 et 17 août 2019, Ndlr) qui sont importants, la fondation aura les missions de défendre la position économique très clairement sur les marchés de compétitivité qu’on a dans la sous-région ou dans les inversions d’économie des gouvernants et à apurer à son niveau les décideurs qui pourraient nous comprendre.

Le Nigeria n’a pas une structuration économique comme la nôtre : chacun fait son petit business mais c’est cet ensemble qui tient toute une économie. Donc pourquoi ne pas avoir des gouvernants stratégiques avec un marché qui est là, savoir qu’on peut produire et vendre ici, à côté ? C’est ça l’organisation que nous mettons en place dans ce que nous appelons Forum économique. Le thème : « le Franc CFA peut-il accompagner l’émergence du Cameroun en 2035 ? Quelles réformes pour le système bancaire et financier ? », a la dimension d’une politique plus grande. Ce n’est pas la monnaie qui pose problème.

Nous ne sommes pas prêts à jouer un franc jeu. Nous-mêmes, chefs d’entreprises, commençons déjà à être transparents. Si nous biaisons le jeu en ne payant pas les impôts, parce que le voisin d’en face, directeur des impôts, construit les immeubles à nos propres comptes, l’Etat en tant que structure globale n’a pas les ressources. Donc, il n’y aura pas de bonnes routes, il n’y aura pas des écoles, et peut-être on ne va plus intervenir dans les dons, etc. Nous ne croyons pas à une orientation comme celle-ci.

La fondation, pour les années qui arrivent, va encore mieux structurer les questions-là. Et nous nous donnons les missions en fin d’année de sortir les rapports de ces activités des échanges et cibler les administrations concernées par le problème. Il faut qu’on revienne à un Etat de droit, mais il faudra aussi qu’on respecte les règles du jeu. Il faut bien que je rembourse mes crédits, que je paie mes impôts et que le gouvernant, qui reçoit les impôts, soit obligé de me mettre les routes ; c’est un contrat social. Et ce contrat social est brisé au Cameroun. Nous faisons tout sauf pour le Cameroun.

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