Le journal le Monde écrit encore sur le Cameroun (Article intégral)

Boko Haram met en lumière les fragilités du Cameroun.[pagebreak]Des milliers de Camerounais ont défilé à Yaoundé, le 28 février, pour « soutenir les populations de l’extrême nord et l’armée » dans la lutte contre Boko Haram.
Une « grande marche patriotique » avec ses promesses d’union nationale et la certitude affichée d’une victoire finale. La sincérité des organisateurs de cette manifestation, pour l’essentiel des journalistes, et les convictions des participants ne sont pas à remettre en cause, mais la date choisie pour ce rassemblement n’a échappé à aucun observateur. Sept ans plus tôt, le 28 février 2008, s’achevait au Cameroun une semaine insurrectionnelle où des milliers de manifestants avaient pris la rue pour dénoncer le coût de la vie et la modification de la Constitution, permettant au président Paul Biya de se maintenir ad vitam aeternam au pouvoir. La répression fut impitoyable : 40 personnes tuées selon le bilan officiel, près de 140 d’après des ONG locales. Depuis, M. Biya, 82 ans, est toujours aux commandes de l’Etat et de son régime vieillissant – la plupart des ministres sont septuagénaires. Il s’est engagé dans un combat contre les djihadistes venus du Nigeria, où il s’avère plus aisé de mobiliser que lorsqu’il s’agit de mater une jeunesse en quête d’une vie meilleure et aspirant au changement. Cette guerre circonscrite à la région la plus septentrionale du pays, les autorités camerounaises se sont tout d’abord efforcées de l’esquiver.

Discrétion
En plus de trois décennies de pouvoir, M. Biya a fait de la discrétion une marque de fabrique. Il évite les réunions internationales, ne tient quasiment aucun conseil des ministres, et son mode de gouvernance consiste à se maintenir au centre du jeu politique en évinçant ses successeurs potentiels, tout en apparaissant le moins possible. Alors que Boko Haram a commencé à imprimer sa marque il y a deux ans sur le territoire camerounais, la présidence a joué dans un premier temps la carte de la négociation discrète. La multiplication des incursions, des enlèvements et des assassinats ciblés l’a finalement convaincu d’engager le combat malgré les dysfonctionnements de l’armée.
Depuis la tentative de coup d’Etat de 1984, Paul Biya se méfie de ses soldats et choie sa garde prétorienne, notamment le Bataillon d’intervention rapide (BIR), qui ne répond qu’à la présidence et est financé sur des fonds de la Société nationale des hydrocarbures. Ce sont principalement les hommes de cette unité d’élite qui sont en première ligne face à Boko Haram le long de la frontière nigériane.

Crimes abominables
Appuyée depuis janvier par 2 500 militaires tchadiens, l’armée camerounaise n’a pas plié face à la multiplication des attaques djihadistes, mais cette « guerre asymétrique » promet son lot de crimes abominables. Dans son dernier rapport, Amnesty International fait état d’exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées, d’arrestations arbitraires commises en juin 2014 par des éléments du BIR. Le Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale (Redhac), « tout en félicitant et en encourageant l’armée camerounaise pour sa bravoure », dénonce pour sa part les pratiques de gendarmes qui utiliseraient « toutes sortes de méthodes pour extorquer des informations ». L’organisation évoque, « selon des sources dignes de foi », le sort d’« une cinquantaine de personnes retrouvées mortes asphyxiées dans les cellules de la légion [de gendarmerie de l’extrême nord] et ensuite enterrées dans une fosse commune en brousse ». Un enregistrement vidéo visionné par Le Monde atteste que les prisonniers soupçonnés d’appartenir à l’insurrection islamiste sont torturés.
Les vidéos de propagande de Boko Haram où des captifs sont suppliciés jusqu’à la mort sont, elles, d’une violence insoutenable. A Maroua, où sont coordonnées les opérations militaires, la stratégie de terreur des djihadistes obsède les esprits. Les motos, véhicule idéal pour lancer une bombe et fuir à toute allure, ont été interdites de circulation la nuit. Le professeur Issa Saïbou raconte que, par crainte d’attentats, « chacun essaye de ne pas rester plus longtemps que nécessaire dans les lieux de grande concentration humaine ».

Ressentiments entre communautés
Selon lui, si Boko Haram a pu recruter de nombreux jeunes de la région et s’appuyer sur des ressentiments entre communautés, les ressorts de la mobilisation sont essentiellement financiers. « Cette violence criminelle prospère sur le terreau de la rébellion sociale. L’extrême nord, qui concentre 17 % de la population du pays, est la région la plus sous-scolarisée, deux tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté, il n’y a plus aucune industrie. Les frontières divisent mais ne séparent rien. Dans cette zone qui a été marquée par le phénomène des coupeurs de route, l’illégalité est devenue un espace d’investissement », s’inquiète le directeur de l’Ecole normale supérieure de Maroua.
Après avoir servi à un jeu d’accusations entre élites politiques locales puis régénéré des thèses complotistes, la lutte contre Boko Haram est désormais érigée au rang de priorité nationale. Les dépenses militaires s’accumulent, mais le régime investit également dans sa propre sécurité. Des caméras de vidéosurveillance ont été installées dans des points stratégiques de la capitale, Yaoundé. Le champ d’interprétation de la loi antiterroriste, instaurée en décembre 2014, est suffisamment large pour étouffer toute forme de contestation.
Selon une source proche du pouvoir, son inspiration est davantage à chercher dans le fait d’éviter un renversement par la rue, comme ce fut le cas du président burkinabé Blaise Compaoré, que dans la guerre contre les djihadistes nigérians. Elle pourrait notamment être mise en application en cas de troubles liés à la succession de Paul Biya.

Par Cyril BENSIMON (LE MONDE)

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