Vêtu d’un maillot rose assorti d’un short noir et des bas blancs, un adolescent s’entraine dur sur un terrain sablonneux de Dakar.
Eparpillés sur l’aire de jeu, le jeune homme et ses camarades ne se ménagent pas dans leurs mouvements gymniques, faits d’étirements, de courses de vitesse et de gestes techniques avec un ballon de football.
Rêvant d’une carrière de footballeur professionnel en Europe, Amadou (nom d’emprunt de l’adolescent qui préfère garder l’anonymat) a sacrifié ses études dans l’espoir d’atteindre son objectif. Après s’être procuré un jugement de naissance où il a trois ans de moins que son âge réel, Amadou a, peu après le Brevet de fin d’études moyennes (Bfem) obtenu en 2016, tourné le dos à l’école pour se consacrer au football.
« Il fallait obligatoirement le faire, mais il ne faut pas non plus être dans l’excès. En réalité, je suis né en 2002 et j’ai déclaré 3 ans de moins. En Afrique, c’est très difficile de taper dans l’œil des recruteurs », confesse le jeune homme dont le poste de prédilection est celui de milieu de terrain.
Le topo est lâché : frauder sur l’âge pour séduire les recruteurs des pays nantis, notamment ceux de l’Europe occidentale. « C’est un constat malheureux qui ne nous honore pas en tant que dirigeant », a reconnu Saër Seck, président de la Ligue sénégalaise de football professionnel (LSFP), analysant ce vaste phénomène de migration des jeunes sénégalais vers le Vieux continent.
Parallèlement aux pirogues et bateaux jetés dans l’océan avec leurs dizaines de migrants, le ballon fait partir aussi beaucoup d’adolescents sénégalais qui, outre le talent de footballeur perfectionné dans un des nombreux centres de formation qui pullulent au Sénégal ou le championnat populaire « navétanes » voire la Ligue 1 professionnelle, « taillent » sur leur âge pour gagner l’Europe et ses salaires mirobolants.
Un appel d’air auquel les équipes européennes ne sont pas étrangères comme le reconnait Saer Seck : « la question de la fraude sur l’âge a un soubassement économique. Les clubs européens ont tendance à recruter des joueurs de plus en plus jeunes pour les former, les utiliser et ensuite les revendre en faisant des plus-values ».
Plus le footballeur est jeune ou fait jeune, selon ses papiers, plus il intéresse le recruteur occidental. « C’est une demande forte des formations européennes qui, la plupart du temps, ont une responsabilité parce qu’elles ferment les yeux », assène M. Seck, par ailleurs président de l’Institut Diambars de Saly (85 km de Dakar), un centre de formation où est notamment sorti Idrissa Gana Guèye, le talentueux milieu de terrain d’Everton (Premier league anglaise).
Rêvant sûrement de la carrière de Gana Guèye, Amadou l’adolescent du terrain sablonneux de Dakar, révèle avoir la bénédiction de son père dans son option de s’expatrier par le football. « A présent, indique-t-il d’un air résolu, je mise tout sur le football. J’ai toujours aimé cette discipline et je veux y réussir. J’y crois dur comme fer et je travaille au quotidien pour atteindre mon objectif. Je prie pour que mon rêve s’accomplisse et je ne pense vraiment pas à l’échec ».
Si Amadou n’explique pas comment il est arrivé à diminuer son âge, une autre source anonyme –c’est de mise dans ce milieu où on est très cachottier– a confessé avoir un frère qui a diminué son âge de 5 ans avec l’aide de ses encadreurs. Pour profiter des contrats de leurs protégés, certains agents de joueurs les poussent à la tricherie sur l’âge ou au changement d’identité.
« Certains agents donnent de mauvais conseils aux jeunes joueurs. Le problème est que maintenant tout le monde peut devenir intermédiaire et faire des transferts depuis que le secteur est ouvert », renseigne Cheikh Sidy Bâ, un ancien international de football devenu agent de joueur.
Dénonçant les pratiques de certains de ses collègues, il clame : « de nombreux agents ne sont intéressés que par le gain d’argent (…) pour en amasser énormément, ils demandent aux jeunes de diminuer leur âge ».
Le drame, ajoute-t-il, c’est que « n’importe qui peut être agent de joueur » dans la mesure où la Fédération internationale de football association (Fifa) a rétrocédé aux fédérations nationales l’aptitude à en conférer aux aspirants le statut. Lequel s’acquiert par voie de concours ou sur un dépôt de dossiers qui donne droit à une licence d’intermédiaire.