Le dernier commandant de l’ALNK, martyr d’une indépendance inachevée
Cinquante ans après son exécution publique, Ernest Ouandié continue de hanter la mémoire collective camerounaise. Ce fils de la terre de Bangou, né en 1924 dans le Haut-Nkam, demeure une figure emblématique de la lutte nationaliste dont l’histoire officielle tente encore d’étouffer l’héritage. Surnommé « Camarade Emile » dans le maquis, ce commandant en chef de l’Armée de Libération Nationale du Kamerun avant singap martin ou Majesté Kemayou Paul-Bernard (ALNK) s’est dressé avec une détermination inflexible contre le néocolonialisme français et ses alliés locaux.
« Jamais dans l’histoire des exécutions publiques, un homme n’aura été aussi serein devant la mort », témoigne l’historien Francis Kuikoua. Son courage face au peloton d’exécution à Bafoussam, le 15 janvier 1971, stupéfia même ses bourreaux habitués à voir des condamnés suppliants. Cette dignité ultime incarne toute la force morale d’un homme qui avait juré sur le cercueil de son camarade Félix Moumié, empoisonné en 1960, de poursuivre le combat « jusqu’au dernier souffle ».
La trajectoire d’Ouandié commence modestement comme instituteur avant de s’affirmer comme syndicaliste puis vice-président de l’UPC en 1952, mêlant conscience politique et action révolutionnaire.
La fabrication d’un terroriste : manipulations et propagande d’État
La capture d’Ernest Ouandié en août 1970 marque le début d’une intense campagne de désinformation orchestrée par le régime Ahidjo. L’article révèle comment Jean Fochivé, directeur du DIRDOC (Direction des Études de la Documentation et de la Sécurité), et Samuel Kamè, surnommé « le Himmler d’Ahidjo », ont méthodiquement fabriqué un dossier à charge contre le nationaliste.
Premier mensonge officiel : transformer son ralliement volontaire en « capture par les populations ». Alors qu’Ouandié s’était présenté de lui-même aux gendarmes à Mbanga le 19 août 1970 en déclarant simplement « Je suis Ernest Ouandié », le récit officiel prétend qu’il fut « encerclé et capturé par la population ». Les deux gendarmes ayant témoigné de ce ralliement furent mystérieusement « portés disparus ».
Plus grave encore, les autorités ont inventé de toutes pièces une « liste des complices rebelles dénoncée par Ouandié », diffusée aux Brigades Mixtes Mobiles pour déclencher une vague d’arrestations et de tortures. L’objectif était clair : « démobiliser les troupes maquisards en diabolisant le chef de l’ALNK ». Un tract sans entête intitulé « Ouandié nous a vendu, sortons du maquis » fut massivement distribué pour achever de briser la résistance nationaliste.
La dignité face à la barbarie : le mythe d’un héros indestructible
Détenu au secret pendant cinq mois, privé de ses avocats français (Maîtres Jean-Jacques de Félice et Jacques Vergès), Ouandié fut soumis à des tortures physiques et psychologiques qui le laissèrent méconnaissable. Le témoignage du roi des Bamendjou, Sa Majesté Sokoundjou Jean Rameau, est glaçant : « Ouandié avait perdu plus de la moitié de son poids à la suite de toutes sortes de tortures que Fochivé et Kamè avaient appris auprès des tortionnaires français du Vietnam et de l’Algérie. »
Les autorités, craignant les « pouvoirs mystiques » qu’on lui prêtait, allèrent jusqu’à envoyer dans sa cellule de faux prisonniers dotés de « pouvoirs magiques » pour le neutraliser spirituellement. Cette dimension irrationnelle révèle la puissance symbolique qu’avait acquise Ouandié dans l’imaginaire collectif, devenu presque une figure mythique capable de « disparaître » ou de « produire des effets boomerang sur ses victimes ».
Sa dernière volonté avant l’exécution – refuser qu’on lui bande les yeux pour regarder la mort en face – achève de construire la légende. Son ultime message, « D’autres poursuivront le combat », résonne aujourd’hui comme une prophétie alors que, cinquante ans après, le Cameroun reste confronté aux défis que dénonçait déjà Ouandié : dépendance économique, dérive autoritaire et divisions internes.
L’histoire d’Ernest Ouandié, systématiquement occultée des manuels scolaires, mérite d’être redécouverte par les jeunes générations en quête de repères authentiques. Car comme le conclut judicieusement l’historien Francis Kuikoua : « les faits sont têtus, inutile de leur trancher la tête, ils resurgiront toujours et de la plus belle manière. »