Une lettre ouverte fracassante vient de contraindre le Ministère des Finances (Minfi) du Cameroun à sortir de son mutisme. Après quatre mois de silence face à un rapport accablant de la Chambre des comptes, le ministère a finalement publié une mise au point le 23 avril 2025. Ce revirement spectaculaire fait suite à l’intervention de l’ingénieur financier Babissakana qui, dans une correspondance adressée directement au Président de la République le 21 avril, réclamait une réforme en profondeur des institutions financières publiques. Un bras de fer qui met en lumière la gestion controversée des 5 723 milliards FCFA du budget national.
Face à des accusations de plus en plus pressantes, le Minfi tente-t-il une opération de communication désespérée ou existe-t-il réellement des explications solides à cette situation financière jugée « ni régulière, ni sincère » par la plus haute juridiction financière du pays?
Rapport financier Cameroun : derrière l’avis défavorable, une vérité qui dérange
Le rapport de la Chambre des comptes rendu public en décembre 2024 ne laisse place à aucune ambiguïté. Son verdict est sans appel : les états financiers du ministère des Finances concernant le budget de l’État 2023 «ne sont, dans tous leurs aspects significatifs, ni réguliers, ni sincères, et ne donnent en conséquence pas une image fidèle du patrimoine et de la situation financière de l’État».
Face à cette conclusion dévastatrice, le Minfi tente aujourd’hui de minimiser la portée de ces observations, affirmant que cet «avis réservé» ne constitue «nullement une accusation de fraude ou de dissimulation». Une défense qui peine à convaincre les experts du secteur.
«Il est significatif que le ministère ait attendu une interpellation directe au sommet de l’État pour réagir», souligne Dr. Etoundi, analyste en finances publiques. «Cette réaction tardive soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses».
Selon les estimations, près de 32% des actifs de l’État camerounais ne seraient pas correctement répertoriés dans les comptes publics, créant une zone d’ombre propice aux détournements et à la mauvaise gestion.
Modernisation du système financier : alibi technique ou réelle solution?
Dans sa communication, le ministère met en avant le processus de basculement vers une «comptabilité patrimoniale» comme justification principale des lacunes identifiées. Ce chantier, qualifié d’«œuvre titanesque» par Yves Assala, porte-parole du Minfi, a débuté en 2022 et devrait se poursuivre pendant «plusieurs années».
Cette réforme vise à recenser l’ensemble du patrimoine national : bâtiments, terrains, véhicules, créances, mais aussi toutes les dettes et engagements conditionnels de l’État. Un travail d’inventaire qui n’en serait qu’à ses débuts, avec seulement quatre départements partiellement couverts (Wouri, Mfoundi, Sud et Est).
«Il est paradoxal de voir un ministère justifier son incapacité à produire des comptes fiables par un projet de modernisation qui traîne depuis trois ans», commente Babissakana dans une réaction obtenue par notre rédaction. «Dans le secteur privé, une telle situation conduirait immédiatement à des sanctions.»
Cette défense technique soulève une question fondamentale : comment le Cameroun peut-il efficacement gérer ses finances publiques et lutter contre la corruption sans une vision claire et transparente de son patrimoine? Et pourquoi avoir attendu une interpellation publique au plus haut niveau pour communiquer sur ces difficultés?
Alors que le ministère affirme que cette modernisation permettra «d’avoir une connaissance plus claire de la ‘richesse’ de l’État», de nombreux citoyens s’interrogent : combien de milliards de FCFA se sont déjà évaporés dans les méandres de cette opacité financière qui perdure depuis des décennies?