Eto’o élu à la FECAFOOT : Que dit ce plébiscite du Cameroun ?

Thierry Amougou

Le 11/12/2021 a été un jour de joie pour de nombreux Camerounais. Ce que voulait et souhaitait le peuple camerounais dans son immense majorité s’est réalisé. Ce peuple est content… De telles occasions sont si rares ces derniers temps qu’il faut le signaler. Des images de joie à travers rues, quartiers, bureaux et maisons l’attestent. Une fois n’est pas coutume, la majorité populaire de Samuel Eto’o s’est transformée en majorité politique au sein du club électoral de la Fecafoot.

Cependant, tout en souhaitant bonne route et une totale réussite au nouveau président de cette instance faîtière du football camerounais, il nous semble important de nous interroger sur ce que l’élection de Samuel Eto’o à la tête de la Fecafoot dit du Cameroun. Que nous enseigne ce plébiscite du Cameroun ? de son peuple ? de l’égalité entre citoyens camerounais ? des diasporas et de son processus démocratique ?

Le bonheur du peuple camerounais compte

Nul besoin de rappeler au peuple camerounais les défauts de Samuel Eto’o. Qui n’en a pas parmi les humains ? Le peuple camerounais connaît ceux d’Eto’o. Un égo surdimensionné, c’est le principal grief mis en exergue par son parcours et ses coéquipiers. Mais cela cache aussi une grande confiance en soi qui a fait de lui le grand champion qu’il a été dans de nombreux clubs prestigieux. Il n’aurait pas pu y arriver sans ce caractère-là ; car les talents sont aussi liés à des caractères. Souhaitons qu’il soit bien entouré pour mieux canaliser son énergie…

Ce qui est cependant fondamental est que, malgré toutes les dérives que nous connaissons d’Eto’o, le peuple camerounais le porte toujours dans son cœur. Pourquoi ? L’hypothèse la plus plausible est qu’Eto’o a maintes fois permis à ce peuple d’être du côté des vainqueurs. Autrement dit, les exploits de Samuel Eto’o au sein de l’arène footballistique mondiale et au sein des Lions Indomptables ont été des moments de joie, quoique fugaces, mais des moments de joie inoubliables pour une peuple camerounais phagocyté au quotidien par la pauvreté, les injustices, les inégalités, le chômage et la richesse insolente de quelques-uns dans cet océan de misère. La popularité de Samuel Eto’o provient donc du fait qu’il a rendu le peuple camerounais heureux par ses exploits footballistiques. Lorsqu’il faisait une feinte de frappe puis un crochet qui mettait un défenseur au vent pour enchaîner avec une frappe victorieuse, ce peuple camerounais sortait de son abîme économique et social ambiant et gagnait avec lui. C’est pourquoi le même peuple danse lorsqu’Eto’o est élu à la tête de la Fecafoot car c’est ce peuple qui gagne quand Samuel Eto’o gagne. C’est le tout venant des anonymes de Mvog Ada son lieu de naissance, c’est n’importe quel gamin de New Bell son lieu de croissance qui voit en lui un des leurs, c’est-à-dire un va-nu-pieds qui, après s’être hissé au sommet du football mondial, devient le président de la fédération nationale de football du Cameroun. Samuel Eto’o est pour la jeunesse camerounaise pauvre en particulier et africaine en général, le modèle d’un parcours de rêve, celui d’un membre du Tiers-Etat qui se hisse au sommet du monde et au firmament son pays : Eto’o est l’incarnation vivante du rêve constamment rêvé par de nombreux gamins pauvres tapant sur un ballon dans les terrains vagues de nos bidonvilles…

Preuve est ainsi faite que le peuple camerounais n’est pas amnésique. Il a un mémoire comptable très préformante. En soutenant aussi massivement Samuel Eto’o, le peuple camerounais sait aussi que Samuel Eto’o n’a pas que donné de la joie avec ses buts et ses victoires. Il a aussi construit un centre médical haut standing, il a nourri des prisonniers et a été sur le terrain avec des Camerounais dans la lutte contre le covid-19, tout cela à ses propres frais. La popularité dont jouit Samuel Eto’o au sein du peuple camerounais n’est donc pas usurpée. Elle est tout ce qu’il y a de plus solide, méritée par un homme qui reçoit du peuple ce qu’il lui a donné. Dès lors, les qualités de Samuel Eto’o l’emportent largement sur ses défauts. A lui d’imprimer un nouveau leadership capable de soutenir positivement notre football à long terme. Cette élection montre que le peuple camerounais connaît très bien ceux qui le rendent heureux et reste fidèle envers eux lorsque son concours est sollicité pour un poste de pouvoir.

Le pouvoir sorcier…

Outre ce qui précède, l’élection de Samuel Eto’o rappelle avec force le fait qu’au Cameroun le pouvoir politique reste une affaire magico-spirituelle. En fait, malgré la grande popularité de Samuel Eto’o, malgré le fait que les vents lui étaient plutôt favorables, des cérémonies magico-spirituelles d’adoubement se sont multipliées sur sa personnes à travers le Cameroun. Cela nous rappelle certaines images de Paul Biya en pleine séance rituelle, d’initiation ou de manducation du pouvoir sorcier auprès des autorités traditionnelles et autres gardiens de nos traditions ancestrales. Preuves qu’en Afrique en général, et au Cameroun en particulier, le pouvoir n’est pas acquis ici-bas via le monde visible de monsieur tout le monde, mais dans un arrière-monde invisible où seuls les initiés et les ritualisés possèdent les clefs d’accès. La campagne qui a précédé l’élection de Samuel Eto’o renforce la croyance camerounaise suivant laquelle le vote n’est qu’un simple instrument procédural moderne dont la seule fonction et d’entériner, mieux de rendre officielle, ce qui aura déjà été décidé par les forces magico-spirituelles des mondes invisibles au centre de la gouvernance mystique et spirituelle du triangle national. Ce qui se révèle ici, et peut-il en être autrement, est que les Camerounais et certainement plusieurs Africains vivent leur modernité politique avec une mémoire remplie de spiritualités et croyances traditionnelles qui, par ce fait même, jouent un rôle majeur dans le formatage des imaginaires et de la psychologie politiques des populations, des candidats et de la société dans sa totalité. Il en découle que penser la démocratie en Afrique en général et au Cameroun en particulier ne peut se faire sérieusement en laissant de côté les conséquences sur le rapport au pouvoir des Africains de cette croyance en un magico-spirituel suivant lequel ce sont des forces surnaturelles et/ou métaphysiques qui votent finalement à la place des citoyens ou d’un club électoral. L’Afrique et le Cameroun sont-ils de ce fait des lieux où un candidat à un poste de pouvoir ne peut être élu que si la majorité populaire coïncide avec la majorité politique et la majorité spirituelle ? Cette dernière n’est-elle pas une façon qu’a le pouvoir traditionnel de ne pas perdre la main devant les modalités modernes de dévolution du pouvoir ? Les pratiques d’adoubement ne sont-elles pas la forme traditionnelle des motions de soutien au sens de quelqu’un qui mise sur un cheval qu’il pense vainqueur de la course et duquel il escompte des dividendes en retour ?

Bref, si le pouvoir au Cameroun reste et demeure un pouvoir sorcier, ce type de pouvoir reste problématique tant pour un peuple camerounais sensé le détenir et l’exercer à travers ses représentants que pour la conception de la démocratie suivant laquelle ce peuple est maître et acteur de son destin. La motion de soutien magico-spirituelle dont a bénéficiée Samuel Eto’o n’est-elle pas qu’un support traditionnel à une doléance adressée par nos traditions et ceux qui incarnent des citoyens camerounais nantis ? Comment contrôler la ruse politique de ceux qui disent détenir les forces magico-spirituelles ? Autant de questions à creuser sont aussi des signes que Samuel Eto’o a bénéficié d’un pouvoir symbolique non seulement fondamental dans la conception et la conquête d’un poste de pouvoir au Cameroun et en Afrique, mais aussi instrumental et performatif dans le langage et le jeu politique camerounais.

Surveiller le scrutin au Cameroun : un privilège exclusif ?

Les systèmes électoraux en Afrique sont souvent si cadenassés par les régimes en place que la majorité politique est très souvent trompeuse pour plusieurs leaders politiques qui confondent celle-ci avec la majorité politique. On peut remplir des stades et des salles avec des citoyens et perdre une élection parce que la majeure partie n’est pas inscrite sur les listes électorales et ne peut voter le jour j. Samuel Eto’o pouvait subir une telle déconvenue car ce ne sont pas les Camerounais qui votent à la Fécafoot mais un club électoral bien précis de 76 délégués. La majorité politique s’avère donc cruciale en pareille situation étant donné que les stratégies d’alliances se construisent loin du peuple et de ses souhaits. Comment Samuel Eto’o a-t-il pu faire accepter le bulletin unique à l’équipe sortante, le regroupement de ses délégués à un endroit unique dans la salle et l’adhésion de plusieurs d’entre eux à son projet ?

Répondre à cette question exige une mise en exergue de la stratégie globale de Samuel Eto’o, de sa tactique et de l’ordonnancement des tâches à l’intérieur de ladite stratégie générale. Pour ce qui est de la stratégie générale, Samuel Eto’o a construit, depuis plusieurs années, de très bons rapports avec le régime en place et la famille présidentielle. Pour parler simple, Samuel Eto’o n’a jamais critiqué le régime en place au Cameroun et n’est donc pas un « opposant » comme on le dit généralement au Cameroun. Il a ainsi pu battre campagne partout au Cameroun en bénéficiant des services de sécurité nationaux et de la bénédiction des hautes autorités du pays. Son capital sympathique au sein du pouvoir en place a aussi joué, en dehors de sa fortune personnelle, un rôle majeur dans la diplomatie souterraine, c’est-à-dire non médiatisée auprès des délégués du club électif de la Fecafoot. Lorsque les deux candidats les plus solides de l’éventail des candidats en compétition sont tous en très bons termes avec le régime en place, accepter d’un commun accord un bulletin unique devient facile parce que les deux sont gagnants dans tous les cas même si la balance, cette fois-ci, a penché du côté de celui qui était le plus populaire auprès du peuple camerounais, celui dont la victoire était souhaitée, même par la famille la plus étroite du chef de l’Etat (fils de Paul Biya en l’occurrence). Cette stratégie d’avoir de bons rapports avec le régime en place prouve qu’Eto’o fait montre d’un grand réalisme politique dans le cas du Cameroun. Sa victoire est une démonstration que nul ne peut arriver facilement à la tête de l’Etat du Cameroun ou d’une institution de pouvoir au Cameroun sans avoir des alliés de poids au sein du système en place. 90% de ceux qui vont travailler dans les équipes d’Eto’o sont déjà à la Fecafoot ou gravitent déjà autour avant lui.

Dès lors, sa tactique de monitoring du vote, c’est dire de surveillance du vote en exigeant les fouilles et le groupement de ses délégués au même endroit dans la salle, ont aussi été rendues possibles parce qu’il était en bons termes avec le régime en place. Eto’o est aimé du peuple camerounais. Avec cela comme acquis populaire, être en bons termes avec le régime en fait un homme avec un double bouclier politique que nul ne pouvait ébranler. Eto’o était imbattable car il avait avec lui à la fois le peuple et le régime en place. D’où la fait que Samuel Eto’o n’a pas été dans une compétition à armes égales avec les autres candidats en course. Alors que ses adversaires parlaient avec un seul argument (leur projet), Samuel Eto’o faisait campagne avec plusieurs de ses doubles que sont sa popularité au sein du peuple camerounais, ses bons rapports avec le président Paul Biya, ses bons rapports avec la famille présidentielle, sa carrière internationale stratosphérique, sa fortune financière, son carnet d’adresses internationales et son programme 2.0. Autant de forces qui s’adressaient indirectement aux délégués en leur disant ont vous regarde à l’œuvre.

La question politique de fond qui se pose ici est donc celle de savoir si c’est tout cela qu’il faut avoir pour être capable de surveiller des scrutins autres que celui de la Fecafoot au Cameroun ? Autrement dit, que faut-il faire pour que des citoyens qui ne sont pas Samuel Eto’o puissent surveiller leurs votes et les résultats des scrutins au Cameroun ? Comment arriver au pouvoir en étant opposant radical au régime en place qui maitrise les rouages de l’élection et n’y déroge que pour lui-même, c’est-à-dire pour ceux qui sont les siens ?

Au niveau national et concernant la magistrature suprême, la question est plus complexe. On peut effectivement se demander si adopter un bulletin unique dans des zones camerounaises où les populations ne savent pas lire pourrait augmenter ou faire baisser des cas de fraudes. Une autre limite de l’extension du cas Fecafoot au niveau national est que l’élection présidentielle ne se passe pas dans une salle mais dans de multiples localités parfois coupées du monde médiatique moderne et où le monitoring en direct est souvent impossible. D’autres territoires sont complètement en guerre et non contrôlés par l’Etat du Cameroun. Comment parler de démocratie au Cameroun lorsqu’on ne peut contrôler le territoire national comme Eto’o a contrôlé la salle de vote à la Fecafoot justement parce que celui-ci n’est pas une salle mais une géographie dont la dimension sociopolitique et cartographique ne coïncide pas toujours avec sa traduction en territoire politique sous contrôle de l’Etat et des différents candidats ?

Qu’est-ce qu’être Camerounais au XXIème siècle ?

Sans remonter au nominalisme colonial qui fit de nous des crevettes, quelques évènements plus récents peuvent nous permettre de répondre à cette question. Être Camerounais au XXIème siècle, c’est être un homme ou une femme qui apprend par médias interposés que les fonds covid-19 envoyés par la communauté internationale pour ses soins ont été détournés par des membres du gouvernement toujours en place, qu’aucun d’eux n’est poursuivi et que le rapport concocté à cet effet par la Cour des comptes reste discrétionnaire. Être Camerounais au XXIème c’est avoir un chef d’Etat que personne ne voit et qui ne dit rien sur la guerre civile qui sévit dans son pays, les travaux des stades qui traînent ou sur les massacres entre communautés au Nord du pays. Être Camerounais au XXIème c’est voir la BAS se lever contre la dédicace du livre d’une Camerounaise dans la diaspora, le gouvernement interdire celle d’un leader politique à Douala et assister à l’expulsion de celui-ci manu militari de la capitale économique du pays. Être Camerounais au XXIème c’est constater que la société camerounaise sombre dans la médiocrité tribale et l’esprit de guerre quand le principal opposant politique au régime menace d’ouvrir un autre front de guerre si le gouvernement continue à le harceler. C’est voir des complexes qui se construisent pendant plus d’une décennie et deviennent de simples stades inachevés. C’est faire l’expérience d’une parole publique qui ne vaut que du vent face à « un jour dit » qui devient un bout du tunnel transformé en mirage calendaire.

L’élection de Samuel Eto’o à la présidence de la Fecafoot alors qu’il possède la double nationalité confirme ce que nous savions et vivions déjà depuis plusieurs années. C’est-à-dire qu’être Camerounais au XXIème c’est aussi faire l’expérience des lois camerounaises appliquées à géométrie variable. C’est être interdit de voter et de candidater à une élection au Cameroun parce que sa loi n’autorise pas la double nationalité, mais c’est aussi connaître d’autres Camerounais qui, malgré cette double nationalité, sont députés, ministres, directeurs, ambassadeurs et désormais président de la Fecafoot. Oui, être Camerounais au XXIème équivaut à vivre une injuste permanente dans de nombreux domaines pour tous ceux qui n’ont pas le capital symbolique, politique, social et financier de Samuel Eto’o. C’est aussi cela l’autre enseignement de cette élection du goleador camerounais à la tête de la Fecafoot. Les questions qui en découlent sont : Comment, sans être Samuel Eto’o, vivre sa citoyenneté camerounaise de façon juste et équitable devant la loi camerounaise ? Est-ce seulement la diaspora en bon termes avec le régime en place au Cameroun qui peut servir son pays ?

Nous retrouvons ici le grand chantier du Cameroun à bâtir pour l’avenir, c’est-à-dire inventer un Etat et un pouvoir qui deviennent des chances pour tout le monde. C’est la clef de sortie de toutes nos crises actuelles. C’est à ce prix qu’être Camerounais au XXIème siècle deviendra un statut désirable par tous/toutes et donnera des racines et des ailes au pays.

Thierry Amougou, prof. Université catholique de Louvain (UCL), Belgique. / 237online.com

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