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L'ouverture sur le Cameroun

Cyrille Aymard BEKONO: La Cameroun n’a pas d’ambition hégémonique dans la Cemac

Le spécialiste de l’histoire des relations internationales analyse l’option du pays dans le jeu des influences au sein de l’espace communautaire.[b]Quand on sait que par le passé le Cameroun jouait un rôle de premier plan dans l’UDEAC, qu’est-ce qui explique que dans la CEMAC d’aujourd’hui, il soit en retrait ?[/b]
Bekono Cyrille : Ceux qui s’exercent à démontrer une telle opinion résument, généralement, leurs analyses à la seule participation du président de la République aux différentes rencontres des chefs d’Etat de la sous-région. En réalité, le Cameroun est bel et bien présent dans la CEMAC. Cette présence est visible aussi bien au niveau institutionnel que dans l’implémentation des objectifs de la CEMAC. Le Cameroun abrite les institutions de la CEMAC, à l’instar de la BEAC et de l’ISSEA. Nos compatriotes occupent des postes stratégiques dans les différentes structures de la CEMAC. Nous pouvons citer, en guise d’illustration, le poste de secrétaire exécutif de la CEMAC occupé par Jean NKueté (1999 à 2006) et celui de président de la Commission de la CEMAC occupé par Antoine Ntsimi (2007 à 2012).
Le Cameroun, pour ce qui est de la mise en œuvre des objectifs de la CEMAC en matière d’intégration sous-régionale, n’est pas en retrait. Si nous prenons, par exemple, le principe de la libre circulation des personnes et des biens, le Cameroun peut se positionner comme le bon élève de la CEMAC. Les ressortissants des Etats frères de la sous-région y entrent, s’installent et mènent librement leurs activités. Si on a pu regretter, il y a quelques années, l’absence répétée du président Paul Biya à certains sommets des chefs d’Etat de la CEMAC, on peut constater aujourd’hui qu’il y est de plus en plus présent. Quand bien même le chef de l’Etat ne participe pas à un sommet de la CEMAC, il se fait toujours représenter.

[b]L’émergence du Tchad solutionneur des conflits armés dans la sous-région et même en dehors constitue-t-elle un danger pour notre pays ?[/b]
Elle ne saurait constituer un danger pour le Cameroun. Déjà, je tiens à féliciter le président Idriss Déby pour cet élan panafricaniste qui constitue un point important dans le processus de renaissance du continent. Il est, tout de même, important de préciser que le Tchad n’agit pas seul. Dans les deux conflits armés plus proches de nous, à savoir la crise centrafricaine et la lutte contre Boko Haram, il est clair que l’intervention de l’armée tchadienne s’inscrit dans un cadre concerté au niveau de la sous-région. Vous êtes sans ignorer les efforts du contingent de l’armée camerounaise et d’autres pays de la sous-région dans le rétablissement de la paix en RCA. Le succès de l’armée tchadienne, qui bénéficie du droit de poursuite des terroristes du Boko Haram en territoire nigérian, n’éclipse pas les nombreuses victoires des vaillants soldats camerounais. En réalité, on devrait se réjouir de l’attitude de l’armée tchadienne qui n’agit pas, du moins pour le moment, contre les intérêts du Cameroun. Un Tchad fort dans la sous région, ne ferait que le bonheur d’une Afrique qui entend désormais trouver des solutions endogènes aux problèmes qui meublent son quotidien.

[b]Peut-on dire que présentement le Cameroun est plus soucieux de préserver son intégrité territoriale au détriment d’une ambition de domination politique dans la sous-région au regard de sa prédominance économique ? [/b]
La préservation de l’intégrité de notre territoire a toujours été au cœur des préoccupations du gouvernement de Yaoundé. Que l’on se souvienne de l’attitude du gouvernement camerounais sur le sujet de la presqu’île de Bakassi face au puissant voisin nigérian. Aujourd’hui, le gouvernement et le peuple camerounais tiennent tête aux terroristes du Boko Haram et aux rebelles centrafricains.
Le régime Biya, il me semble, n’a jamais manifesté une quelconque intention de s’imposer politiquement dans la sous-région. Quel serait, pour le Cameroun, l’intérêt d’une telle ambition? Nous ne pouvons pas reprocher aux Occidentaux leurs visées hégémoniques sur le monde et souhaiter, au même moment, que le Cameroun adopte la même attitude vis-à-vis de ses voisins de la sous-région. Le Cameroun n’a pas à imposer ses vues, d’une manière hégémonique, aux pays de la sous-région. La CEMAC a des objectifs clairement définis. Le Cameroun, à mon avis, devrait se déployer pour leur réalisation et dans le respect de la souveraineté des Etats membres.

[b]D’après-vous, la politique étrangère du Cameroun dans la CEMAC connaît-elle un rayonnement escompté ? [/b]
L’un des éléments fondateurs de la politique étrangère du Cameroun sous le « Renouveau », c’est le rayonnement de notre pays sur la scène internationale. Il me semble que la politique étrangère du Cameroun dans la sous-région, du fait de l’absence du président Biya à certains sommets aux enjeux incommensurables, a du mal à atteindre le rayonnement escompté. J’en veux pour preuve la désignation de Libreville comme siège de la Bourse des valeurs de la CEMAC, au détriment de Douala. Le 04 août 2004, alors que Libreville accueillait un sommet spécial de la CEMAC, avec la présence du directeur du FMI, Rodrigo Rato, le chef de l’Etat camerounais se fit représenter par son premier ministre Peter Mafany Musonge. A cela s’ajoute l’absence d’une politique de placement des Camerounais à des postes stratégiques dans les organismes internationaux.
Je pense que la diplomatie camerounaise dans la sous-région, tout comme à l’échelle continentale, est moins une diplomatie de puissance que de prestige. Pour atteindre le rayonnement escompté, la créativité et l’originalité devraient s’inviter aussi bien au moment de la conception de la politique étrangère du Cameroun qu’à son implémentation.

[b]Le Cameroun doute-t-il de ses potentialités réelles en Afrique Centrale ?[/b]
Non, il en est parfaitement conscient. Le problème c’est qu’il ne s’en sert pas, pour s’affirmer en tant que locomotive incontestée et incontestable dans la sous-région. Il dormirait sur ses lauriers, pour le seul prétexte qu’il est le « leader naturel » de la zone CEMAC, du fait de son poids économique et démographique, ainsi que de sa position géostratégique. Encore une fois, la créativité et l’originalité devraient nous aider à utiliser ces potentialités au mieux de nos intérêts.

[b]Que peut faire le Cameroun pour retrouver son rôle de leader dans la zone CEMAC face aux velléités d’affirmation manifestées par d’autre pays, à l’instar de la Guinée équatoriale et du Gabon ?[/b]
Il me semble que le leadership escompté de notre pays devrait s’écrire sur les lignes déjà tracées par la CEMAC, en y injectant une bonne dose de l’originalité camerounaise. C’est dire que le Cameroun, selon moi, jouerait le rôle de véritable leader, accepté de tous, en appliquant les résolutions de la CEMAC et en obligeant les Etats frères de la sous-région à faire autant. La place du Cameroun dans la CEMAC doit être celle de locomotive.

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