La cérémonie de présentation officielle du document de la Commission nationale anti-corruption (Conac) s’est tenue le 25 novembre 2015 à Yaoundé.
Les experts se sont appuyés sur les 2758 dénonciations reçues pour classifier les infractions par secteur d’activité. La tricherie dont il est question est prise dans son sens le plus simple, c’est-à-dire le « fait de ne pas respecter les règles pour profiter davantage», précise dans son allocution le Dr Dieudonné Massi Gams, le président de la Conac. Elle est relative à toute infraction aux règles de bonne gouvernance et aux normes établies, à toutes sortes de comportements déviants observables dans l’accomplissement des missions ou dans l’exercice d’une activité quelconque. Ainsi définie et conçue, la tricherie n’a épargné aucun secteur au Cameroun en 2013, consacrant de ce fait le caractère multiforme, divers et changeant du phénomène de la corruption.
Plus de 50 milliards de FCFA récupérés par la Conac
En 2013, la Conac a procédé aux investigations suivantes: audit administratif et financier du Crédit foncier du Cameroun, des hôpitaux généraux de Yaoundé et Douala, allégations de fraudes fiscales à la Société africaine des Brasseries du Cameroun (Sabc), paiement des indemnisations à Nkoteng village, allégations de malversations et de fraudes dans le projet Rumpi et le concours d’entrée à l’Ecole normale supérieure de Yaoundé et l’Ecole normale supérieur de l’enseignement technique (Enset) de Bambili de l’université de Bamenda, l’électrification rurale de la ville de Lobo dans la région du Centre, département de la Lékié, la perception et la gestion des frais de délivrance des relevés de notes et attestations de réussite au ministère des enseignements secondaires, le détournement des fonds de la route Bazou-Tongo village. Il faut y ajouter 20 missions de l’Antenne d’intervention rapide (Air) pour les cas de flagrant délit et les investigations dans les postes de péage et de pesage effectuées par le Comité de suivi-évaluation du secteur des Transports.
Au bout du compte, bien que la Conac ne soit pas spécialement chargée du recouvrement des fonds publics, ses différentes actions ont permis, de manière directe ou indirecte, soit d’éviter à l’Etat de perdre de l’argent, soit de lui restituer de l’argent indûment perçu. Le total des sommes versées au trésor public ou en cours de versement, à la suite des actions de la Conac, s’élève, en 2013, à la somme de 50 milliards 464 millions 843 mille 627 FCFA. Pour sa part, l’Agence nationale d’investigation financière (Anif), au cours de la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2013, a enregistré 315 déclarations de soupçon souscrites par les professions assujetties, contre 153 en 2012, soit une hausse de 105,88%. Au cours de la même période, 45 dossiers ont été transmis aux procureurs compétents après exploitation et enrichissement des déclarations contre 44 dossiers en 2012.
Le flux financiers repérés par l’Anif pour les 45 dossiers transmis en justice au cours de l’exercice 2013 sont estimés à 130 milliards 450 millions932 mille638 FCFA par infraction sous-jacente. Au 31 décembre 2013, l’Anif a reçu 49 requêtes venant des services homologués. Toutes ces demandes ont été traitées et des réponses appropriées ont été acheminées aux services requérants. A la même date, l’Anif a sollicité l’assistance de cellules de renseignements financiers homologués sur 61 demandes d’informations, 39 réponses lui ont été envoyées. Au-delà de cette collaboration opérationnelle, l’Anif a poursuivi conformément à la législation en vigueur en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, des échanges avec diverses administrations tout au long de l’exercice 2013 au plan national, sous-régional et international.
Le Conseil de discipline budgétaire et financière (Cdbf) des services du Contrôle supérieur de l’Etat a rendu 43 décision dont 33 portent condamnation des agents mis en cause et 10 portent abandon des poursuites ou acquittement. Les 33 décisions ont conduit le Cdbf à mettre en débet les personnes visées pour un montant de 39 milliards 352 millions 738 mille 390 FCFA. Bien plus, ces personnes ont été frappées des amendes spéciales d’un montant cumulé de 33 millions 900 mille FCFA. Enfin, le tribunal criminel spécial a rendu 41 décisions dont 22 portant condamnation, 3 d’incompétence, le reste portant complément d’information, production de pièces ou expertises diverses. A l’issue de ces décisions, l’état des sommes recouvrées et reversées au trésor public est évalué à 2 milliards 148 millions 197 mille 513 FCFA.
Quelques administrations épinglées par la Conac
Administration territoriale et décentralisation : l’anarchie des débits de boisson
L’on a déploré le non respect de la réglementation régissant les débits de boissons et salles de jeux, les manœuvres observées dans la désignation de certains chefs traditionnels et la mauvaise gestion des ressources financières de la majorité des collectivités territoriales décentralisées. Parlant de la planification et de l’aménagement du territoire, les comportements de tricherie se sont manifestés par la surévaluation, la sélection et la validation intéressées de certains projets et programmes.
Santé-Education : le règne des établissements clandestins
Dans le secteur éducatif, les 169 dénonciations reçues font état des phénomènes tels que la fraude aux examens et concours, l’existence d’établissements privés clandestins, la vente illicite des tenues et fournitures scolaires, la perception désordonnée des frais destinés aux associations des parents d’élèves et enseignants, les recrutements anarchiques des élèves, le monnayage des affectations et des nominations des enseignants qui sont particulièrement décriés.
Pour la santé, l’on a assisté à l’accroissement exceptionnel du nombre de formations sanitaires clandestins, à la vente illicite et permanentes des médicaments, à l’utilisation et la délivrance de faux certificats médicaux, à la répartition complaisante des quotes-parts et au sabotage des équipements dans le but de détourner les malades vers des structures privées.
Transports : les autos écoles clandestines envahissent la rue
Le nombre accru d’auto-écoles clandestines, la délivrance de faux permis de conduire et autres faux titres de transports ont été constamment dénoncés. C’est le cas aussi des contrôles routiers où la corruption s’opère à ciel ouvert, de la gestion calamiteuse des frais perçus au titres des amendes et du fonctionnement opaque du bureau de gestion du fret terrestre, cet autre serpent de mer devenu un Etat dans l’Etat.
Foret, faune, élevage et pêche : pillage des espèces protégées
Les comportements se rapportant à la tricherie dans le secteur des forêts et de la faune en 2013 sont les suivants : l’exploitation frauduleuse des essences protégées, le racket des exploitants forestiers, l’organisation frauduleuse des ventes aux enchères, le contrôle illégal des produits forestiers et fauniques par certains éléments des forces de maintien de l’ordre, la dissimulation des informations relatives à l’exploitation forestière, l’enrôlement des agents ne relevant pas de l’administration publique dans les contrôles. Par contre, dans les activités du secteur de l’élevage, des pêches et des industries animales, plusieurs dérives ont été recensées, comme l’exportation et l’importation clandestines du bétail, des médicaments vétérinaires, du matériel d’élevage et des intrants alimentaires, l’établissement de faux certificats et laissez-passer sanitaires.
Médias : création des entreprises frauduleuses
Le secteur des médias est gangrené par la création frauduleuse d’entreprises de communication, la manipulation des consciences à travers les campagnes de lynchage médiatique ou de blanchiment de personnes attraites en justice. C’est le domaine du journalisme d’un autre type, à savoir la presse à gages, «des journalistes du Hilton» ou de réseaux constitués pour fragiliser les personnalités et salir l’image de marque des institutions ainsi que du pays.
Le secteur foncier : vente illicite du domaine privé de l’Etat
Le secteur foncier voit prospérer les pratiques de tricherie comme la vente illicite des terrains du domaine privé de l’Etat, le non-respect de la réglementation en matière de visa, la prénotation judiciaire, l’opposition et l’hypothèque, les irrégularités constatées dans la tenue des livres fonciers et autres registres importants, la perception des frais illicites dans les procédures d’immatriculation foncière, l’immatriculation des terrains sans aucune mise en valeur, l’occupation irrégulière et la sous-locations des logements administratifs.
Marchés publics : 199 requêtes déposées
Pour ce qui est des marchés publics, 199 requêtes ont été reçues à la Conac. Dans ce domaine, la tricherie s’est étendue aux lenteurs dans les procédures, à la rétention des dossiers, à la divulgation du secret du marché, à la subjectivité dans les procédures, à la soustraction frauduleuse des pièces du dossier d’appel d’offres, au recours systématique et volontaire à la procédure du gré à gré, à la facturation des prestations fictives, à l’apposition de visa sur des dossiers entachés d’irrégularités, la révision ou l’actualisation irrégulière des prix, l’orientation d’une évaluation, la réception des offres après le délai et le fractionnement des marchés.
Travaux publics : des fraudes et surfacturation
Dans le secteur des Travaux publics, les enquêtes et contrôles physico-financiers menés par la Conac ont permis de se rendre compte, à l’évidence, que certaines pratiques continuent de prospérer, à savoir : les doublons, la surfacturation, la fraude sur les quantités, les qualités et le mode d’exécution et le surenchérissement. S’agissant des doublons, c’est une pratique frauduleuse, source de détournement de sommes d’argent colossales. Dans ces documents de chantier, les mêmes quantités sont affectées à plusieurs prix. Il en résulte un paiement à plusieurs reprises du même travail. Quant à la surfacturation, cette pratique contribue aussi à ruiner l’Etat. En effet, la valeur des prix unitaires relatifs aux travaux est maximisée avec pour conséquence l’enchérissement des coûts des travaux. Elle revêt un double aspect : la surfacturation par augmentation du prix unitaire et la surfacturation par augmentation des quantités. En ce qui concerne la fraude sur la qualité, elle consiste à réduire les dosages prescrits en diminuant les quantités de matériaux incorporés par rapport aux indications qui se trouvent dans le secteur des clauses techniques et particulières ou sur les plans d’exécution approuvés. Il peut s’agir aussi de mettre en œuvre les intrants de moindre qualité par rapport aux standards définis ; le résultat étant le même, à savoir la baisse de qualité et les économies irrégulières sur les intrants. La fraude sur le mode d’exécution vise à réduire les moyens de mise en œuvre pour diminuer le coût d’investissements (réduction des effectifs, utilisation d’un personnel non qualifié et d’un matériel inapproprié, non-respect des dispositions constructives). Ce type de fraude est le plus pratiqué dans les travaux en régie. Enfin, la pratique du surenchérissement a pour but d’affecter un prix unitaire inapproprié au paiement d’une tâche.
Eau et énergie : A l’ère du siphonage des bouteilles de gaz
Dans le secteur de l’eau et de l’énergie, trois pratiques ont particulièrement gagné le terrain de la tricherie. Il s’agit du détournement vers le circuit intérieur des carburants «hors taxes» destinés à l’export, du phénomène de «champ de tir» pour procéder au mixage des produits pétroliers et du siphonage des bouteilles de gaz à usage domestique qui a occasionné le grave incendie survenu en 2014 au quartier Etoudi à Yaoundé, non loin du palais présidentiel.