Marie-Claire Nnana, l’inamovible directrice générale de la Sopecam, l’éditeur du quotidien national Cameroon Tribune, vient d’échapper de justesse à un limogeage qui semblait pourtant scellé. En cause : un dossier explosif sur le conflit entre la Fecafoot de Samuel Eto’o et le ministère des Sports, qui a suscité l’ire de Ferdinand Ngoh Ngoh, le tout-puissant secrétaire général de la présidence. Mais c’était sans compter sur le soutien de poids de la Première Dame Chantal Biya, qui serait intervenue en personne pour sauver la tête de sa protégée. Une affaire qui illustre avec éclat les luttes de clans qui agitent les allées du pouvoir au Cameroun.
L’article de trop pour Nnana ?
Tout est parti de l’édition du 31 mai de Cameroon Tribune. Ce jour-là, le quotidien gouvernemental publie un dossier complet sur la guerre ouverte qui oppose Samuel Eto’o, président de la Fédération Camerounaise de Football, à Narcisse Mouelle Kombi, le ministre des Sports. Un conflit à rebondissements qui passionne les Camerounais, et sur lequel Paul Biya lui-même a dû trancher à plusieurs reprises.
En rappelant dans ses colonnes les interventions musclées du chef de l’État dans ce dossier, Cameroon Tribune pensait sans doute bien faire. C’était pourtant l’article de trop pour Ferdinand Ngoh Ngoh, qui a aussitôt réclamé la tête de Marie-Claire Nnana, à la tête du journal depuis 2002, pour “fautes lourdes”. Une session extraordinaire du conseil d’administration de la Sopecam est convoquée, et les noms des successeurs potentiels commencent à fuiter. La patronne de Cameroon Tribune semble condamnée.
La Première Dame monte au créneau
C’est alors que Marie-Claire Nnana joue son va-tout. Dans une lettre adressée directement à Paul Biya, que s’est procurée 237online.com, elle prend la plume pour défendre bec et ongles son dossier. La publication des articles visait à “mettre en exergue et valoriser [la] haute implication personnelle [du président] pour une bonne marche des affaires de la nation”, plaide-t-elle. Et d’enfoncer le clou : les Camerounais ont “applaudi” la démarche présidentielle, l’“encourageant à poursuivre cette politique d’assainissement et de fermeté dans tous les domaines”.
Un argumentaire bien rodé, qui semble avoir fait mouche au sommet de l’État. Car selon nos informations, c’est Chantal Biya elle-même, considérée comme la principale protectrice de Marie-Claire Nnana, qui serait intervenue en personne auprès de son époux pour bloquer le limogeage. Résultat : le conseil d’administration de la Sopecam qui devait acter le départ de la patronne de Cameroon Tribune a été reporté sine die sur instruction expresse de Paul Biya. Un camouflet pour Ferdinand Ngoh Ngoh.
Cameroon Tribune, un nouveau front dans la guerre des clans ?
Au-delà du cas Nnana, cette affaire est révélatrice des luttes d’influence qui se jouent en coulisses au palais d’Etoudi. Car derrière la patronne de Cameroon Tribune, c’est tout un réseau qui a été mobilisé pour contrer l’offensive de Ferdinand Ngoh Ngoh. De Samuel Mvondo Ayolo, le directeur du cabinet civil et soutien indéfectible de Marie-Claire Nnana, à feu Martin Belinga Eboutou, l’ancien homme fort du palais dont elle était proche, la directrice de la Sopecam peut compter sur des alliés de poids dans son bras de fer avec le secrétaire général de la présidence.
Une guerre des clans qui semble trouver un nouveau champ de bataille au sein même des médias d’État. Selon une source proche du palais citée par 237online.com, le dossier Nnana illustrerait ainsi la lutte d’influence opposant Ferdinand Ngoh Ngoh à Samuel Mvondo Ayolo, qui se disputent le contrôle de la CRTV et de Cameroon Tribune. Un bras de fer à distance dont Marie-Claire Nnana aurait bien failli être la victime collatérale.
Reste à savoir si la protection de Chantal Biya suffira, à terme, à mettre la patronne de Cameroon Tribune à l’abri des foudres de Ferdinand Ngoh Ngoh. Une chose est sûre : en jetant ainsi la lumière sur la guerre des clans qui fait rage au sommet de l’État, l’affaire Nnana prouve une fois de plus que dans le landerneau politique camerounais, l’information est une arme comme une autre. À manier avec précaution.