Cameroun – Transport aérien : Camair-Co, 10 ans de turbulences

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Le 28 mars dernier, la Cameroon airlines corporation (Camair-Co) a célébré la dixième année du lancement de ses opérations.

Une décennie pendant laquelle la compagnie aérienne nationale a toujours tourné à perte. Véritable gouffre à sous, elle doit sa survie aux multiples perfusions financières de l’Etat. « Notre priorité est de devenir rentable d’ici à trois ans. » Voilà ce que promettait le directeur général de Camair-Co, Alex Van Elk, le 13 avril 2011, au micro de « Jeune Afrique ». Malgré plus de dix années d’activité, le transporteur national est très loin de cet objectif. Au contraire, il est plutôt lourdement endetté, malgré les multiples apports financiers de l’Etat. Le 19 juin 2020, le Cabinet Okalla Ahanda& Associés évaluait sa dette à 110 milliards de francs cfa. Le commissaire aux compte de de l’entreprise ajoutait que ses pertes accumulées au 31 décembre 2018, étaient de près de 99,2 milliards. Le cabinet projetait également une perte prévisionnelle de 15 milliards en 2019, et 12 milliards au premier semestre 2020. Ces chiffres sont les derniers officiellement connus, d’une entreprise qui ne rend presque jamais publiques ses performances économiques.

Effectif pléthorique

Si en dix années d’activité, Camair-Co n’a jamais décollé, c’est parce que plusieurs facteurs l’empêche de prendre de l’altitude. Parmi ceux-ci, un nombre d’employés au-dessus de la norme internationale (elle prévoit environ 80 employés par avion). Au lancement de ses opérations, le 28 mars 2011, le fleuron public comptait 350 salariés pour 3 aéronefs. C’est une moyenne de 116,66 travailleurs par avion ; soit un excédent de 45,83%. Malgré cet effectif déjà pléthorique, Camair-Co projetait avoir 450 personnels à la fin de l’année. Ainsi, en juin 2014, le pavillon national emploie 523 personnes pour 3 appareils (174,33 personnes par appareil). Le ratio se normalise un peu en juillet 2018, avec 568 personnels pour 5 aéronefs (113,6 personnels par aéronefs).

Une flotte défaillante

Au lancement de ses activités, Camair-Co dispose d’une flotte de trois aéronefs : un Boeing 767-300 (propriété) destiné aux vols long-courriers (hors de l’Afrique), et deux Boeing 737-700 (en location), prévus pour les routes domestiques et régionales. Au fil du temps, ces avions sont plusieurs fois mis hors service, pour de nombreuses pannes et défauts de payement des frais de location (uniquement les deux B737-700). A la direction de l’entreprise, on explique ces pannes à répétition par la difficulté à obtenir des pièces de rechanges. Résultat :« l’étoile du Cameroun » annule et reporte plusieurs vols, et sape le peu de confiance dont elle bénéficiait auprès de ses clients. Le 19 avril 2017, pour réduire ce problème de disponibilité de sa flotte, le transporteur achète les deux B737-700 qu’il loue depuis mars 2011. Mais depuis janvier et février 2019, les deux appareils sont cloués au sol. Ils attendent désespérément d’être convoyés à Addis-Abeba en Ethiopie, pour y subir une maintenance générale. Ils doivent rejoindre dans les ateliers d’Ethiopian Airlines, le B767-300, qui y estdepuis le 12 janvier 2018. Néanmoins, Camair-Co peut exploiter les deux MA60(immatriculés Tjqda et Tjqdb) achetés en 2013, et d’autres avions pris en location pour poursuivre la desserte de son réseau domestique.

Malheureusement, le 1er décembre 2019, le TJQDB essuie des tirs d’arme à feu lors de son atterrissage à Bamenda, et est mis hors service. En début 2020, le TJQDA est lui aussi cloué au sol, faute de maintenance. Depuis décembre dernier, ce dernier est de nouveau apte à voler. Selon une source de « Le Messager », l’un des deux B737-700 sera bientôt également remis sur pied. Il remplacera le B737-500 pris en location en septembre dernier, et qui a permis à Camair-Co de relancer ses opérations le 18 octobre. Il s’ajoutera à l’Embraer 135 pris en leasing le 14 mars dernier. Il faut rappeler qu’en juillet 2020, le Président Paul Biya a ordonné le déblocage d’une enveloppe de 15 milliards pour le dépannage des deux B737-700, et la prise en location de deux Dash 8. Par contre, les projets de location-achat de six autres Boeing (un B767, trois B737, un B757 cargo et un B737 cargo), annoncés en 2015, n’ont jamais abouti.

La valse des DG

S’il y a un domaine dans lequel Camair-Co se démarque particulière, c’est celui de l’instabilité de son top management. Depuis 2009, la structure crééepar décret présidentiel n° 2006/293 du 11 Septembre 2006, a déjà eu huit directeurs généraux. Si le premier, Gilbert Mitonneau, a démissionné trois mois seulement après sa nomination, les huit autres ont tous été limogés (Alex Van Elk, BoertienMatthijs Johannes, Frédéric MbottoEdimo, Jean-Pierre Nana Sandjong, Ernest Dikoum, Louis Georges NjipendiKouotou). Actuellement en poste, Jean Christophe ElaNguema y a été nommé le 19 Janvier dernier.

L’éclaircie Ernest Dikoum

Arrivé à la tête de Camair-Co le 22 août 2016, Ernest Dikoum a plus ou mis la compagnie sur la piste de décollage. Au 31 décembre 2017, elle enregistre une augmentation de 61% de son chiffre d’affaires, 94% de son trafic de passagers, 27% de son nombre d’heures cumulés de vols, et 174% de sa productivité, comparé à 2016. Ces bonnes performances se poursuivent jusqu’au premier semestre 2018. Cette fois, son chiffre d’affaires croit de 142%, et son trafic de passagers de 67%, par rapport à juin 2017. Fort de ses belles performances, Camair-Co réduit son déficit de 68%, passant de -4,7 milliards de francs à – 1,8 milliards. Sur le plan opérationnel, le transporteur relie Douala à Yaoundé, Bafoussam, Bamenda, Garoua, Maroua et Ngaoundéré. En Afrique, il vole vers Abidjan (Côte d’Ivoire), Bangui (République Centrafricaine), Cotonou (Bénin), Dakar (Sénégal), Libreville (Gabon), Lagos (Nigéria) et N’Djamena(Tchad). La compagnie prévoit de desservir Bamako (Mali), Brazzaville (Congo) et Kinshasa (République Démocratique du Congo). Elle songe également à rouvrir sa route à destination de Paris en France (fermée en 2015), et à la prolonger vers Londres au Royaume-Uni. Malheureusement, avec la mise hors service de ses deux B737-700 (faute de moyens financiers pour leur maintenance), respectivement en janvier et février 2019, Camair-Co repique subitement du nez. Dans la foulée, monsieur Dikoum est limogé le 27 mai de la même année. Depuis lors, le fleuron national n’a plus jamais été prometteur. Aujourd’hui, il dessert seulement Douala, Yaoundé, Maroua, Garoua, Ngaoundéré et Bafoussam. Pour le moment, on ne sait pas quand est-ce que le transporteur rouvrira sa route vers Bamenda, et celles à destinations de pays africains.

Quid du plan de restructuration de Boeing Consulting ?

Le 25 juillet 2016, soit un mois avant la nomination d’Ernest Dikoum au poste de DG de Camair-Co, l’Etat approuve le plan de restructuration de la compagnie. Proposé par Boeing Consulting, celui-ci prévoit l’apurement par les pouvoirs publics, de la dette du transporteur, évaluée à 35 milliards de francs. L’injection dans les caisses de la société d’une somme de 60 milliards. Celle-ci doit servir à l’acquisition de neuf aéronefs au plus tard en 2019, afin de porter la flotte de Camair-Co à quatorze avions. Le réseau du pavillon national doit quant à lui être de vingt-sept destinations (nationales, régionales et intercontinentales). Mais à date, ce plan réalisé à plusieurs millions de francs, a été jeté à la poubelle. Lassé d’injecter de l’argent dans la structure publique, le Chef de l’Etat demande, en juillet 2020, de la préparer pour une privatisation partielle (51%). A date, on ne sait toujours pas où en est le projet.

Le Prince FOGUE

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