Les partisans de Paul Biya accusent l’hebdomadaire panafricain « d’hostilité éditoriale ».
Acharnement, complot, chaos, manipulation, désinformation, l’hebdomadaire panafricain paraissant à Paris est accusé de tous les maux. Dans le rôle d’accusateurs, les partisans les plus zélés du régime de Yaoundé. La moindre Une de Jeune Afrique sur le Cameroun provoque des levées de bouclier. L’une des plus récentes, « Qui dirige vraiment ?», sur fond de photo de Paul Biya, a provoqué des réactions courroucées. En particulier, celle du député Rdpc, Peter William Mandio, à nos confrères de Mutations : « Cet article polémiste et provocateur me rappelle un autre paru il y a quelques années dans le même journal où il titrait à sa Une avec la photo du chef de l’Etat : « Et pourtant il gouverne !». Il intervient aussi après les éditions sur « Guerandi Mbara : le fantôme d’Etoudi », « Cameroun le péril jeune » et tout récemment un curieux publi-reportage aux relents « gombotiques » sur le régime Biya.
A l’analyse, cette instabilité éditoriale trahit une certaine frivolité de ce journal et sa propension maladive au chantage et au braquage financier. » Un journal camerounais, L’épervier, est allé plus loin, questionnant les financiers de l’hebdomadaire, dans ce qu’il considère comme une cabale contre le pouvoir de M. Biya : « Ceux des Camerounais qui ont parcouru dans son entièreté les 132 pages de Jeune Afrique ont assurément pu constater dans les pages 123, 124 et 125 les appels à manifestation d’intérêt (…). Le journal de la rue d’Auteuil bénéficie donc des financements de certains membres du gouvernement camerounais, mais traine l’image de son président de la République dans la boue. Quelle mouche a donc piqué les responsables du ministère (…) pour qu’ils prennent des insertions dans un journal qui ne cache plus ses ambitions de tout mettre en oeuvre pour plonger le Cameroun dans le chaos ? A travers cet acte, le ministre (…) serait-il en train de ramer à contre-courant de l’unité nationale face aux ennemis qui veulent déstabiliser le Cameroun », s’interroge le journal.
Cris d’orfraie
L’article de Jeune Afrique intitulé «Cameroun, le péril jeune » dans lequel il est fait état d’une situation jugée d’explosive, en raison d’une part, de la confiscation des positions de pouvoir par des personnalités d’un âge avancé, et d’autre part, de la mise à l’écart et de la paupérisation de la jeunesse camerounaise par le régime, a sans doute remporté la palme d’or des cris d’orfraie. Le ministre de la Communication a même dû faire une déclaration publique pour s’inquiéter des « menaces que font planer de telles allégations sur le climat social dans notre pays ». Issa Tchiroma a ajouté que l’hebdomadaire parisien est « du reste devenu coutumier de l’invective et de l’acharnement systématique contre le Cameroun. »
Ces derniers mois, l’un des titres les plus critiqués par les partisans du régime est « Le fantôme d’Etoudi », un article publié le 15 septembre 2014 indiquant que l’opposant Guerandi Mbara a été arrêté par des services de renseignement camerounais, ramené au Cameroun, remis à la Direction générale des renseignements généraux qui l’a conduit entre Edéa et Pouma sur l’axe-lourd Yaoundé-Douala. Jeune Afrique indiquait que l’hypothèse la plus plausible est que Guérandi Mbara a été exécuté. Interrogé par Le Jour, le ministre de Communication avait parlé de « rumeurs ».
Un autre sujet qui fâche. A la Une du n°2753, deux photos. L’une d’un Paul Biya dont le visage porte les marques de l’âge, l’autre d’un Amadou Ahidjo fringant. Entre les deux premiers présidents du Cameroun, une marque de déchirure et en dessous un titre : « Cameroun : Les fantômes du palais ». Il est question du rapatriement toujours attendu de la dépouille du président Ahmadou Ahidjo, mort en exil au Sénégal en 1989. Peu de temps avant, l’éditorial du directeur de la rédaction de Jeune Afrique dans le n°2751 du 29 septembre au 5 octobre 2013 avait irrité les proches du président. François Soudan y qualifiait la condamnation de Marafa Hamidou Yaya d’aberration judiciaire. Un autre numéro (J.A. n°2749 du 15 au 21 septembre 2013), affichait ce titre : « Malaise dans les rangs », qui consacrait un dossier aux problèmes de l’armée camerounaise.
Liberté d’expression
Le pouvoir estime que depuis plusieurs années, Jeune Afrique affiche une « hostilité éditoriale » récurrente à l’égard du Cameroun. Sur le sujet, Issa Tchiroma avait même fait une revue de presse détaillée: « Sur l’année 2011, le 24 avril de cette année, Jeune Afrique titre : « Comment va le Cameroun ? » Toujours en 2011, le 10 octobre, l’hebdomadaire revient à la charge avec en titre encore plus provocateur : « Cameroun. Paul Biya, jusqu’à quand ? »
Passons à présent en 2012. Et c’est la Première Dame qui commence à faire les frais sous le titre : « Chantal Biya, femme invisible », avant que le 12 novembre 2012, le Chef de l’État ne redevienne lui-même la cible : « Cameroun : 1982-2012, de Biya à Biya ». L’année d’après, le 16 juillet 2013, le Chef de l’État est mis en accusation face aux régions septentrionales sous le titre « Cameroun: Biya face au Nord ». Deux mois plus tard, c’est l’épouvantail militaire que l’on tente cette fois-ci d’agiter. Le titre à lui seul en dit long : « Cameroun, une armée inquiète ». Dès le début de cette année, Franck Biya, le fils aîné du Chef de l’État est à son tour allumé sous le titre : « Franck Emmanuel Biya, fils d’influence ».
Le directeur de la Rédaction de Jeune Afrique se désole de l’outrance, de la violence, de l’hystérie du vocabulaire utilisé pour critiquer l’hebdomadaire et observe que ceux qui le font ont un « problème avec la liberté d’expression ».
Claude Tadjon