Cameroun – Prestige : Quand l’enseignant perd sa classe

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Autrefois reconnu comme modèle de réussite sociale, nos chevaliers de la craie sont aujourd’hui contraints de raser les murs.

Une enseignante ? Non, plutôt une déesse. Madame Tsatedem ne laissait personne indifférent au Lycée Polyvalent de Bonabéri. A la fin des années 90, cette enseignante d’Espagnol était une véritable attraction. Sa 406 Peugeot renvoyait un éclat de cristal qui giclait sur la grande cours du Lycée. Ses tenues ? Un véritable régal. Des trois pièces sculptées au gré de son corps aux courbes finement taillées. Des robes aux couleurs chatoyantes qui faisaient l’éloge de la vie. On aimait Madame Tsatedem autant pour sa passion de la langue Espagnole qu’elle savait si bien transmettre que pour sa mise qui fascinait tout un Lycée. Dame Tsatedemn nous faisait rêver. Sa petite sœur, Gisèle, notre camarade de classe, ventait sans cesse l’aisance intellectuelle et matérielle de son ainé qu’elle s’était juré d’émuler.

Un corps sain dans un esprit sain…

Et quand Madame Tsatetem croisait dans un couloir une certain M. Kitio, les deux renvoyaient l’image d’une réussite sociale assumée. M. Kitio c’était le Prof de Philo. L’homme qui savait façonner les esprits laissait échapper une petite curiosité. Ses chemises d’un blanc transparent dévoilaient des billets de banque de 10.000 Fcfa soigneusement rangés dans l’une de ses poches. Et quand il tombait la veste pour s’asseoir dans sa Mercedes, il ne se privait pas de palper son argent sous les yeux hagards de ses élèves dont certains s’interrogeaient sur cette appétence du philosophe pour les signes numéraires. Qu’importe ! Notre prof avait les pieds sur terre. Philosophie ne rimait pas avec misère. Kitio avait séduit Tiako. Le jeune élève rêvait d’allier cette justesse de la parole au confort matériel. Tiako a vu Kitio et comme lui, il décidé de devenir enseignant.

Du rêve à la désillusion

N’ayant pas les faveurs de la philosophie, il s’est contenté de la littérature. Des années galères à l’Université de Yaoundé dans des amphithéâtres bondés comme des stades de football. Un clin d’œil de la providence et une entrée à l’Ecole Normale de Yaoundé. Une carrière d’enseignant depuis une quinzaine d’années pour s’ouvrir l’univers de la désillusion. « Déjà à l’Ecole Normale et à j’Université je savais que ce n’était plus le temps des Kitio et de Tsatedem. Etre enseignant n’était plus que du pur sacerdoce ou un refuge pour l’emploi. Mais je ne m’imaginais pas traverser des moments aussi compliqués. Après ma sortie de l’école, j’ai passé quasiment 3 années sans salaire en tant qu’enseignant au Lycée de Kekem. J’ai dû faire du commerce de vivres frais pour joindre les deux bouts. Je vivais dans une chambre sans toilettes modernes. J’avais deux ou trois pantalons et autant de chemises. Quand je pense à nos belles années aux Lycée, à Madame Tsatedem et M. Kitio qui me faisaient rêver… Je suis passé du rêve à la désillusion », raconte l’enseignant qui vient juste de passer la quarantaine.

Chauffeur, commerçant

Aujourd’hui, Tiako peut souffler. Il a obtenu une affectation dans un Lycée de Yaoundé. « Je jongle entre mes cours au Lycée et quelques « vacations » dans des collèges privés. En plus, le weekend je deviens conducteur « d’Opep », et là je ne te parle même pas de ma tenue », rigole ce père de trois enfants. Clairement acquis au système D, Tiako est un habitué de la gare de Miboman où il est reconnu comme un chauffeur plutôt affuté. A la gare, Tiako retrouve Jean B., un homme aux cheveux grisonnants qui fait office de doyen des lieux. T-Shirt sommaire, Blue Jeans usé et Baskets de circonstance, Jean B. ne recherche pas la différence. Mais dès les premiers échanges l’enseignant d’histoire laisse transparaitre sa grande culture. « Je n’ai aucun complexe à travailler ici. J’ai deux femmes et une dizaine d’enfants, comment croyez-vous que je puisse m’en sortir avec 200.000 Fcfa de salaire. Au fait je gagne plus dans ce boulot que quand je tiens la craie. Je ne regrette pas d’avoir formé de milliers de camerounais mais si c’était à recommencer je préférerai une carrière dans la mécanique ou le transport », glisse notre interlocuteur en appuyant sur une pédale de son véhicule.

Hiondi Nkam IV / 237online.com

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