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L'ouverture sur le Cameroun

Cameroun – Pr Tetanye Ekoe: « 6.500 médecins camerounais sont à l’étranger »

Le Vice-président de l’Ordre des Médecins du Cameroun et ancien doyen de la Faculté de médecine et des sciences biomédicales de Yaoundé aborde également dans cet entretien des questions relatives à l’ouverture de la multitude de facultés de médecine privées, à la délivrance de faux certificats médicaux et à l’équilibre régional pratiqué au Cameroun.
Le Professeur précise que ce chiffre n’est pas loin du nombre de membres de l’Ordre des Médecins porté aujourd’hui à 7.200. Le Professeur de pédiatrie, Tetanye Ekoe se prononce également sur la décision du gouvernement de lutter contre l’épidémie Ebola, à mille lieux de la zone du sinistre, du vaccin contre cette épidémie et revient sur l’expérimentation du Ténofovir, qui a fait des gorges chaudes au Cameroun en 2004-2005.

Professeur, à quoi vous occupez-vous depuis votre départ de la tête de la Faculté de médecine ? Vous êtes présenté comme Doyen honoraire. A quoi cela renvoie-t-il ?
Je m’occupe de tout ce que mes charges d’enseignant ne me permettaient pas de faire auparavant: mes charges de père et grand-père, la clinique de la Fondation médicale Frantz Fanon, la recherche opérationnelle, l’agriculture, la lecture et l’écriture. On ne chôme pas quand on jouit de sa retraite !

Maintenant que vous êtes à l’extérieur, quel regard jetez-vous aujourd’hui sur cette institution, qui constitue, comme l’Enam ou l’Iric, une cible pour tous ceux qui ambitionnent d’accéder à l’élite camerounaise ?
La Faculté de médecine et des sciences biomédicales (Fmsb), ex-Cuss reste à mes yeux une des plus belles réussites de notre pays depuis l’indépendance. Je continue de penser que cette école doit rester le porte-flambeau de la médecine dans notre pays. Malheureusement, le ministre de l’enseignement supérieur actuel a contribué à ternir ce flambeau en laissant prospérer avant 2011 une foule d’institutions privées admises à former des médecins, des pharmaciens ou des chirurgiens-dentistes sans préalablement vérifier leurs capacités dans ce domaine délicat. Tout cela avec le prétexte de combler notre retard en personnel de santé. J’affirme que ce fut un prétexte car nous savons aujourd’hui que cette opération de multiplication de ces fausses facultés de médecine privées, sauf dans un seul cas, cachait en réalité une opération peu recommandable au plan moral. L’on avait fait avaler au Chef de l’Etat de véritables couleuvres dont il a réalisé la nature et, dès qu’il en avait compris le fondement, avait donné instructions pour qu’on respecte les normes. Multiplier ainsi comme ce ministre l’avait fait le nombre d’institutions privées admises à former ce personnel d’élite sans s’être au préalable assuré de leurs capacités en enseignants qualifiés autres que ceux de la FMSB a objectivement altéré la qualité de la formation dispensée au sein de cette école.
Les quelque 170 enseignants permanents de cette école ne pouvaient pas objectivement à eux seuls, à la fois maintenir la qualité de la formation de leurs propres étudiants et servir de « tuteurs » aux nombreux autres étudiants des instituts privés qui n’ont pas d’autres formateurs. On est passé d’un ratio acceptable enseignants/enseignés de 1/14 au ratio réel de 1/50 ou 1/75. Quand on ajoute à cette carence celle liée aux infrastructures à restaurer et aux équipements didactiques à compléter, on ne peut qu’être inquiet sur le futur de cette institution unique en son genre. Le résultat des courses c’est que notre pays va bientôt former plus de 850 médecins par an au lieu des 150 médecins d’élite que le budget de la fonction publique pouvait absorber et distribuer dans l’ensemble du territoire.

L’on vous a présenté comme un « patron » intègre face au fléau que constitue la corruption. Peut-on être à la tête d’une telle institution et ne pas subir, même « contre son gré » les pressions pour faire admettre des jeunes camerounais dans cette « école » de médecine quasi gratuite ? (50.000 Fcfa).
Oui je l’ai fait. Je mets au défi tout Camerounais qui se souvient avoir réussi à faire admettre un étudiant autrement que par le seul mérite et la rigueur de la sélection académique. Aucun étudiant durant les six ans pendant lesquels j’ai tenu la barre de cette école n’a été admis autrement qu’en traversant le filtre de la sélection académique. Je reconnais que c’est un principe auquel j’ai tenu effectivement contre vents et marées et dans lequel je peux me réjouir d’avoir triomphé.

A ce propos, quel est votre point de vue par rapport  à l’équilibre régional, qui est institué au Cameroun, depuis le premier président Ahmadou Ahidjo ? Doit-on parler d’équilibre régional avec la santé des Camerounais ?
Si l’équilibre régional revient à faire prévaloir une certaine discrimination positive entre les régions favorisées d’une part et les régions défavorisées d’autre part, c’est une politique qui peut contribuer à assurer une meilleure représentation nationale au sein des corps d’élite de notre pays. La seule condition c’est que cette discrimination doit porter sur les meilleurs étudiants et ne doit pas se prolonger indéfiniment. Ainsi, si un étudiant d’une région défavorisée a une performance significativement comparable à celle d’un étudiant d’une région favorisée, il est normal que la priorité du recrutement donne sa chance au premier. C’est ce  principe qui a permis de donner par exemple un Barack Obama aux USA, un Ban-Ki-Moon ou un Koffi Annan à l’Onu. Néanmoins, une telle politique ne peut s’éterniser car elle suppose que tout soit fait pour permettre aux régions défavorisées de rattraper leur retard de manière à faire respecter la règle universelle. Ceci implique de formidables efforts pour renforcer les capacités de l’école maternelle jusqu’aux écoles secondaires normales et techniques. Ce n’est pas du tout ce que nous avons observé malgré de prodigieux efforts en la matière. Au contraire on voit se vulgariser des pratiques comme celles du récent scandale de l’IRIC.

L’on a l’impression qu’il manque de médecins dans nos hôpitaux. Qu’en est-il ? S’agit-il d’une formation insuffisante, en termes d’effectifs ou alors, que ces jeunes médecins s’exilent pour un meilleur traitement salarial ?
Il y a les deux phénomènes. Pour une population de près de 22 Millions d’habitants, nous comptons 2100 médecins fonctionnaires soit en réalité 1 médecin pour plus de 10.000 habitants. Ceci est nettement insuffisant. L’Ordre des médecins a toujours rappelé au gouvernement qu’il fallait procéder à un recrutement de nouveaux médecins pour combler cette carence et permettre au pays de faire face aux menaces qui se traduisent par l’augmentation de la mortalité maternelle à 700/10.000 naissances vivantes ou la stagnation de la mortalité infantile qui reste au-dessus de 122 /1.000 naissances vivantes. L’autre phénomène qu’on ne peut nier est la fuite des cerveaux et des jeunes médecins qui vont gonfler l’effectif des médecins camerounais à l’étranger notamment en Europe Occidentale. Par exemple on estime à 500 le nombre de médecins en Belgique, plus de 1.000 en Allemagne, plus de 3.000 en France, près de 2.000 aux Usa et Canada. On sait par ailleurs que près de 30% des jeunes médecins formés dans notre pays émigrent chaque année vers ces destinations. Quand on sait que le coût de formation d’un médecin dans notre pays est de près de 15 millions Fcfa par an soit près de 100 millions Fcfa pour toute la durée de la formation, on peut comprendre le cri d’alarme de l’Ordre des médecins qui crie au voleur ! Il y a de toute évidence quelque chose à faire pour arrêter cette hémorragie et améliorer les salaires de nos jeunes médecins de la fonction publique. Nous avons l’âme en peine de comparer les fonctionnaires des régies financières ou de la justice qui ne cherchent pas à émigrer ni à quitter leur postes à la recherche d’appendices à leurs salaires d’une part, à nos jeunes médecins qui font des heures supplémentaires dans les cliniques privées d’autre part pour arrondir leur fin de mois. Est-ce normal de traiter ainsi le personnel qui devrait se consacrer corps et âme à sauver les vies de leurs concitoyens ?

Que faire pour qu’ils reviennent, eux qui ont été formés par le Cameroun ?
Vous vous souvenez de ce que le Président Abdoulaye Wade qui n’est pourtant pas un modèle dans ce genre, dès qu’il avait fait augmenter le salaire des médecins sénégalais à 1 million Fcfa minimum, on a observé un reflux significatif des jeunes médecins sénégalais dans leur pays. Le Président Ouattara de Côte d’Ivoire avait fait la même chose dans son pays. On n’entend plus jamais les médecins de ces deux pays se plaindre ou garnir les cohortes des médecins émigrés en Europe ! C’est pourquoi nous nous sommes permis d’interpeller respectueusement le Chef de l’Etat sur cette question du salaire et des avantages accordés aux jeunes médecins de notre pays. En effet, lui seul est capable de décider de changer le sort de ces jeunes médecins et de donner un nouveau visage aux hôpitaux de notre pays. Je suis sûr que cette auguste intervention incitera les jeunes médecins et l’ensemble du personnel de santé à se donner plus à leur travail. Ceci suppose qu’en même temps la discipline et la rigueur accompagnent l’ensemble du processus de cette réforme.

Le plateau technique au Cameroun est-il l’une des raisons des départs au point où certains Camerounais refusent quasiment de se faire soigner sur place et préfèrent les évacuations sanitaires ?
Qui dit fuite des cerveaux et dépréciation du plateau technique dit aussi exode médical de ceux qui ont les moyens de se faire soigner à l’étranger. C’est quasi automatique. Soyons justes et nous reconnaissons les formidables efforts du gouvernement pour doter les différentes régions du pays dans les villes comme dans les campagnes de structures sanitaires respectables. Mais là où le bas  blesse c’est que, faute d’y trouver des médecins dévoués en nombre suffisant, ces structures sanitaires n’attirent guère plus de 20% de la population. Conséquence les familles se détournent vers les structures de la médecine traditionnelle ou informelle et pour ceux qui en ont les moyens, ils vont se faire soigner à l’étranger. La preuve, combien connaissez-vous de nos dirigeants qui osent se faire soigner dans leur pays ?

Le président de l’Ordre, Dr Guy Sandjon a laissé entendre que 10 milliards Fcfa sortent chaque année du Cameroun pour les évacuations sanitaires. Ne pourrait-on pas s’offrir de bons plateaux techniques avec cet argent…
Ce que le Président Sandjon affirme est en réalité le minimum de la vérité en cette matière. J’insiste que des plateaux techniques modernes exigent la présence d’un minimum de médecins et de personnels de santé motivés, compétents et dévoués dans nos hôpitaux.

Que faut-il faire pour que la médecine camerounaise soit une référence dans la sous-région ?
La ressource humaine est le moteur de cette amélioration de notre label. Les jeunes médecins ont choisi dans leur très grande majorité la carrière médicale pour servir leur prochain. Ils sont pour la plupart des jeunes gens trop doués sur le plan intellectuel pour avoir choisi de se donner à une carrière aussi exigeante sur le plan physique et moral. Je crois pouvoir dire qu’avec le dixième de leurs facultés, ils pourraient être dix fois plus riches en faisant autre chose dans la société. Si on leur donne le confort minimum qu’ils attendent, je parie que les populations d’aujourd’hui seraient aussi fières de leurs médecins que celles d’il y a 30 ans de leurs brillants médecins sortis du CUSS.

L’Ordre des Médecins vient de déclarer la guerre aux faux certificats médicaux. Quel en a été le déclic ? Sont-ce les magistrats ou la propre conscience de l’Ordre ?
C’est un sursaut de notre conscience collective des médecins devant ce fléau qui a abouti à déconsidérer l’image du corps médical dans son ensemble aux yeux de la société. Ceci n’est pas acceptable. Il fallait que nous les médecins nous nous regardions droit dans les yeux pour faire cet examen de conscience. Si c’est de l’ignorance de nos jeunes médecins attirés par la lutte contre la pauvreté, si c’est tout simplement l’inculturation en notre sein des pratiques du mal de la corruption et de l’incivisme, le Conseil de l’Ordre a reçu mandat de sensibiliser, d’informer et d’assurer la formation continue de nos confrères sur ce document. Nul ne saurait, après ce processus de réarmement moral, se soustraire aux sanctions prévues par le dispositif de la loi. Les contrevenants s’exposent à des sanctions qui vont de l’avertissement jusqu’à la radiation du tableau de l’Ordre. C’est-à-dire l’incapacité d’exercer la profession sur l’étendue du territoire.

Six médecins sont passés devant votre conseil de discipline en août dernier pour délivrance fantaisiste de ce document. Que leur est-il arrivé ?
Je suis heureux de voir que vous suivez les activités de l’Ordre. Les sanctions affligées sont étagées et graduées suivant le préjudice. Il faut que la communauté nationale comprenne que l’Ordre travaille pour la préservation des droits de l’homme et du citoyen à la santé. Rien d’autre ne justifie notre existence et l’impunité ne saurait avoir droit de cité dans notre profession car cela signerait son arrêt de mort.

Parlant de la fièvre hémorragique Ebola, pensez-vous que le gouvernement doit mobiliser tant de moyens comme cela s’est passé en 2014 pour cette épidémie ?
Nous pensons même que le gouvernement a réagi de manière correcte et nous n’avons pas manqué de l’en féliciter.

Dans le même sillage, êtes-vous d’accord que le vaccin contre Ebola soit testé au Cameroun, alors que notre pays n’a jamais été concerné, ni de près ni de loin par cette maladie ?
Nous pensons que comme dans l’affaire TENOFOVIR des années 2004-2005, le gouvernement devrait économiser les suspicions en s’imposant des efforts de communication et de préparation de l’opinion notamment en impliquant l’Ordre de médecins et les autres éléments de la société civile. Ce qui n’a pas été fait. En réalité, sur le plan scientifique, rien ne s’oppose à une telle recherche pour autant que les critères de clairance éthique soient respectés par les auteurs de cette recherche.

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