Cameroun – Port de Kribi: Bolloré est-il indésirable?

Le terminal à conteneurs du Port de Kribi confié à l’opérateur philippin ICTSI au détriment de Bolloré.[pagebreak] Le consortium formé par l’industriel français présente pourtant l’offre économiquement la plus avantageuse.
Bal de requins pour le terminal à conteneurs au port de Kribi.
L’opérateur philippin Ictsi Inc retenu au détriment du Consortium formé par Bolloré, qui brandit l’offre économiquement plus avantageuse. Si l’on s’en tient au rapport final de la commission compétente, c’est le groupe de manutention portuaire philippin International Container Terminal services Inc (Ictsi)-et son associé (Apmt Bv)- qui va exploiter et développer le terminal à conteneurs du port en eau profonde de Kribi. Un revers pour le Groupement Bolloré-Cma-Cgm-Chec (Bcc) dont l’offre financière pour remporter cette concession culmine à 400 milliards Fcfa contre 300 milliards pour l’opérateur philippin.
La commission chargée de la sélection du concessionnaire, laquelle a déjà soumis les résultats de son travail au Premier ministre, estime pourtant que les offres des candidats Ictsi Inc et Apmt Bv sont « économiquement les plus avantageuses pour le Cameroun et la sous-région Afrique centrale ».
Pourtant, au terme du procès-verbal du 04 octobre 2014 consacrant l’ouverture des premières offres précédant le dialogue compétitif, et en application des dispositions de la section 9 du règlement de la demande de proposition, les observations suivantes avaient été faites : Les offres financières des candidats étaient respectivement de 332,7 millions d’euros pour Apmt, 473 millions d’euros pour Bcc et 284 millions d’euros pour Ictsi. Ictsi était le seul des trois candidats qui ne disposait pas d’une capacité de transport maritime conséquente, critère faisant partie des éléments qualifiants. Ictsi présente en plus le plus mauvais ratio d’endettement avec 65 % et est, dès lors, le candidat le plus vulnérable financièrement. Au terme de cette étape BCC est classé 1er, suivi de Apmt (2ème) et Ictsi (3ème).
Une source proche du dossier va plus loin en indiquant que Bolloré (et ses alliés) «présente en termes de droits d’entrée, de redevances fixe et variable de concession, à la fois la meilleure offre économique et les garanties nécessaires pour faire de ce terminal [du port en eau profonde de Kribi], un accélérateur de la croissance du Cameroun ».
Une autre source, qui suit ce dossier à la loupe, indique que « la position de principe du gouvernement dans ce dossier, c’est de ne pas attribuer l’exploitation du Port de Douala et du Port de Kribi au même opérateur. Il est important de mettre en concurrence les deux places portuaires pour en tirer le meilleur. Kribi doit entrer en compétition avec Douala. Je pense que Bolloré était parfaitement au courant de cette clause non écrite et a simplement voulu jouer sur l’offre financière pour rafler la mise. Cela dit, je suis également d’avis qu’il ne faut pas prendre un opérateur qui a des limites techniques et financières, tout simplement parce qu’on ne veut pas d’un monopole de Bolloré ». Il revient à coup sûr au président de la République d’arbitrer ce match de requins sur la place portuaire de Kribi, lui qui est annoncé dans les prochains jours dans la cité balnéaire pour l’inauguration de la première phase du complexe industrialo-portuaire située dans la capitale de l’Océan.

Qui est qui ?
Avec 28 concessions portuaires, ferroviaires ou fluviales en plus de ses ports secs et autres plateformes multimodales, Bolloré Africa Logistics, créé en 2008, règne sur les ports du golfe de Guinée, de Conakry à Pointe noire. En Afrique, Bolloré n’a essuyé de défaites que pour les ports de Monrovia (Liberia) et de Dakar (Sénégal). Il est donc incontestablement le leader en gestion des terminaux à conteneurs sur le continent.
Pour sa part, Ictsi est davantage présent sur l’Asie et le Pacifique. En Afrique, l’opérateur philippin, classé 14e manutentionnaire mondial, est présent depuis 2005 à Madagascar (port de Toamasina) et a remporté en 2012 la concession du port de Lekki (65 km de Lagos), au Nigeria.
Présentée comme une « compagnie en plein essor », la compagnie philippine exploite également, depuis 2014, le terminal à conteneurs de Matadi, en République démocratique du Congo. Au total, Ictsi gère aujourd’hui 22 terminaux dans 19 pays à travers le monde, pour une capacité totale de 5,6 millions d’EVP (équivalents vingt pieds). Ictsi a ouvert depuis deux ans un bureau Afrique, au Cap, en Afrique du Sud.
Si Ictsi vient à être retenu pour exploiter et développer le terminal à conteneurs de Kribi, il prendra sa revanche sur Bolloré Africa Logistics, qui l’avait coiffé au poteau pour l’appel d’offres visant l’exploitation du second terminal à conteneurs d’Abidjan, Contestée par le consortium formée par le perdant, la victoire de Bolloré a fait l’objet d’un premier appel devant l’Autorité nationale de régulation des marchés publics (ANRMP), qui a débouté les plaignants. Ictsi et ses alliés ont fait appel devant l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). L’affaire est pendante.
Au Cameroun, une défaite de Bolloré viendrait confirmer le recul des entreprises françaises au Cameroun. « La France a perdu, entre 2000 et 2011, 14 points de parts de marché au Cameroun, selon un rapport de l’ancien ministre Hubert Védrine publié en 2013. C’est plus qu’en Côte d’Ivoire (11 points) et qu’au Gabon (8 points) », souligne Médiapart, dans un article posté le 25 avril 2015.

Georges Alain Boyomo

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