Cameroun : Philémon Yang l’insubmersible

Philémon Yang ne fait d’ombre à personne, et c’est sans doute le secret de sa longévité. Premier ministre depuis neuf ans, il sait évoluer en eau trouble. Portrait d’un homme qui a fait de la discrétion une technique de survie.
Était-ce un mauvais présage ? En ce 20 mai, alors que Paul Biya ouvre les portes du palais présidentiel d’Etoudi à l’occasion de la fête nationale, une pluie battante tombe sur Yaoundé. Mais diplomates, entrepreneurs, hommes politiques, intellectuels ou sportifs ont fait le déplacement. Philémon Yang aussi. Nommé le 30 juin 2009, le Premier ministre est un habitué de l’exercice. Il vit en cette fin d’après-midi pluvieuse sa neuvième fête nationale en tant que numéro un du gouvernement.
À quoi pense-t-il donc ? On dit cet homme de 71 ans dénué d’ambition, au service exclusif d’un président dont il a été le directeur de campagne lors de la présidentielle de 2011. Alors que se profile un nouveau scrutin pour la magistrature suprême, en octobre, la situation n’a guère changé : Philémon Yang servira Paul Biya, d’une main discrète mais ferme. Espère-t-il rester à son poste si le chef de l’État venait à conserver le sien ? Il ne manque en tout cas pas d’atouts. « Il est très prudent et a appris de ses prédécesseurs », confie un proche.

À l’abri du soupçon
Simon Achidi Achu (1992-1996) aimait serrer les mains et battre la campagne. Philémon Yang est un technocrate qui aime rester au plus proche de ses dossiers. Sadou Hayatou (1991-1992) était un politique ambitieux. Yang a appris à s’effacer derrière les réels tenants du pouvoir au pays de Paul Biya, qu’ils résident au secrétariat général de la présidence ou au cabinet civil. « Il sait ne pas entrer en confrontation directe avec eux, poursuit un collaborateur. Il se tient éloigné des afaires, qui ont été fatales à d’autres. » Philémon Yang a-t-il en tête le sort d’Ephraïm Inoni, un autre titulaire du poste (2004-2009), condamné en 2012 à vingt ans de prison pour détournement de fonds publics dans la gestion de Cameroon Airlines? Il a bien été président du conseil d’administration de Camair-Co (qui a succédé à Camair) de 2008 à 2013, mais les déboires de cette dernière (21 millions d’euros de pertes pour l’exercice 2011-2012) ne l’ont guère atteint et il fnira par en démissionner, à la demande d’un Paul Biya soucieux de le tenir à l’abri du soupçon.

Linda chez Chantal
Philémon Yang le sait : mieux vaut ne pas se frotter au ministre de la Justice, Laurent Esso, grand ordonnateur de l’opération anticorruption Épervier. Le « premier des ministres », comme on le surnomme parfois, sait se tenir à distance respectueuse des dauphins putatifs du chef, qu’ils se nomment Laurent Esso, René Emmanuel Sadi, désormais ministre chargé de mission à la présidence, ou Louis-Paul Motaze, aux Finances. Avec ce dernier, les relations ont même été exécrables. Secrétaire général de la primature de 2011 à 2015, Motaze n’acceptait que de mauvaise grâce la supériorité hiérarchique de Philémon Yang sur les grands dossiers d’infrastructures (port autonome en eau profonde de Kribi, barrages de Lom-Pangar et de Memve’ele), qu’il entendait gérer de bout en bout, lui qui avait été ministre de l’Économie, de la Planifcation et de l’Aménagement du territoire (Minepat) de 2007 à 2011. « Il y avait de vives tensions, voire de l’insubordination. Cela ne pouvait pas fonctionner », se souvient un acteur de l’époque. Le neveu du président fnira par obtenir gain de cause : le 2 octobre 2015, il retrouve le Minepat, dans le troisième gouvernement de Philémon Yang.
Le Premier ministre l’a bien compris : s’il préside un Conseil de cabinet chaque mardi, il n’imposera pas pour autant son autorité aux superministres proches de Paul Biya. Mais, entouré de ses fidèles lieutenants Fabien Nkot et Paul Ghogomu Mingo (lire encadré p. 30), il n’est pas sans pouvoir : lors de ce même remaniement d’octobre 2015, il écarte Ama Tutu Muna, la ministre des Arts et de la Culture en confit avec lui sur la gestion du dossier des droits d’auteur, Patrice Amba Salla, ministre des Travaux publics ayant osé le critiquer dans les médias, ou encore Lazare Essimi Menye, ancien ministre de l’Agriculture accusé de détournement de fonds et en exil aux États-Unis depuis décembre 2015. « Philémon Yang sait ne pas contrarier les affaires d’Etoudi et n’affiche pas d’ambitions politiques », confie un diplomate. Il n’apprécie guère les joutes politiques à l’Assemblée nationale, où il s’est fait chahuter par l’opposition en novembre 2017 au sujet de la crise anglophone. Contrairement à Simon Achidi Achu et à certains ministres, comme René Emmanuel Sadi, ce natif de Jiketem-Oku (Nord-Ouest) n’entretient guère de troupes au sein du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir). Tout au plus s’appuie-t-il, au sein de son gouvernement, sur Rose Mbah Acha, ministre déléguée à la présidence chargée du contrôle supérieur de l’État, originaire du Nord-Ouest, et sur son ancien protégé natif du Sud-Ouest, Paul Elung Che, ministre secrétaire général adjoint à la présidence. Philémon Yang est réputé pour sa sobriété. Il apprécie peu les mondanités, craint les fuites dans la presse et ne se rend que rarement au palais présidentiel, même s’il y entretient des connexions: sa femme, Linda, est la coordinatrice générale du Cercle des amis du Cameroun (Cerac), présidé par Chantal Biya et fréquenté par les femmes de diplomates, directrices générales de sociétés publiques, députées, femmes d’afaires, etc. Un rôle protocolaire mais non sans intérêt, tant l’épouse du chef de l’État entretient autour d’elle des cercles du pouvoir. Rares, les visites du Premier ministre à Etoudi et les missions que lui confie personnellement le président – comme en octobre 2017 sur la crise anglophone ou lors de certains sommets internationaux – n’en ont que davantage de poids. « Chaque fois qu’il passe la porte du palais, la rumeur enfe et on parle de démission ou de remaniement. Il cultive cette rareté, contrairement à ses prédécesseurs, qui s’y rendaient très fréquemment », confie un fin connaisseur des couloirs de la présidence. La discrétion, toujours, pour mieux durer dans ce milieu politique où la chute peut être si fulgurante.

Sacerdoce
Marié, père de trois enfants, ce fervent chrétien passé par la mission baptiste et le collège protestant de Bali, dans le Nord-Ouest, a fait du service de l’État un sacerdoce. Diplômé de l’École nationale de la magistrature (Enam, promotion 1974), il côtoie le pouvoir, de près ou de loin, depuis plus de quarante ans. Brièvement procureur à la cour d’appel de Buéa, il fait son entrée au gouvernement six mois plus tard, en 1975, au poste de vice-ministre de l’Administration territoriale, appelé par le Premier ministre de l’époque… Paul Biya. Ministre des Mines et de l’Énergie en 1979, ambassadeur au Canada de 1984 à 2004, secrétaire général adjoint de la présidence jusqu’en 2009 et Premier ministre depuis neuf ans, il est le plus atypique des anciens du système Biya. Ce 20 mai, sur le chemin du retour entre le palais d’Etoudi et sa résidence du lac municipal de Yaoundé, sans doute se demande-t-il, comme tant d’autres, quand le chef de l’État mettra fin au suspense concernant sa probable candidature à l’élection présidentielle d’octobre. Redoute-t-il, lui qui goûte peu les bains de foule, une nouvelle course à la réélection ? Traditionnellement, le rôle de directeur de campagne est dévolu au Premier ministre en exercice, confe-t-on au RDPC. Philémon Yang pourrait donc de nouveau assumer ce rôle, d’autant que sa région d’origine, le Nord-Ouest, est au cœur d’une crise qui sera l’enjeu majeur du scrutin. Une chose est sûre : son avenir reste, comme pour tant d’autres, lié à celui de Paul Biya.

Mathieu Olivier

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