Au Cameroun, l’opposition et des leaders de la société civile appellent à la libération d’un jeune activiste, Junior Ngombé, arrêté mercredi 24 juillet et depuis en détention à Yaoundé dans les locaux de la police judiciaire. Cette arrestation intervient dans un contexte de répression accrue des voix dissidentes, à un an de la présidentielle de 2025.
La disparition inquiétante de Steeve Akam
L’activiste réputé pour ses positions hostiles au pouvoir de Paul Biya a été capturé au Gabon en juillet dernier. Extradé au Cameroun, il y serait détenu au secret, sans qu’aucune information ne filtre sur le sort qui lui a été réservé. Un mois et toujours aucune nouvelle de Steeve Akam, dit Ramon Cota. Enlevé le 17 juillet dernier par des hommes non identifiés dans son commerce, un débit de boissons situé au marché Mont-Bouët de Libreville, l’activiste est depuis porté disparu. Tout juste sait-on que l’infortuné a été extradé au Cameroun, ceci grâce à une vidéo enregistrée à la frontière entre ce pays et le Gabon montrant sa remise aux autorités camerounaises, laquelle a fuité sur les réseaux sociaux. Steeve Akam y apparaît pétrifié, demandant « pardon » aux dirigeants des deux pays.
Un mutisme inquiétant des autorités
Ni les autorités camerounaises, ni celles du Gabon n’ont depuis dit le moindre mot sur la situation de ce quadragénaire, ancien agent de sécurité. Un mutisme qui renforce le doute et les interrogations. « Serions-nous face à une nouvelle affaire Martinez Zogo que le pouvoir tente de dissimuler ? » s’est ainsi interrogé l’opposant Maurice Kamto dans une communication publique lors de laquelle il enjoignait aux autorités camerounaises de « lever tout doute sur le sort de M. Steeve Akam en donnant la preuve publique qu’il est encore en vie et qu’il n’est pas caché parce qu’il est en un piteux état du fait de la torture ».
Tour de vis répressif
Le 7 août dernier, un collectif d’avocats s’est constitué pour défendre les intérêts du disparu. Dirigé par Me Hippolyte Meli, ce collectif a engagé une série de démarches administratives afin de faire la lumière sur la situation. Il a notamment saisi le patron de la police Martin Mbarga Nguele, celui de la gendarmerie Galax Yves Landry Etoga, le procureur général auprès de la cour d’appel et le directeur de la justice militaire. « Ces autorités se doivent de trouver des réponses aux multiples zones d’ombre qui entourent cette affaire, a indiqué à Jeune Afrique Me Meli. Depuis que M. Akam se trouve au Cameroun, son statut juridique n’est toujours pas connu. Est-il en garde à vue ? Si oui, est-elle administrative ou judiciaire ? Quelles sont les accusations dont il fait l’objet ? Pourquoi l’avoir conservé incommunicado [au secret] ? ».
Selon des sources non officielles, Steeve Akam aurait été interpellé en raison de ses attaques répétées contre les autorités consulaires camerounaises au Gabon, qu’il accusait de vouloir saborder le processus d’inscription sur les listes électorales. Est-ce cette représentation diplomatique qui a sollicité l’intervention des forces de sécurité gabonaises ? Au Cameroun, les défenseurs des droits de l’homme s’inquiètent de cette procédure qui va à l’encontre de certains traités internationaux. « Le Gabon en tant qu’État a procédé à la signature du statut de Rome et l’a ratifié il y a vingt-quatre ans, rappelle Me Hippolyte Meli. Et de ce point de vue, la détention au secret est l’antichambre de la disparition forcée, crime contre l’humanité relevant de la compétence universelle. ».
L’arrestation de Junior Ngombe
L’arrestation de Steeve Akam fait suite à celle d’un autre activiste, le tiktokeur Junior Ngombe, qui comparaîtra libre dans une procédure engagée contre lui pour « incitation à la rébellion et propagation de fausses informations ». Elle intervient surtout dans un contexte où les autorités semblent vouloir opérer un tour de vis vis-à-vis des activistes hostiles au pouvoir de Paul Biya, et ce à un an de la présidentielle de 2025. Au cours de plusieurs réunions sécuritaires tenues courant juin, elles avaient promis une tolérance zéro contre tous ceux qui menaceraient l’ordre public.
La réaction de Human Rights Watch
Human Rights Watch a lancé une alerte sur une probable « disparition forcée » de Steve Akam alias Ramon Cotta. Dans une publication, HRW indique avoir analysé, géolocalisé une vidéo et contacté des sources au Cameroun « pour déterminer qu’elle a été filmée entre le 19 et le 21 juillet au poste frontière entre le Gabon et le Cameroun, dans la ville camerounaise de Kye-Ossi. ».
« Le 7 août, les avocats qui le représentent ont déclaré avoir envoyé en vain plusieurs demandes d’information à diverses autorités camerounaises concernant la situation de leur client et le lieu où il se trouve. Les avocats estiment que les autorités camerounaises ont renvoyé de manière extrajudiciaire Ramon Cotta du Gabon au Cameroun et qu’il pourrait être victime d’une disparition forcée, ce qui signifie que les autorités le détiennent tout en refusant de reconnaître sa détention ou de divulguer toute information sur le lieu où il se trouve, le privant ainsi de toute protection légale », écrit Human Rights Watch dans un communiqué.
Quel avenir pour les activistes au Cameroun ?
L’ONG de défense des droits humains souligne par ailleurs la politique de répression qui vise les activistes, journalistes ou dissidents. « Le gouvernement réprime depuis des années la liberté d’expression et l’opposition au Cameroun, en emprisonnant des activistes politiques, des journalistes et des dissidents. À l’approche des élections de 2025, il a multiplié les restrictions des libertés d’expression et d’association. ».
Dans une déclaration faite le 7 août à l’issue d’une visite au Cameroun, Volker Türk, le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, a déclaré que le processus qui mènera aux élections sera « une occasion clé […] de garantir la libre expression des opinions politiques ».
Les personnes disparues de force sont exposées à un large éventail d’abus, notamment ceux qui mettent leur vie en danger. Les autorités camerounaises devraient immédiatement confirmer la détention de Ramon Cotta et le lieu où il est détenu, et respecter ses droits en le libérant.
La situation de Steeve Akam, alias Ramon Cota, est un exemple frappant de la répression croissante des voix dissidentes au Cameroun. À un an de la présidentielle de 2025, les autorités semblent déterminées à museler toute opposition. La communauté internationale et les défenseurs des droits de l’homme doivent rester vigilants et exiger des réponses claires et transparentes des autorités camerounaises.