Cameroun – Mode : Pas un pas sans leur perruque

perruque

Certaines femmes veulent affiner leur beauté alors que d’autres les portent pour des raisons pratiques. Les hommes sont divisés sur la question, alors que les commerçants font de bonnes affaires.

Le marché des capillaires a connu une explosion au Cameroun ces dernières années. Si les statistiques ne sont pas disponibles jusqu’ici, il suffit d’ouvrir les yeux pour se faire sa propre idée de ce phénomène à la mode. Le frémissement du « mouvement nappy » (tourné vers les cheveux crépus) n’a pas eu le succès voulu. Aujourd’hui, on vit une renaissance de la perruque ; elle a pris le pouvoir. Sur 20 femmes rencontrées hier, au marché central de Yaoundé, plus de 15 portaient une perruque. Ce « chapeau » maniable à volonté, fait courir la gent féminine. Des salons de coiffure en proposent. Certaines hommes et femmes en ont fait une activité à plein temps. Ils fabriquent désormais les perruques localement ou les importent d’Asie. La demande est exponentielle au sein des jeunes et des moins jeunes.

Dans les grandes surfaces de la ville de Yaoundé, spécialisées ou non dans la vente des mèches, on trouve des perruques de modèles différents, de toutes les couleurs (rouge, jaune, bleue, noire, verte…) ; conçues avec des mèches de nature ou d’origine diverses (brésilienne, indienne, naturelle, synthétique…). Les prix sont parfois au-dessus du Smig (Salaire minimum interprofessionnel garanti). Ils varient en fonction de la qualité. « Il y a des femmes qui préfèrent se priver de la nourriture pour s’offrir une perruque », nous glisse David Djou, au détour d’une conversation à la Poste centrale. Pourquoi des femmes sont prêtes à sortir de l’or pour s’offrir des perruques ?

Embellir le visage

Pour comprendre ce phénomène de société ou de mode, nous sommes allés à la rencontre des femmes dans certains coins de la capitale politique. L’objectif est d’avoir leur avis sur la question. Notre premier périple nous a conduits au marché Etoudi à Yaoundé. Réputé pour son hyperactivité économique, ce marché voit défiler en longueur de journée de milliers de Camerounais. A notre arrivée, nous avons rencontré Hermine Nana. Elle revient de l’enceinte du marché où elle faisait les achats. Dans son sac, on peut y voir des tas de légumes et des ignames. Elle a pris le soin de les ranger dans la mal-arrière de sa voiture. Une perruque de couleur jaune trône sur sa tête. A l’aide de son index, elle ramène machinalement en arrière, la frange qui obstrue sa vue. Elle répète le geste de manière intermittente. « Bonjour madame. J’aimerais savoir pourquoi vous portez des perruques ? » Elle a souri, laissant entrevoir la blancheur de ses dents. Bien installée dans l’habitacle de son véhicule, la dame âgée d’une cinquantaine d’années s’est montrée peu diserte : « La perruque c’est pour entretenir ma beauté. Ça me rend plus belle ». L’uniformité de la texture de sa peau, rendue possible par des produits cosmétiques, est en accointance avec sa perruque de couleur jaune. « Bonjour ma blanche. Tu connais ma mère. Tu es très belle. Tu respires l’argent », lance un vendeur ambulant transpirant à grosses gouttes. Aussitôt, le vrombissement du moteur de madame Nana a sonné le glas de deux minutes d’échange. Elle ne passait pas inaperçue dans ce lieu marchand.

Il faut entretenir son paraître en se couvrant de luxe. Selon certaines, c’est pour susciter le respect des autres. « La perruque que je porte coûte 155 mille Fcfa. Je peux la porter pendant des années sans problème. Elle est facile à entretenir. Je suis comme une grande dame quand je la porte », nous renseigne Alphonsine Eyebe, cadre dans une structure de la place. Si certaines femmes les mettent pour donner de l’allure à leurs visages, Marie Louise Nanyang la met pour des raisons pratiques. Face à la charge du travail domestique et professionnel, il n’est pas toujours évident de trouver du temps pour se faire tresser. La fatigue impose le port des perruques pour répondre à certaines obligations.

La perruque vaut de l’or

Ces chapeaux d’un autre genre ont presque « sauvé » la vie d’Antoinette Nna. Responsable dans une entreprise basée à Douala, elle en a de plusieurs couleurs. « J’ai 4 couleurs différentes à la maison. Je porte en fonction des évènements et des journées. Je les change quand je veux. C’est très pratique. Si vous avez une réunion très tôt au bureau, il suffit de prendre son bain le matin et de porter sa perruque même si nos cheveux naturels sont ébouriffés. Personne ne saura. J’ai porté le noir en venant à Yaoundé pour une affaire professionnelle par exemple », a confié la banquière. Pour Joséphine Nga, la perruque permet de faire des économies et d’être maître de ses journées : « J’ai acheté ma première perruque à 65 000 Fcfa à Douala. Les prix varient en fonction de la qualité. Pour le moment, j’en ai trois. Ça me permet de bien laver ma tête et de faire de simples nattes. Avant, je me faisais coiffer chaque semaine. Quand j’ai fait le bilan au cours d’une année, je tombais des nues. Avec la perruque, je vais partout sans me poser de question. C’est très simple à mettre ; c’est pratique et sans contrainte ».

Il y a trois ans, Jacqueline Sophie Ngono avait mis la croix sur les extensions. Son cuir chevelu en avait souffert. Les violents maux de tête étaient devenus son fardeau quotidien. La commerçante s’était donc mise au « nappy » jusqu’en 2020. « Quand je faisais des rastas, je finissais par avoir des maux de tête. Avec le temps, même des simples nattes m’irritaient. Ça faisait très mal. Je me suis dit un jour pourquoi souffrir autant en voulant se rendre belle avec des extensions. Je me suis fait raser il y a un an. J’ai laissé mes cheveux au vent. Je devais aller à un mariage au mois de février de cette année. Une cousine m’a conseillée une perruque. C’est ainsi que j’ai adopté cela. Je la mets surtout quand je vais à un évènement. Mais quand ça chauffe, je retire pour permettre à ma tête de respirer. Je suis plus tournée vers le nappy ».

Des hommes s’invitent au débat

Le port systématique des perruques n’échappe pas au regard des hommes. Certains « pleurent le coût » de ces touffes de mèches qui font courir dans un contexte de crise généralisée. « Quand une femme me dit qu’elle achète une perruque à 50 mille Fcfa ou 60 mille Fcfa, je suis révolté. Elle se fait plaisir c’est bien. Mais, elle sera la première à venir vous demander un prêt ; je parle de celle qui n’a aucun revenu. Les femmes qui ont des moyens peuvent se permettre certaines fantaisies. Ma femme d’ailleurs le sait. Je ne suis pas partant pour une telle dépense », confie Warren Nana, enseignant. Une posture soutenue par son collègue Albert Idriss Noah : « Mon épouse se fait coiffer avec le peu de moyen que je lui donne. Les perruques dont les prix font suffoquer là, ne me concernent pas. Ma femme a des perruques. Je ne suis pas contre. Si elle se sent à l’aise avec tant mieux ». La gent masculine n’est pas tranchée sur la question même si certains appellent à plus de naturel : « Je ne suis pas contre. Quand une femme met la perruque, elle devient celle qu’elle n’est pas en réalité ; elle devient une imagination loin de la réalité. C’est un fait.

Personnellement, je n’aime pas les extensions. C’est une mode qui suit son cours. Je plaide pour l’africanité c’est-à-dire le retour à notre nature ; le retour à l’afro : nappy. Ces fantaisies détruisent notre culture. Porter ces mèches ne fera jamais d’elle des européennes puisque c’est leur référence. Les européennes n’adopteront pas le nappy parce que cela ne fait pas partie de leur culture. C’est absurde de voir nos sœurs s’égarer ainsi », martèle Ibrahim.

Le port de la perruque n’est pas un phénomène nouveau. L’histoire raconte d’ailleurs qu’elle a fait rythmer les habitudes vestimentaires au 16ème voire 17ème siècle. « Quand j’étais plus jeune, ma grand-mère avait ses perruques. Elle les mettait pour cacher ses chutes de cheveux quand elle allait à un évènement. Nous sommes là dans les années 70-80. C’est ça la mode : ça va et ça vient », nous explique Blaise Nana. Dans un environnement où le paraître occupe une place de choix, des femmes n’avancent plus sans leur perruque.

Solière Champlain Paka, 237online.com

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *