Prise en étau dans le bras de fer qui oppose Samuel Eto’o au ministère des Sports, Marie-Claire Nnana, directrice de publication du quotidien national Cameroon Tribune, risque de payer cher son “faux pas” éditorial. Sommée de s’expliquer pour avoir relayé un arbitrage de Paul Biya jugé défavorable au gouvernement, elle pourrait être limogée sur ordre de Ferdinand Ngoh Ngoh, le tout-puissant secrétaire général de la présidence. Révélations de 237online.com sur une affaire qui en dit long sur les luttes de pouvoir en coulisses.
Un dossier explosif qui met le feu aux poudres
Tout est parti d’un dossier publié le 31 mai dans les colonnes de Cameroon Tribune, quotidien gouvernemental dont Marie-Claire Nnana est la directrice de publication depuis plus de 20 ans. Sous le titre “Paul Biya met fin au conflit”, la publication détaille comment le chef de l’État aurait arbitré en faveur d’un compromis entre la Fecafoot de Samuel Eto’o et le ministère des Sports de Narcisse Mouelle Kombi, à couteaux tirés sur la composition du staff des Lions Indomptables. Un papier qui n’a pas du tout été du goût de certains pontes du régime, peu enclins à laisser la fédé dicter sa loi sur ce dossier. Résultat : Marie-Claire Nnana a été convoquée dare-dare par sa hiérarchie pour révéler qui lui avait soufflé cette ligne éditoriale. Un crime de lèse-majesté pour la journaliste qui, malgré sa proximité de longue date avec le cabinet civil de la présidence, semble avoir cette fois franchi la ligne rouge…
Le spectre d’un limogeage express orchestré par Ngoh Ngoh
En choisissant de s’aligner sur la position de la Fecafoot, Marie-Claire Nnana savait qu’elle prenait le risque de froisser le camp d’en face. Ce qu’elle n’avait sans doute pas anticipé, c’est le poids de son ennemi numéro un : Ferdinand Ngoh Ngoh, le surpuissant secrétaire général de la présidence. C’est lui qui, ulcéré par la Une de Cameroon Tribune, aurait activé la procédure de sanction contre la directrice de publication, comme le révèle une note confidentielle obtenue par Jeune Afrique. Convocation devant un conseil d’administration extraordinaire monté en urgence, menace d’un limogeage pour faute lourde : Ngoh Ngoh ne lésinerait sur aucun moyen pour faire tomber la tête d’une journaliste coupable de l’avoir défié par presse interposée. Une escalade à haut risque où se joue autant l’avenir de Cameroon Tribune que l’équilibre des pouvoirs en coulisses…
Félix Zogo et Christophe Mien Zok, prétendants en embuscade
Dans le petit monde feutré de la presse gouvernementale camerounaise, les couteaux sont déjà tirés pour succéder à Marie-Claire Nnana, si d’aventure sa tête venait à tomber. Deux noms reviennent avec insistance pour s’asseoir dans le fauteuil de la Sopecam, la société éditrice de Cameroon Tribune : Félix Zogo et Christophe Mien Zock. Le premier, inspecteur au ministère de la Com’ et prof à l’Esstic, école de journalisme de Yaoundé, aurait le profil de l’héritier idéal. Le second, ex de Cameroon Tribune passé à la tête des publications du parti au pouvoir, le RDPC, a lui marqué les esprits avec un édito musclé exigeant un “traitement politique d’urgence” de la crise Fecafoot-gouvernement. Un tacle appuyé à Samuel Eto’o qui pourrait faire mouche auprès du tout-puissant Ngoh Ngoh, arbitre en dernier ressort de cette valse de prétendants. A moins que ce dernier ne réserve une surprise de son cru…
Cameroun Tribune, victime collatérale des luttes de pouvoir
Au final, l’affaire Marie-Claire Nnana illustre à quel point la presse, même gouvernementale, reste un outil au service des guerres d’influence qui secouent le sommet de l’État. Prise en tenaille entre sa proximité avec le cabinet civil et les injonctions du secrétariat général de la présidence, la patronne de Cameroon Tribune paie aujourd’hui son incapacité à avoir su contenter tout le monde. Un grand écart impossible qui la place désormais sur la sellette, quitte à faire de l’ancienne institution un dommage collatéral de ces bisbilles de pouvoir. Difficile dans ce contexte d’imaginer le quotidien national jouer sereinement son rôle de mise en perspective de la parole publique. Ce psychodrame en haut lieu est surtout le signe d’un régime à bout de souffle, rongé par les déchirements, et qui n’hésite plus à laisser ses conflits internes se régler violemment par presse interposée. Un inquiétant constat pour l’avenir des médias publics et le pluralisme au Cameroun.