Le processus de sélection de l’opérateur chargé de l’exploitation et du développement du terminal à conteneurs du port en eau profonde de Kribi tire à sa fin.[pagebreak] D’après le rapport final de la Commission spéciale créée à cet effet, le parachèvement de la procédure prévoit « la désignation par le Premier ministre, autorité des contrats de partenariat, de l’adjudicataire du contrat de partenariat relatif à l’exploitation et le développement du terminal à conteneurs du port de Kribi et l’ouverture des négociations relatives à la finalisation dudit contrat ». S’il ne dépendait que de la Commission, le suspense ne serait plus de mise. Dans sa copie servie à la hiérarchie, elle est formelle : « En définitive, et au regard de l’ensemble de ses travaux, la Commission a retenu les offres des candidats ICTSI Inc et APMT BV comme étant économiquement les plus avantageuses pour le Cameroun et la sous-région d’Afrique centrale et a résolu de les soumettre à l’autorité détentrice du pouvoir d’adjudication ». Cette autorité, en principe, n’est autre que le Premier ministre.
Et la Commission prend soin de justifier son choix en dévoilant sa démarche. L’on apprend ainsi que le processus est enclenché le 23 juin 2008. A la suite d’un appel à manifestation d’intérêt suivi d’un appel d’offres du ministère de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire (Minepat), le groupe Bolloré, unique candidat à s’être manifesté, est retenu pour l’exploitation du terminal à conteneurs le 29 décembre 2008. Si Bolloré postule seul, c’est parce les autres candidats potentiels privilégient des projets apparemment plus importants au Nigeria et en Angola, dont paradoxalement les travaux n’ont pas commencé jusqu’aujourd’hui.
Sans doute soucieux de faire jouer la concurrence, le 15 janvier 2014 le gouvernement par le truchement de son chef déclare infructueux le « processus d’attribution du partenariat public-privé du terminal à conteneurs du port en eau profonde de Kribi ». Un peu plus de deux semaines seulement plus tard, un nouvel appel à manifestation d’intérêt est lancé.
Cette fois, c’est la ruée vers le port de Kribi. Pas moins de 11 candidatures sont enregistrées, dont celles du groupement Bolloré Africa Logistics-CMA CGM-CHEC, APMT BV, ICTSI Inc, DP World, Necotrans, etc. L’appel d’offres de mise en concession initial concerne le quai à conteneurs de 350 mètres déjà construit et équipé par le Chinois CHEC pour la phase 1, et la construction dans un délai de 5 ans d’un quai de 700 mètres pour laquelle la Chine a déjà signé une convention de financement d’environ 400 milliards de FCFA avec le gouvernement camerounais. En mars 2014, le Comité de pilotage et du suivi de la réalisation du Complexe industrialo-portuaire de Kribi définit un nouveau périmètre du projet qui inclut évidemment la construction du quai de 700 mètres.
Bolloré offre 400 milliards de FCFA
Au terme de la phase de présélection, trois candidats disposant de capacités financières pour exploiter et développer le terminal à conteneurs de Kribi sont retenus pour le dialogue de pré-qualification. D’après le rapport de la Commission spéciale, il s’agit, par ordre de mérite, et sur la base des offres financières proposées, du groupement Bolloré/CMA-CGM/CHEC (BCC) qui met sur la table 473 millions d’euros, APMT BV (332,7 millions d’euros) et ICTSI inc (284 millions d’euros).
Au-delà de l’offre financière, sous anonymat un haut cadre des services du Premier ministre souffle à ‘’Repères’’ que BBC présente un avantage indéniable sur les deux autres concurrents : c’est le seul à être organisé en consortium. Bolloré, premier réseau logistique et premier opérateur de partenariats public-privé portuaires et ferroviaires en Afrique, est associé à CMA-CGM, 3è armateur mondial disposant de 445 navires desservant 450 ports de commerce sur 521 mondiaux qui transporte 35 % des conteneurs échangés avec le continent, et CHEC qui offre l’avantage d’avoir construit la première phase et aidé à la mobilisation des financements de la 2è phase.
L’unique consortium en lice
Après deux séances du dialogue de pré-qualification entre la Commission spéciale et les trois candidats restés en lice, une analyse approfondie des offres permet « d’évaluer la pertinence et la sincérité des données communiquées par les candidats dans leurs offres respectives et d’apprécier la viabilité de leurs modèles d’affaires. Cette analyse a consisté à déterminer la capacité du modèle d’affaires proposé à générer une rentabilité susceptible de rémunérer les apporteurs de capitaux, de maintenir l’outil de production en bon état, d’investir dans le développement du terminal mais aussi de reverser à l’Etat sa quote-part des revenus de l’exploitation du terminal ».
A la fin, les offres financières qui constituent en temps normal un critère-clé de sélection du partenaire ne chamboulent pas l’ordre de préférence des candidats. BBC offre 623. 469. 685 euros, ICTSI 467. 387. 399 euros et APMT BV 403. 626. 290 euros. Il va de soi que l’offre de BCC est de loin très supérieure à celle du 2è. Or, d’après la réglementation, le contrat doit échoir au candidat offrant l’offre « la plus avantageuse en termes de droits d’entrée, de redevances fixes et variables ».
Mais pour la Commission spéciale, « le critère de la rentabilité du terminal par rapport aux tarifs proposés par chacun des candidats s’est avéré être l’élément ayant le plus éprouvé les offres financières formulées ». Le rapport de la Commission spéciale précise ainsi que l’Etat, « soucieux de réduire les coûts de passage des marchandises, avait imposé aux candidats d’effectuer une décote de 10 % sur les tarifs applicables aux chargeurs (manutention terre) par rapport à ceux pratiqués à la Douala International Terminal (DIT). La liberté leur a été laissée de proposer des tarifs compétitifs aux armateurs (manutention bord, transbordement) ».
Les choix contestés de la Commission
La Commission précise que si tous les candidats « se sont conformés en matière de manutention terre », en revanche s’agissant de la manutention bord des écarts ont été observés sur les tarifs moyens proposés. Ce qui, se gargarise-t-elle, l’a décidée à mener des investigations sur « l’impact de ces différences tarifaires sur l’équilibre financier des projets des candidats ».
La commission fait savoir qu’au terme des analyses, elle « a émis des réserves, d’une part sur la soutenabilité des redevances proposées par le candidat BCC et, d’autre part, sur la sincérité des données permettant de les justifier, et a jugé les offres des candidats ICTSI et APMT BV comme étant les plus sincères et pertinentes ».
Un avis qui nourrit le doute de plus d’un observateur averti. Un concurrent souligne par exemple qu’ICTSI était l’unique candidat parmi les trois ne disposant pas « d’une capacité de transport maritime appropriée, un critère faisant pourtant partie des éléments qualifiants. En plus, ICTSI présente le plus mauvais ratio d’endettement avec 65 %, et donc est le candidat le plus vulnérable financièrement ».
Un acteur portuaire bat en brèche les arguments de la Commission. Il soutient que, s’agissant de la politique tarifaire dans le modèle d’affaires du groupement BCC, « les tarifs bord aux armateurs pour les conteneurs import et export correspondent à des tarifs plafonds maximum et s’établissent 50 % au dessus des tarifs de Douala et les tarifs de transbordement aux armateurs sont inférieurs d’environ 50 % à ceux pratiqués à Douala ».
Surtout, rappelle-t-il, « le groupement BCC intègre un armateur majeur dans le monde et dans la sous-région qui a validé cette approche tarifaire. Celle-ci tient compte des gains très importants que les armateurs réaliseront grâce aux économies d’échelle réalisées sur les liaisons Asie-Cameroun et Europe-Cameroun. Ces économies d’échelle seront permises par l’accroissement de la taille des navires qui pourront escaler directement à Kribi et que la configuration physique de Douala ne permettre jamais d’accueillir (chenal d’accès et profondeur insuffisante) ».
Le vrai décideur du choix de l’opérateur qui devra exploiter et développer le terminal à conteneurs du port en eau profonde de Kribi est sans aucun doute en possession de tous ces éléments d’appréciation. Les enjeux charriés par ce port commandent de décider en toute lucidité.
Dominique Mbassi