Cameroun : Les kidnappings reprennent à Touboro

Touboro

Des kidnappings ont repris une vingtaine de jours après une opération de haute intensité. Nous avons essayé de comprendre pourquoi.

Les huit otages ont été délivrés cet après-midi sains et saufs, lors d’une opération spéciale du Bir. Au cours du raid des militaires, un ravisseur a été abattu, un fusil de guerre AK 47, deux boîtes chargeurs et de nombreuses munitions ont été retrouvées. Au moment où nous allions sous presse, l’opération du Bir se poursuivait pour rattraper les autres ravisseurs en fuite. Les téléphones ont chauffé dimanche dans la région du Nord. Tout le monde voulait savoir ce qui s’est passé à Baoudi, une petite localité de l’arrondissement de Touboro. L’alerte avait été donnée par un message dont la tournure était faite pour provoquer l’émotion « la zone de Touboro, encore frappée par le kidnapping. Cette nuit du 18 juin 2022, des preneurs d’otages ont enlevés huit personnes », était-il écrit sur ce ton jubilatoire. Ce ton de satisfaction à peine dissimulée illustre l’ambiance particulière qui règne dans cette partie du département du Mayo Rey.

Pourtant, il y a une vingtaine de jours, les observateurs pouvaient constater une accalmie dans des faits de grand banditisme à Touboro. Pour cause, le Bir y avait déployé un demi millier de soldats d’élites. Pendant un mois à peu près, les moindres recoins de cet arrondissement plus vaste que la Belgique ainsi qu’aime à dire le maire Célestin Yandal.Ke temps de faire une vingtaine d’interpellations et de faire la découverte d’une cache d’armes de guerre, de munitions et d’autres objets illicites, Clean Touboro s’est arrêté.

Ces inarretables sauteurs de frontières

Juste après l’on apprenait par les bons soins du maire le 14 juin l’enlèvement de trois personnes. Les enlèvements étaient de retour  » Les sources d’opposition c’est à dire des groupes d’hommes qui ne sont pas à proprement parlé des ennemis mais, qui empêche d’atteindre les objectifs de paix et de sécurité, s’adaptent et évoluent », explique une source sécuritaire à Touboro. Il poursuit que Touboro est une zone frontalière de de pays instables « au sud, vers Mbang Rey, Domta, Dompla Toudoroum, Mbaiboum…, c’est la Rca qui est en crise. Même s’il faut reconnaître que les forces armées centrafricaines ont repris le dessus sur les trois Z les rébellions du nord, beaucoup d’anciens combattants fuient la pression de l’armée centrafricaine pour se réfugier à Touboro et nombreux reprennent leurs anciens métiers de grands bandits en milieu rural et de coupleurs de route. Plus au nord de l’arrondissement, et de façon plus importante, frontalièr avec les localités comme, Siri, Gazawa, Mayo Zake, Bilgui, Éléphant, Mayo Lade, il y’a le Tchad.

Là, on observe trois phénomènes inquiétants : d’abord, des militaires sans revenus fixes qui parfois, sont à la recherche de quoi se nourrir et se jettent dans le grand banditisme, n’hésitant pas à enjamber la frontière.; il y’a aussi des militaires demobilises, sans aucun chef donc sans le moindre contrôle ni discipline, ils s’adonnent à de la prédation pour survivre ; enfin, il y’a carrément des groupes rebelles. A cela il faut ajouter les similitudes culturelles entre les populations de part et d’autre de la frontière d’avec le Tchad. Ce dernier aspect favorise que ces populations peuvent traverser la frontière et se fondre dans les peuples frères de l’autre côté sans être reconnus. Ce qui rend considérablement difficile le travail des forces de maintien de défense. Quand il y a une période de combat de haute intensité, les bandits courent se réfugier de l’autre côté de la frontière deux trois semaines après, une fois que la vigilance a un peu baissée, ils reviennent « .

Et ces 90 postes de contrôle

Une autre source pointe le manque de cohésion dans les forces de défense et surtout la corruption. Pendant que le Bir met la pression, les autres forces travaillent pour » leur gain individuel « . » C’est vrai que cette mauvaise habitude existe et elle a eu un sérieux coup sur la dernière opération « , confie un militaire ayant participé à l’opération Clean Touboro. Pour lui, les rapines de ses camarades font que la population n’a plus confiance en l’armée. Il dénonce 90 postes contrôle routier dans l’arrondissement. Tout le monde s’y donne à cœur joie « même des forces de 3ème catégorie (militaires) « .

Selon lui, au bout de la journée aucune personne interpellée dans ces contrôles, n’est jamais déférée devant le procureur. » Il faut que la police des frontières, il faut que la sécurité publique, il faut que la gendarmerie, il faut que la brigade routière, à défaut de faire des opérations actives, s’engagent à faire du renseignement et à fournir aux militaires des informations. Il faut que le 31ème Bataillon d’infanterie motorisée qui est déployé sur le terrain, cesse de demander de l’argent aux populations.il faut qu’il se déploie avec une force nécessaire et dans la durée, pas pendant une semaine, dans une période qui lui permet d’être à la hauteur du haut commandement « .

A Touboro, les forces engagées dans l’opération se sont heurtée au silence des populations. » la collaboration de la population est indispensable. Les menaces nouvelles sont hybrides parfois la victime est aussi le bourreau ou l’acteur. Il faut une cohésion, une osmose entre les forces, la population, les autorités administratives, les démembrement de l’administration (commune), chacun doit s’investir. Pour que la force soit bien déployée il lui faut l’information. Celle-ci doit venir de tous les acteurs de la société.il faut un total désintéressement pour que le niveau où l’information circule en temps voulu soit atteint ». Seulement, Touboro est un arrondissement miné par de nombreuses pesanteurs souterraines.

Il y’a des problèmes tribaux entre Mboumy, Peulhs et Migrants. D’ailleurs, le gros des enlèvements est localisé dans la zone comprise : entre Lawol Goudjol, Éléphant, Mayo Lade, jusqu’à l’entrée de Touboro. Les victimes sont presque toujours des « Migrants », pas des peulhs ni des Mboums mais, les très laborieuses personnes déplacées de l’Extrême Nord et installées là par le gouvernement. En simple, ce sont des réfugiés climatiques difficilement acceptés par leurs devanciers dans l’arrondissement. De même qu’il y a un vif affrontement entre le Rdpc et l’Undp…, qui sont autant d’obstacles à un franche collaboration.

Et ce mémorandum qu’on pousse…

Du coup, on peut se demander si les populations sont gênées par la situation sécuritaire qui prévaut à Touboro. « Si c’est le cas, elle n’en donne pas l’impression. Quand une entité, un groupe humain, s’entend, est solidaire, fermé de manière hermétique c’est possible pour un village , aucun intrus ne peut s’y faufiler. Si quelqu’un entre, il le fait avec la complicité d’un membre du groupe ou avec l’assentiment de tous. Il faut aussi renforcer le niveau de renseignement, aujourd’hui se sont les unités opérationnelles qui font elles mêmes le renseignement, les services de renseignement ne fonctionnent pas. Il faut demander aux forces de premier et deuxième degrés d’arrêter les contrôles d’identité et tout ce qui met en mal les relations entre les populations et les forces pour permettre à celles ci de se lancer de manière résolue dans l’opération. Une fois cela fait, il faut une opération de grande envergure dans la durée qui regroupe toutes les forces déployées « .

Ces préconisations sécuritaires ne convainc pas le maire de Touboro. La semaine dernière encore il portait un plaidoyer d’un représentant ecclésial de sa commune sur la question des enlèvements. » Le problème est politique et doit avoir une solution politique », dit Célestin Yandal. Il est d’ailleurs à l’initiative d’un mémorandum adressé au président de la République en 2021. Il veut un département de Touboro et un Bataillon de l’armée rien que pour la circonscription « on insiste sur cette question de redecoupage du département du Mayo rey qui apportera à coup sûr un soulagement substantiel à cette situation qui ne fait que prendre des proportions inquiétantes ; et partant un ouf ! à la population qui attend cette décision courageuse depuis des décennies », soutient il.

Une voix qui fait tressaillir dans la région du Nord. « Ceux qui pensent politique , veulent profiter de l’insécurité pour poser d’autres revendications qu’ils ont. Sauf à dire que la succession d’enlèvements dans l’arrondissement est une manière que les populations ont de protester, en alleguant que si on crée un département de Touboro, il n’y aura plus de kidnappings et de criminalité. Si tel est le cas, la personne qui porte ce discours devrait être interpellée pour s’expliquer. Ce mémorandum parle aussi de la création d’un bataillon à Touboro, c’est dire la méconnaissance de l’organisation territoriale de l’armée camerounaise. Il y’a déjà un bataillon à Tchollire qui couvre toute la zone et l’unité d’intervention du Bir à Touboro à la valeur d’un bataillon avec près de 300 militaires. C’est une task force, c’est à dire qu’elle est constituée par rapport à la mission. L’intention réelle du mémorandum, c’est de séparer l’arrondissement de Touboro du département du Mayo Rey mais, plus encore le séparer du lamidat ! « 

Aziz Salatou / 237online.com

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