Dans une affaire qui ébranle les fondements du système judiciaire camerounais, Tagne Henri, détenu depuis plus de cinq ans à la prison centrale de Bafoussam, lance un cri d’alarme retentissant. Son histoire, relatée sur 237online.com, met en lumière des dysfonctionnements graves au sein de l’appareil judiciaire de la région de l’Ouest, soulevant des questions cruciales sur l’état de droit au Cameroun.
Qui est Tagne Henri ?
Tagne Henri, figure jusqu’alors peu connue du grand public, s’est soudainement retrouvé au cœur d’une tempête judiciaire qui dépasse sa simple personne. Incarcéré depuis le 15 janvier 2019, cet homme se présente comme un citoyen ordinaire, injustement pris dans les rouages d’un système qu’il qualifie de défaillant.
Selon ses déclarations, Tagne Henri serait le président de l’UPC-Ouest, une branche régionale de l’Union des Populations du Cameroun, un parti historique d’opposition. Cette affiliation politique ajoute une dimension particulière à son cas, soulevant des questions sur les motivations potentiellement politiques de sa détention.
L’affaire qui a tout déclenché
L’histoire de Tagne Henri commence par une affaire foncière apparemment banale. Il aurait été impliqué dans la cession de parcelles du titre foncier N°7027/Mifi à des parties civiles. Un lotissement avait été effectué et une procédure d’homologation du procès-verbal de ce lotissement était en cours auprès du Tribunal de Première Instance.
Cependant, le 26 décembre 2018, Tagne Henri est interpellé par la Division de Police Judiciaire de l’Ouest, marquant le début d’une saga judiciaire qui dure depuis plus de cinq ans. Il est accusé d’escroquerie foncière, une accusation qu’il réfute catégoriquement.
Les irrégularités dénoncées
Au cœur du plaidoyer de Tagne Henri se trouve une liste impressionnante d’irrégularités procédurales qu’il dit avoir constatées et subies :
- Une garde à vue prolongée : Tagne Henri affirme avoir été gardé à vue pendant 21 jours, bien au-delà du délai légal maximal de 6 jours prévu par l’article 119 du code de procédure pénale camerounais.
- Des mandats de détention irréguliers : Il dénonce l’absence de signatures requises sur les mandats de détention, en violation de l’article 9 de la loi N°2006/015 du 29 décembre 2006 portant Organisation Judiciaire.
- L’absence de formule exécutoire : Tagne Henri pointe l’absence de la formule exécutoire sur les mandats, contrairement aux exigences de l’article 11 de la loi de 2006 sur l’organisation judiciaire.
- Des jugements rendus en l’absence des accusés : Il affirme que des décisions ont été prises sans que les accusés ne soient présents, les privant ainsi de leur droit d’être informés de la possibilité d’interjeter appel.
- Des délais de procédure non respectés : Tagne Henri évoque des retards considérables dans le traitement des affaires, citant notamment un cas où la Chambre du Contrôle de l’instruction aurait mis plus de 25 mois pour statuer, bien au-delà du délai légal de 30 jours.
- Des mandats d’incarcération collectifs : Il dénonce l’émission de mandats d’incarcération pour plusieurs personnes sur un même document, une pratique qu’il juge illégale.
L’impact sur le système judiciaire
Les allégations de Tagne Henri, si elles sont avérées, révèleraient des dysfonctionnements systémiques au sein de l’appareil judiciaire de l’Ouest-Cameroun. Ces pratiques, selon lui, ne se limiteraient pas à son cas mais affecteraient de nombreux autres détenus.
Il affirme que plus de 600 inculpés, prévenus et accusés seraient détenus à la Prison Centrale de Bafoussam sans titres valides ou avec des mandats de détention provisoire entachés d’irrégularités. Cette situation, si elle est confirmée, constituerait une violation massive des droits fondamentaux et remettrait en question l’intégrité même du système judiciaire dans la région.
Un appel à la mobilisation nationale
Face à ce qu’il considère comme une dérive dangereuse du système judiciaire, Tagne Henri lance un appel vibrant à toutes les composantes de la société camerounaise. Son plaidoyer s’adresse à un large éventail d’acteurs :
- Aux institutions de l’État : Il interpelle directement le Président de la République, le Parlement, la Cour Suprême et le Conseil Constitutionnel, les exhortant à prendre des mesures pour rétablir l’état de droit.
- Aux partis politiques : Tagne Henri appelle aussi bien le parti au pouvoir, le RDPC, que les partis d’opposition à se mobiliser contre ces dérives judiciaires.
- À la société civile : Il sollicite l’intervention des organisations de défense des droits de l’homme, des syndicats et des associations.
- Aux médias : Tagne Henri demande aux journalistes et aux communicateurs de relayer son message et d’enquêter sur ces allégations.
- Aux autorités religieuses : Il fait appel aux leaders religieux de toutes confessions, reconnaissant leur influence morale sur la société.
Les enjeux pour le Cameroun
L’affaire Tagne Henri soulève des questions fondamentales sur l’état de la démocratie et de la justice au Cameroun. Les enjeux sont multiples et cruciaux :
- L’indépendance de la justice : Les allégations d’ingérence et de pressions sur les magistrats remettent en question l’autonomie du pouvoir judiciaire.
- Le respect de l’État de droit : Les violations présumées des procédures légales ébranlent la confiance dans les institutions judiciaires.
- La protection des droits humains : Les détentions prolongées sans jugement ou sur la base de procédures irrégulières constituent de graves atteintes aux droits fondamentaux.
- La stabilité sociale et politique : Ces dysfonctionnements, s’ils sont avérés, pourraient alimenter le mécontentement social et la défiance envers les institutions.
- L’image internationale du Cameroun : De telles allégations pourraient ternir la réputation du pays sur la scène internationale et affecter ses relations diplomatiques et économiques.
Les réactions et les perspectives
L’appel de Tagne Henri a commencé à susciter des réactions au sein de la société camerounaise. Certains activistes des droits de l’homme ont relayé son message, appelant à une enquête approfondie sur ces allégations.
Du côté des autorités, le silence reste pour l’instant de mise. Ni le Ministère de la Justice, ni la Cour d’Appel de l’Ouest n’ont encore réagi officiellement aux accusations portées par Tagne Henri.
Certains observateurs, cités par 237online.com, estiment que cette affaire pourrait être le catalyseur d’une réforme en profondeur du système judiciaire camerounais. D’autres craignent cependant que ces révélations ne soient étouffées ou minimisées.
La dimension politique de l’affaire
Le cas de Tagne Henri soulève également des questions sur la possible instrumentalisation politique de la justice. En tant que membre de l’UPC et soutien déclaré du candidat Maurice Kamto lors de l’élection présidentielle de 2018, Tagne Henri suggère que son incarcération pourrait être liée à ses activités politiques.
Cette dimension ajoute une couche de complexité à l’affaire, la plaçant au cœur des tensions politiques qui traversent le Cameroun depuis plusieurs années. Elle souligne la nécessité d’une justice véritablement indépendante, capable de résister aux pressions politiques.
L’avenir de Tagne Henri et du système judiciaire
Alors que Tagne Henri attend une décision sur sa requête en habeas corpus, son cas est devenu symbolique d’un combat plus large pour la réforme du système judiciaire camerounais. Qu’il obtienne ou non sa libération, son plaidoyer a déjà contribué à mettre en lumière des problèmes systémiques qui nécessitent une attention urgente.
Pour de nombreux observateurs, l’affaire Tagne Henri représente un test crucial pour l’état de droit au Cameroun. La manière dont les autorités répondront à ces allégations pourrait définir l’avenir de la justice dans le pays pour les années à venir.
Un moment décisif pour la justice camerounaise
L’histoire de Tagne Henri, au-delà de son cas personnel, est devenue le symbole d’un combat plus large pour la justice et l’état de droit au Cameroun. Son appel à la mobilisation nationale résonne comme un avertissement sur les dangers que représentent les dérives judiciaires pour la stabilité et le développement du pays.
Alors que le Cameroun fait face à de nombreux défis, notamment sécuritaires et économiques, l’affaire Tagne Henri rappelle l’importance cruciale d’un système judiciaire intègre et équitable. C’est sur cette base que peuvent se construire la confiance des citoyens envers leurs institutions et, in fine, la paix sociale et le développement durable.
L’avenir dira si cet appel aura été le déclencheur d’une prise de conscience nationale et d’une réforme en profondeur du système judiciaire camerounais, ou s’il restera lettre morte. Quoi qu’il en soit, Tagne Henri aura, par son action, contribué à ouvrir un débat crucial sur l’état de la justice dans son pays.