Cameroun – Instrumentalisation : Les politiques à la manœuvre

Le discours sur l’ethnie est revenu chaque fois qu’il a été question de conquête du pouvoir.

La dernière élection présidentielle au Cameroun a remis de façon violente le discours tribal sur la place publique. Et le scrutin du 7 octobre passé,
celui-ci ne s’est pas estompé. D’autant plus que la bataille pour la conquête du pouvoir joue les prolongations. Et beaucoup, dans cette bataille,
veulent voir une guerre des tribus. Sur les réseaux sociaux, on s’affronte entre «tontinards» et «sardinards» , des espèces de mots-tiroirs pour éviter
de citer clairement ethnies que l’on oppose ici. Dans le même temps, dans la société on s’émeut de part et d’autre sur cette montée de la haine tribale. En se dédouanant, naturellement. Tous vous diront combien ils aiment les gens de telle ethnie autre que la leur. Ils vous brandiront des ami(e)s proches ou des camarades d’enfance originaires de contrées lointaines de la leur. Ils mentionneront la tribu de leurs conjoints pour dire combien ils sont ouverts à toutes les cultures. Et pourtant, le mal est bien là. Le discours sur la tribu est bien présent dans la scène publique, et notamment politique camerounaises. Et il a souvent été instrumentalisé par les politiques, ouvertement ou subrepticement, à certaines périodes particulières de notre histoire.

Sut la Crtv, Jean de Dieu Momo, homme politique, président du Paddec et ministre délégué à la Justice, a tout au long d’une émission tenu la thèse
des Bamileke qui voulaient, au nom de l’ethnie, s’emparer du pouvoir. Et il n’a pas parlé que du présent mais a fait une allusion à la première élection au lendemain du retour au multipartisme. Celle de 1992 dont les principaux protagonistes étaient Paul Biya et John Fru Ndi. En arguant que déjà, à cette période, les tenants de la thèse de la victoire volée du Rdpc etaient des Bamileke tapis dans l’ombre du leader du Sdf. Les choses ne se sont peut-être pas passées exactement comme cela, mais il est clair que pendant cette période agitée, le discours tribal a également été de sortie. Ces années 90 ont en effet été l’un des moments forts du discours de haine sur la scène politique camerounaise. D’un côté, on voulait en finir avec la «Betisation» du pouvoir. De l’autre il ne fallait pas permettre à d’autres de s’en saisir. A côté de l’opposition des partis politiques, il y avait l’opposition d’associations, Essingan et La’akam, notamment. Certaines populations ont même été menacées du fait de leur origine. Fanny Pigeaud, dans son livre «Au Cameroun de Paul Biya » rappelle cet épisode : «Pendant les «années de braise», le gouvernement et le Rdpc ont entretenu le même climat : pour disqualifier l’opposition et ses revendications, ils ont fait dériver le débat politique vers des considérations uniquement ethniques, accusant le Sdf d’être le fer de lance d’une conspiration réunissant cette fois Anglophones et Bamiléké. »

Présidentielle 1992

Elle écrit également : « Au moment de l’élection présidentielle très disputée de 1992, les Bamiléké habitant à Yaoundé et dans des villes du Sud ont
été menacés d’expulsion s’ils ne votaient pas en faveur de Biya. Et de fait, au lendemain du scrutin, les Bamiléké soupçonnés par les autochtones d’avoir voté pour «l’opposition étrangère» ont vu leurs biens pillés, leurs maisons incendiées, notamment à Sangmelima et Ebolowa (Sud), tandis qu’en retour, des Beti installés à l’Ouest étaient menacés. » Antoine Sokpa (Démocratisation et autochtonie au Cameroun: trajectoires régionales différentes) indiquait déjà qu’en 1992, « la campagne électorale s’effectua dans une tension extrême opposant les Bamiléké aux Beti ». Mais il précise dans le même livre que l’une des raisons de cette résurgence des antagonismes ethniques dans les années 90 était la manipulation politique. Plus tard, du fait de batailles moins serrées aux élections présidentielles suivantes, cet «affrontement» a été un peu en retrait du débat public. Mais jamais bien loin. A l’approche de l’année 2011, qui devait être la dernière de Paul Biya au pouvoir d’après la Constitution de l’époque, les supputations sur sa succession ont resurgi. Et les considérations ethniques avec. En 2009, Amadou Ali, vice-Premier ministre et ministre de la Justice a eu un entretien avec l’ambassadeur des Etats-Unis, rendu public plus tard par Wikileaks. Au court de cet entretien, il déclarait que le Septentrion soutiendrait Paul Biya tant qu’il souhaiterait être président, mais n’accepterait pas un autre Beti/Bulu ni un Bamiléké. Ces révélations ont choqué quelques personnes dans l’opinion, mais pas suffisamment pour que l’on tourne le dos aux considérations ethniques. La preuve…

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