Cameroun – Hommage : C’était Martin Soua Ntyam

Martin Soua Ntyam

L’une des personnalités remarquables du journalisme au Cameroun s’est éteinte.

Décembre 2021. Avenue Kennedy, Le Sintra. Nous déjeunons en devisant au fond de la salle, assis sur la banquette, moi en face. Cette fois-ci, l’addition a été pour moi. Décembre 1987, Le Cintra. Au même endroit : lui, responsable de la relecture à Cameroon Tribune et moi, étudiant à l’Essti, prenons l’apéro. Ce jour-là l’addition fut la sienne, lui, l’enseignant de journalisme qui avait invité un jeune étudiant après le cours de « journalisme d’agence », un samedi…

Je l’ai toujours appelé  » Martin ». Sans m’embrasser de cette fausse obséquiosité à la camerounaise qui veut que l’on serve du « grand frère » à tort et à travers et fidèle à la vieille tradition qui veut qu’entre journalistes, le tutoiement soit de règle. Par l’âge ( né en 1943) il aurait pu être mon père et c’était mon enseignant. Il n’avait pas besoin de prendre des airs supérieurs, il l’était tout naturellement, par sa manière d’être et sa façon de faire. Déjà perclus par la maladie grave dont il parlait avec beaucoup de simplicité, un sujet comme un autre, il a refait avec moi le tour de l’actualité et s’est attardé sur le traitement de celle ci par les journaux, en déplorant ce métier qui  » s’en allait en c… »

Martin Soua Ntyam est entré en journalisme comme on entre dans les Ordres. Au début des années 70, il était déjà étudiant en deuxième année de Sciences après avoir un peu fait comme tout le monde à l’époque, enseigné au Collège protestant le Libamba, lorsque Hervé Bourges, fraîchement débarqué d’Algérie, lance l’École Supérieure Internationale de Journalisme de Yaoundé. Il sera de la toute première promotion de l’école avec pour camarades, entre autres Alexandre Owona ( ancien rédacteur-en- chef de Cameroon-Tribune), Albert Mbida ( sénateur), Joseph-Marcel Ndi ( ancien rédacteur-en-chef Radio Cameroun) et d’autres noms moins célèbres, Jean Fotso… Il fait un tour à l’ Agence camerounaise de Presse, ( ACAP), avant d’être de ceux qui seront autour du bébé Cameroon Tribune en 1974, dont il sera l’un des premiers secrétaires de rédaction.

En avril 1987, survient l’une de ces péripéties qui marquent au fer rouge toute carrière de journaliste: la prison. Suite à une sombre affaire de la publication par Cameroon Tribune de décret au sujet de la délégation de signature du chef de l’ Etat, il se retrouve avec quelques autres confrères dans les locaux de la BMM, de sinistre réputation… Ebona Nyetam alors rédacteur-en-chef, Joseph Zambou Zoleko directeur général séjourneront eux aussi en cette occasion à la BMM. Sale saison à Cameroon Tribune : peu de temps après, Jean Marie Nzekoue, pour avoir rédigé le compte rendu d’une conférence sur « l’ ethnofacsisme », David Ndachi Tagne pour l’ avoir publié dans les pages « culture » dont il était le chef, feront eux aussi le petit séjour initiatique de la BMM.

Le problème avec notre homme, c’est qu’il se retrouvait en détention, juste au lendemain de son mariage, célébré avec faste au Palais des Congrès de Yaoundé. Un trauma personnel que l’homme prenait avec philosophie, mais dont il a pris la peine d’établir les responsabilités. Cet incident marquera plus ou moins la fin de son aventure avec le « grand quotidien national » . Il aspire à prendre de l’air.

Le grand air, ce sera le projet de la Pana. ( Panafrican News Agency.) L’air du temps, c’est la conquête du Nouvel Ordre Mondial de l’information, où l’on estimait, à juste titre, que l’Occident dominait l’Afrique également avec ses médias qui ne renvoyaient qu’une image négative du continent. Le débat est engagé à l’Unesco et l’initiative de la création de la Pana est prise. Martin Soua Nytam est de l’équipe de lancement de cette agence, avec le Congolais Auguste Mpassy Muba comme directeur général. Si ce dernier est dans les salons, Martin Soua Ntyam est aux cuisines. A Kinshasa d’abord comme chef du bureau Afrique centrale, puis à Dakar, siège de la Pana, où il vit le plein épanouissement professionnel, comme rédacteur-en- chef, Martin Soua Ntyam est également une espèce de  » tonton » pour la grande communauté estudiantine camerounaise, de l’époque, où son domicile était l’endroit où chacun pouvait trouver un repas chaud et un endroit pour se poser.

Son retour au Cameroun ne sera pas non plus de tout repos. Augustin Kontchou Kouemegne, ministre de la Communication parlera souvent des questions liées à la presse parce qu’il avait derrière lui une petite main experte, celle de Martin Soua Nytam. Il participera à l’essentiel des réformes qui ont eu lieu dans le secteur, au début des années 90, et qui sont le fruit des batailles menées de l’extérieur par la société civile, mais aussi de l’intérieur par des fonctionnaires certes, mais imbus d’ une valeur inaltérable : la liberté d’expression.

Un improbable accident sur la voie publique, il y a une quinzaine d’années, l’avait obligé à marcher avec une canne anglaise. Mais même avec une canne, il gardait sa légendaire élégance et son éternelle jeunesse. Il n’avait pas besoin d’être un « sapeur » impénitent, car d’un rien, il s’habillait de manière distinguée et raffinée.

Il fumait, mais peu. Il buvait, juste ce qu’il faut pour tenir la convivialité avec ses nombreux amis, dont si peu d’intimes. Il ne s’est refusé aucun plaisir véritable, même au plus fort de sa maladie, qu’il traitait avec ce détachement qui a toujours été sa marque de fabrique.

Haman Mana

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