Un rapport d’une mission de vérification du Contrôle supérieur de l’Etat (Consupe) au Programme de sécurisation des recettes routières de 2007 à 2011 met en lumière toutes les stratégies utilisées par différents acteurs. La perte pour l’Etat se chiffre à plusieurs milliards de FCFA.La stratégie de siphonage de l’argent du péage routier commence avec l’acquisition des tickets. De manière générale, elle s’effectue à travers un marché attribué toujours de gré à gré par le ministère des Finances (Minfi) exclusivement à l’Imprimerie nationale, en violation de l’article 55 alinéa 2 du Code des marchés publics qui dispose : « Tout marché public doit être conclu avant tout commencement d’exécution ».
Or, au cours de la période ciblée, tous les marchés relatifs à l’acquisition des tickets de péage sont systématiquement passés en régularisation. En 2007 par exemple, l’Imprimerie nationale a lancé l’exécution de ses prestations le 8 décembre 2006 alors que la signature du marché n’interviendra que le 28 janvier 2008. L’année suivante, il a fallu attendre 402 jours pour régulariser un marché exécuté depuis plus d’un an déjà. Une démarche qui est restée de mise jusqu’en 2011 d’après le rapport. En vérité, cette violation n’a pas cessé avec la visite de la mission de contrôle.
[b]Production des tickets[/b]
La mission du Consupe a constaté une énorme disproportion entre les intrants servant à la production des tickets de péage et les tickets effectivement produits. Cette situation est de nature à favoriser la production de tickets qui ne sont pas comptabilisés dans les livraisons effectuées au Programme de sécurisation des recettes routières (PSRR).
La mission de vérification relève que « la quantité des tickets imprimés et même quelques fois livrés par l’Imprimerie nationale au PSRR ne correspond pas à celle commandée ». Le nombre de tickets effectivement produits est toujours soit inférieur soit supérieur à la quantité commandée. Et comme par hasard, les quantités livrées sont toujours tantôt supérieures tantôt inférieures aux quantités produites.
Pour la seule année 2011, deux constats majeurs ont été faits : 933.864 tickets d’une valeur de 466.932.000 FCFA ont été imprimés sans pour autant être livrés au PSRR, tout comme 750.704 tickets d’une valeur de 375.352.000 FCFA ont été livrés en plus au PSRR. En somme, pour cette seule année, le PSRR a passé une commande de 13.687.000 tickets, mais a reçu livraison de 14.885.000 tickets. Le surplus de ticket a surtout alimenté de façon parallèle le poste de péage de Boumnyebel, qui a de cette manière reçu 893.392 tickets.
D’ailleurs, tout semble avoir été mis en œuvre afin d’entretenir des circuits parallèles d’approvisionnement des postes de péage en tickets. En témoignent les défaillances délibérément voulues par le processus de leur sécurisation. La mission de contrôle s’émeut de constater dans les ateliers du service de production de l’Imprimerie nationale, entre autres, « l’absence de lieu de stockage sécurisé pour les imprimés de péage, les machines de production des valeurs et les souches de tickets non utilisées, l’entreposage des imprimés de valeurs dans les couloirs et hangars de l’entreprise où se déploient quotidiennement les agents, l’existence des conditions de fuite et d’impression parallèle des tickets de péage, l’absence de commission effectivement fonctionnelle et constituée selon les textes en vigueur chargée de constater des défaillances sur les tickets imprimés, d’autoriser leur destruction ou une éventuelle reprise, l’absence de dispositifs sécuritaires destinés à enrayer des sorties frauduleuses des tickets de péage de l’Imprimerie nationale ».
De plus, une fois produits, les tickets de péage empruntent quelques fois des voies sinueuses. « En dépit des clauses et des dispositions sus-évoquées, la mission a constaté que la réception des livraisons mensuelles des tickets de péage n’obéit pas aux modalités prévues dans le marché. Pour la période sous revue, la commission de réception prévue par le contrat n’a jamais été convoquée. En ses lieu et place, divers agents du PSRR, n’ayant pas la qualité requise ont assumé cette importante responsabilité de façon informelle ». En 5 ans, six agents ont ainsi réceptionné 133 500 carnets.
[b]La gestion des tickets de péage[/b]
A ce niveau, la mission du Consupe note des discordances significatives entre les bordereaux d’approvisionnement des postes de péage en tickets délivrés par la coordination du PSRR et les approvisionnements effectifs des postes. Ce constat met en lumière une stratégie de transmission parallèle des tickets à différents postes de péage par la coordination centrale. Dans un premier le PSRR ne consigne dans ses bordereaux qu’une partie des tickets mis à disposition des chefs de poste, qui se chargent de vendre en priorité ces tickets parallèles dont le fruit est partagé entre les différents maillons de la chaîne.
Acculés par la mission de contrôle, certains chefs de poste sont passés aux aveux complets. « Lors de la livraison du mois, j’ai reçu un paquet de tickets en sus, erreur faite certainement lors de l’expédition. Paquet que j’ai gardé par devers moi sans en informer ma hiérarchie. En fait, j’ai cru à un coup de chance et voulu l’exploiter comme tel, car ils ont effectivement été mis en vente mais retirés sous décharge lors de votre mission au poste de Bandja, confesse dame Maoundé.
Dame Omgba E. Sylvie née Ambomo Ntouda, à l’époque chef de poste de Mbankomo avoue qu’ « il existe des cas où le nombre de colis indiqués sur le bordereau de livraison est inférieur à celui effectivement reçu. (…) Je reçois en moyenne quatre colis qui ne sont pas comptabilisés chaque année et ce depuis 2009 ».
Elvis Nang, son collègue du poste d’Awaé, est plus explicite : « S’agissant des valeurs non comptabilisées, je ne maîtrise pas le processus de commande. Toujours est-il qu’elles me parvenaient par des intermédiaires qui sont des proches du coordinateur ou de monsieur Mankollo. Il en est de même pour la contrepartie. (…) Il est à noter que cela ne se passait pas de manière continue, mais très souvent pendant des mois à haut rendement (juillet, août, décembre, mars). »
Dans la même logique, la brigade mobile de contrôle du Consupe, lors de ses investigations sur le terrain, a surpris plusieurs responsables de postes de péage en possession d’importants lots de tickets invendus datant de périodes et exercices passés. De plus, des tickets invendus pendant leur période de validité et n’ayant pas été rétrocédés au PSRR ont été réintroduits dans le circuit de vente. Par exemple, le 4 août 2011, 7388 tickets de l’exercice 2009 ont été saisis au poste de péage de Gazawa.
En plus d’utiliser ces stratagèmes, les responsables des postes de péage distraient encore une partie des recettes collectées. Ainsi, au cours de la période concernée par la mission de contrôle, 706.419.000 de FCFA ont été détournés par les chefs de postes.
Les plus grandes malversations se déroulent sans doute à la coordination centrale, à travers la gestion des tickets invendus rétrocédés par les postes. Ainsi, au cours d’un inventaire réalisé en présence du représentant du DG des Impôts, des responsables du PSRR et de la gendarmerie, la mission de contrôle du Consupe a constaté sur les tickets rétrocédés au PSRR, 7.539.106 n’ont pas été retrouvés dans les magasins de cette structure, soit une valeur de 3.769.553.000 FCFA.
Pour la mission de contrôle, il ne fait pas de doute, au regard des conditions inappropriées et insécurisées de stockage des tickets rétrocédés, que ceux-ci ont été réinjectés dans les réseaux parallèles de vente. Pour une perte inestimable pour les caisses de l’Etat et une impunité des suspects.