Cameroun : Faire des infrastructures héritées de la CAN des piliers d’une stratégie de tourisme sportif

La 33ème édition de la Coupe d’Afrique des Nations de football s’est achevée le 6 février 2022, avec la victoire de l’équipe nationale du Sénégal.

Au-delà de l’effervescence qui a tenu en haleine le Cameroun et l’Afrique entière pendant les quatre semaines qu’a duré la compétition sportive continentale, de nombreuses questions se posent, sur le sort réservé aux arènes ayant accueilli ce grand rendez-vous sportif. A quoi serviront ces lieux de compétition? Comment vont-ils être entretenus ? Quelle stratégie sera mise en œuvre, pour ne pas en faire des éléphants blancs ?

Ces questions ne sont pas anodines, ce d’autant plus que l’espérance de vie et la fonctionnalité de certaines des infrastructures de la Coupe d’Afrique des Nations de football sont relativement peu élevées, dans un certain nombre d’autres pays en Afrique. D’autre part, la pénibilité de réalisation des travaux (en terme de suivi de calendrier notamment), et les nombreux scandales en tous genres ayant émaillé -à tort ou à raison- la feuille de route des travaux nous poussent, légitimement et en toute citoyenneté, à nous interroger.

Selon Jeune Afrique, la Task force organisée autour du ministre d’Etat, secrétaire général de la présidence de la République aurait transmis au président de la République un projet de gestion des infrastructures sportives héritées de la CAN 2021. Les propositions de ladite Task force s’orienteraient vers la création d’une entité publique -avec démembrements régionaux- chargée de l’entretien des infrastructures existantes et de la construction de nouveaux édifices dans les régions qui n’en comportent pas. Mais à quelles fins ? Selon quelles modalités ? Sur la mobilisation de quelles ressources ?

Une autre piste envisagée serait également la mise sur pied d’une société d’économie mixte, regroupant le ministère des Sports, la Ligue professionnelle de football et la Fédération camerounaise de football (Fécafoot), avec pour objectif la gestion de l’infrastructure héritée de l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations de football.

Il est important de rappeler que, selon diverses sources, le Cameroun aurait investi pas moins de 760 millions d’euros (environ 500 milliards de FCFA) dans les infrastructures sportives et dans le développement d’autres installations ayant servi à l’accueil de la compétition, soit environ 2% de son PIB.

Une absence de stratégie lisible

La première observation que l’on peut faire est une absence de stratégie lisible dans l’utilisation de l’infrastructure sportive héritée de la Coupe d’Afrique des Nations. La production d’un rapport sur la gestion de ces infrastructures au mois de janvier 2022, plusieurs années après le début de leur construction, dénote à minima un manque d’anticipation et au pire, un manque de vision doublé d’un aveuglement stratégique de la part du gouvernement. Les investissements colossaux conséquents à la construction de ces infrastructures devaient s’inscrire dans un projet de développement plus vaste, qui viserait à faire du Cameroun une destination majeure de tourisme intégral (sport, affaires, etc.) en Afrique et dans le monde.

Au-delà des propositions de la Task force susmentionnée et quel que soit le bout par lequel on aborde l’équation de l’utilisation post Coupe d’Afrique des Nations de ces infrastructures, une inconnue fondamentale demeure: à quoi serviront désormais les infrastructures existantes et éventuellement celles à venir?

Quels scénarios ?

De multiples scénarios existent, parmi lesquels l’utilisation de cette infrastructure pour les compétitions nationales de football, Elite 1 et Elite 2 notamment, ou encore la mise sur pied d’une véritable approche stratégique durable en faisant du Cameroun un acteur majeur du tourisme sportif et d’affaires en Afrique et dans le monde.

L’utilisation de certains stades pour les championnats professionnels locaux

En cas d’utilisation de ces infrastructures pour les matchs des championnats locaux, notamment les stades d’Olembe, de Japoma, de Limbe et de Kouekong, la question est de savoir si ces compétitions seront suffisamment attractives pour générer des flux importants de spectateurs vers les stades hérités de la CAN ?

Il faut commencer par mettre en perspective l’offre de divertissement qui existe aujourd’hui, et la considérer comme globale. Les effets de la mondialisation touchent tous les secteurs de l’économie. Et le sport comme divertissement n’y échappe pas. Il est important de savoir dans quelle mesure le football local camerounais s’inscrit dans cette offre, qu’il faut considérer comme globale, mondialisée. Les consommateurs de divertissements sportifs ont aujourd’hui le choix entre la English Premier League, la Liga, le Calcio, la Bundesliga, la Ligue 1 – ou évoluent tous les meilleurs joueurs de football du monde dont les nôtres -, et les compétitions locales.

Pensant aux mythiques rencontres de football qui avaient encore cours jusque dans le milieu des années 90 et qui ont opposé certains clubs connus comme le Canon de Yaoundé, l’Union de Douala, le Tonnerre de Yaoundé, Bamboutos de Mbouda, Racing club de Bafoussam, Etoile Filante de Garoua, Entente sportive de N’gaoundéré, certains voient cette infrastructure comme la clé d’une renaissance. Seulement, l’infrastructure seule ne semble pas suffisante pour faire le spectacle. Il faut également des acteurs, en plus des affiches de qualité et un environnement promotionnel qui incite à la consommation de l’offre locale. La création de cet écosystème intégré, nécessaire au développement du football camerounais, sera longue et nécessitera la conjonction d’efforts ardus entre plusieurs acteurs.

Les championnats locaux, en l’état actuel, n’ont pas besoin d’arènes aussi grandes pour leurs activités courantes. A des équipes qui manquent cruellement de ressources, ce serait rajouter une charge supplémentaire, beaucoup trop importante, que d’avoir à gérer ces infrastructures. Dans cette perspective, il faudrait travailler au développement de stades plus petits, de 10-15 mille places au maximum – type stade militaire à Yaoundé, stade Mbappé Léppé à Douala ou encore Stade municipal de Bafoussam ou de Limbe, avec toutes les commodités modernes suivant un cahier de charges précis. Dans cette perspective, certains stades d’entraînement peuvent être améliorés, afin de pouvoir accueillir des spectateurs plus nombreux dans un meilleur confort.

A terme, il est important que chaque club professionnel puisse disposer de sa propre infrastructure, afin de mieux contrôler les flux financiers et d’en assurer un entretien adéquat.Le temps de l’État-providence est révolu. Une vraie économie du sport doit se mettre en place autour des clubs, avec les stakeholders que sont les collectivités territoriales, les sponsors, les investisseurs.

L’utilisation du tourisme sportif comme pilier de développement

Faire du tourisme sportif un objectif stratégique et de croissance pour le Cameroun est un des axes qui permettrait d’entretenir et de rentabiliser les infrastructures héritées de la Coupe d’Afrique des Nations 2021.
La Stratégie Nationale de Développement (SND30) du Cameroun qui précise les grandes orientations de la politique de développement sur la période 2020-2030 ne mentionne rien de précis et d’engageant sur le sujet. En matière de tourisme et de sport, les intentions sont timides, presque sans conviction.

Ainsi, en matière de sport : « Le Gouvernement entend mettre sur pied une stratégie autour de l’économie du sport notamment à travers l’organisation du sport de masse et d’élite, la promotion des activités culturelles et l’organisation permanente des compétitions à tous les niveaux (national, régional et communal) dans diverses disciplines ». Et pour ce qui est du Tourisme : « Le Gouvernement compte : (i) définir et organiser les priorités d’investissement (public et privé) autour de deux ou trois produits touristiques phares… ; (iii) renforcer l’offre touristique… ; (vi) développer l’éducation des populations à la culture touristique ».

Il est clair que le volume d’investissements consentis en matière d’infrastructures aurait dû inciter à une réflexion plus approfondie sur l’utilisation future des infrastructures, et conduire à une intégration plus franche du tourisme sportif et d’affaires dans la stratégie de développement du Cameroun. Le sport est un élément d’attractivités diverses, et sa pratique génère un vecteur de développement économique dense.

En France et à titre d’illustration, le poids économique de la filière sport dépasse la barre des 90 milliards d’euros. Ce qui représente le budget des 360 000 associations sportives recensées (13,1 Mds €), et le chiffre d’affaires des 112 000 entreprises du sport (77,7 Mds €). Un chiffre qui correspond à l’ensemble des sommes brassées par l’économie du sport, mais sans prise en compte de l’investissement des collectivités, des droits télé ou encore du sponsoring. La filière sport s’est dotée en 2020 d’un bras armé, sous forme de groupement d’intérêt économique baptisé France Sport Expertise, qui a pour objectif de gagner davantage de marchés dans l’organisation des grands événements sportifs internationaux, et qui pèse 65 Mds € de chiffre d’affaires.

Un marché existe donc, et le Cameroun doit rentrer dans la compétition pour en prendre des parts. Il apparaît très clairement à l’observation, que la stagnation actuelle de la croissance économique et la difficulté pour l’Etat à trouver des ressources fiscales additionnelles indique qu’il est nécessaire de trouver des ressources financières complémentaires, de nouveaux relais de croissance qui peuvent prendre la forme de ces grands événements sportifs dont nous faisons cas.

Les bénéfices du tourisme sportif

Les estimations les plus récentes établissent à près d’un million le nombre de touristes enregistrés au Cameroun au cours des dernières années, et à environ 200 milliards de Francs CFA la contribution du tourisme au budget de l’État. En outre, dans un schéma de développement du tourisme sportif, le Cameroun pourrait augmenter ses rotations de 100 000 voyageurs par an, en plus. En partant sur l’hypothèse d’un prix moyen de billet d’avion à 500 000 F CFA par passager, nous aurions un chiffre d’affaires additionnel de 50 milliards de F CFA à l’année pour les compagnies aériennes; ce qui ne serait pas négligeable.

Aussi, un travail sérieux pourrait rapprocher le Cameroun des projections du World Travel & Tourism Council (WTTC), qui estiment que le tourisme d’affaires pourrait générer, au Cameroun, un chiffre d’affaires de 1 068,9 milliards de Francs CFA à l’horizon 2028. Mais, pour y parvenir, une vraie stratégie coordonnée et appliquée avec des jalons précis, un suivi, une évaluation et des corrections rigoureuses doit être mise en place. Et cette volonté se doit de transparaître dans les grandes lignes de la Stratégie Nationale de Développement qui doit préciser, sans ambiguïté, un objectif clair : faire du Cameroun la première destination de tourisme sportif et d’affaires en Afrique. Elle doit préciser tout aussi clairement les éléments nécessaires à l’atteinte de ces objectifs.

A titre d’exemple, le Rwanda –dont 40% du budget de l’Etat proviendrait des aides extérieures- s’est lancé sur cette voie et commence à en récolter les bénéfices, aussi bien en matière de développement économique que dans son propre rayonnement et dans son prestige international. La capitale rwandaise figure désormais dans le top 3 des villes africaines pour l’accueil de congrès internationaux, avec des produits hôteliers haut de gamme. En vendant à ses visiteurs la beauté de ses paysages et un climat des affaires exemplaire, le secteur a généré 438 millions de dollars de revenus en 2017 (environ 260 milliards de FCFA). Selon les officiels rwandais, cette manne devrait doubler d’ici 2024.

Le sport : instrument n°1 du soft power

Les meilleurs ambassadeurs de la « marque Cameroun » ne sont-ils pas les sportifs Roger Milla, Samuel Eto’o, Françis Nganou, Patrick Mboma, Joseph Antoine Bell, Vincent Aboubakar, Françoise Mbango, etc.? Dans un monde globalisé où les relations internationales deviennent de plus en plus uniformisées, la compétition sportive est devenue, incontestablement, un élément de visibilité positive.

Le sport est un fait social total qui se joue des frontières mais aussi des clivages politiques, ethniques ou religieux. La radio, la télévision et désormais les réseaux sociaux ont permis au sport de conquérir le monde. Ils ont créé un stade virtuel aux capacités d’accueil illimitées. Plus de 2 milliards de personnes regardent ensemble la finale de la Coupe du monde de football ou celle du 100 mètres aux Jeux olympiques (JO). La CAF a annoncé récemment avoir enregistré sur Tik Tok plus de 1 milliard de vues sur les contenus générés par les utilisateurs, en plus des 900 millions d’impressions formulées sur tous les autres canaux. La chaîne YouTube de la CAF a enregistré 350 mille nouveaux abonnés et 2.8 millions d’heures de visionnage. Quelles autres activités humaines sont capables de réunir au même instant autant de personnes ?

La définition de la puissance a profondément changé. La distinction entre hard et soft power est désormais solidement établie. À côté de la force pure, qui permet de contraindre ou d’imposer sa volonté à l’autre, la puissance douce permet de convaincre, de susciter l’admiration ou le respect. Le sport est une source majeure du soft power, un élément déterminant de la nouvelle géopolitique des Etats.

Quelles en sont les étapes essentielles?

Les préalables pour un véritable enclenchement de la dynamique de développement du tourisme sportif et d’affaires au Cameroun sont multiples.

La volonté politique

La volonté politique est le premier élément de la mise en place de cette stratégie. Les gestionnaires des politiques publiques à tous les niveaux doivent intégrer cette approche dans les différents plans, afin de créer un alignement stratégique et une cohérence dans les investissements et leur mise en œuvre.
Il importe également de mettre l’accent sur les partenariats public-privé, pour accélérer les investissements et l’atteinte des objectifs poursuivis.

Le positionnement durable du Cameroun sur l’échiquier international

Il est important que le Cameroun se positionne définitivement comme une destination de tourisme sportif et d’affaires dans le monde. Il est désormais clair, pour cela, de pouvoir accueillir des évènements sportifs mineurs de la FIFA, de la CAF ou des regroupements internationaux comme ceux de la Francophonie, du Commonwealth ou de l’Organisation de la Conférence Islamique.

L’organisation des compétitions d’athlétisme doit également être envisagée, les infrastructures étant omnisports. Cet accueil doit se faire à minima tous les deux ans pour les événements mineurs (Coupe d’Afrique des Nations U23, U17, CHAN, finale de la Ligue africaine des champions, championnats d’Afrique d’athlétisme…), et tous les 8-10 ans pour les événements majeurs comme la Coupe d’Afrique des Nations, voire les Jeux africains ou, pourquoi pas, des compétitions sous-régionales, et même la Coupe du monde de football : le rêve est permis. Le tourisme sportif n’étant pas très développé en Afrique, il faut toucher de nouvelles cibles hors d’Afrique, pour que les flux soient importants et que le retour sur investissement soit effectif.

Le développement de l’infrastructure des transports

L’aménagement des aéroports pour en faire de véritables plateformes d’accueil fonctionnelles et performantes est également un préalable. Il importe également d’améliorer l’infrastructure de mobilité urbaine, afin de faciliter les déplacements des citoyens et des visiteurs (trains, métro, tramway, bus, taxis). Les routes et le chemin de fer doivent être modernisés et développés afin de faciliter les déplacements des visiteurs et des spectateurs potentiels entre les différents sites d’accueil des compétitions.

Le renforcement et la modernisation de la capacité hôtelière

Malgré les efforts appréciables observés dans la préparation de la Coupe d’Afrique des Nations par la construction de certains établissements hôteliers, il est urgent de doter véritablement le Cameroun d’un parc hôtelier de qualité, aux standards internationaux. Des hôtels de standing international doivent être multipliés (par le développement des contrats de franchise en cas de besoin), et la formation des ressources humaines appelées à servir dans ces établissements doit également être renforcée. Cet attelage est essentiel pour renforcer l’attractivité et la compétitivité de la « marque Cameroun ». La modernisation de la capacité hôtelière doit être corrélée à l’amélioration de la qualité des environnements et des investissements urbains. Le Cameroun a l’un des ratings les plus faibles en matière de qualité de vie urbaine, pour des populations de profil international notamment.

La simplification des procédures d’accès au visa

Faciliter l’accès au visa en simplifiant les procédures et en pratiquant une bonne politique des coûts est essentiel, pour attirer les touristes du sport et d’affaires. L’introduction du e-visa ou la délivrance de visas à l’arrivée doit devenir un standard.

Le renforcement de la sécurité

Renforcer la sécurité sur l’étendue du territoire et en particulier dans les zones de grande fréquentation touristiques est important, pour la réussite de la politique de développement du tourisme sportif et d’affaires.

Le développement et la modernisation du système de santé

Recevoir des touristes en masse appelle la mise en place d’un système de santé de qualité aussi bien en ce qui concerne les urgences ou la capacité à prendre en charge un large éventail d’autres pathologies. Des efforts ont été fournis dans le cadre de l’accueil des visiteurs pendant la Coupe d’Afrique des Nations, avec la construction et la réhabilitation d’établissements de santé à Bafoussam et Garoua notamment. Comme on le constate, tous ces chantiers s’inscrivent dans la trajectoire de développement inclusif de notre pays et ne tiennent pas à des efforts surhumains, si ce n’est un véritable engagement et une mobilisation des énergies autour de ce projet structurant et grandement bénéfique à l’Etat et à toute la communauté nationale.

Le Cameroun se trouve donc, une fois de plus, au défi de l’invention de son propre avenir, lui qui affiche, si malencontreusement, un caractère d’illisibilité de sa vision stratégique, chaque fois qu’on en vient à confronter celle-ci aux normes, aux pratiques et aux standards internationaux, dans quelque domaine que ce soit. Une désarticulation systémique et systématique qui porte aux nues l’une de ses plus grandes fragilités, invisible mais soutenue: ses rapports conflictuels à la gouvernance et aux « bonnes pratiques » qui fondent, partout, le commerce politique, économique et sociétal, et les rapports intra-humains.

A cet horizon, le plus difficile n’est sans doute pas de parvenir au hard power, mais bien de viser et de promouvoir le soft power qui, in fine, sélectionne et met en valeur les compétences essentielles et les capacités productives, dans un monde de plus en plus concurrentiel et de moins en moins apaisé.

Par Bouba Kaélé, Expert en Marketing /237online.com

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