Cameroun: Et si Biya se passait de Motaze ?

Pietro Lazerri et Motaze

Décrié ces derniers mois, l’actuel ministre des finances serait en ballotage défavorable.

Pour vanter ses réalisations, Paul Biya utilise ses fusibles. Ces fusibles, ce sont ses différents ministres. Eux qui sont ses petites mains dans les départements ministériels, chefs de chantiers dans les différents pans de la politique des grandes réalisations, sont aussi comptables du bilan du Renouveau. Si certains peuvent se targuer d’être des hommes d’honneur et donc, des objets de brillance pour le Chef de l’Etat, d’autres par contre devraient être mis sous le boisseau car leurs casseroles déteignent sur la population de Paul Biya. Louis Paul Motaze, l’actuel ministre des finances fait partie de ceux-là que certains présentent à tord ou à raison comme un membre du gouvernement incompétent, népotique, prébendier et financièrement gloutonne. Il fait partie des élites du Dja-et-Lobo que les jeunes taxent d’égoïstes, qui ne pensent qu’à elles et n’ont jamais rien fait pour personne. Une thèse largement partagée par le député Mvondo Essam Benoît lors d’une réunion de crise tenue récemment à Sangmelima. Il n’en fallait pas plus pour que le «nom de Motaze » ne dégénère en langage plus fleuri, notamment sur les réseaux sociaux. Mais attention, au Cameroun, proférer des injures vis-à-vis d’une élite n’équivaut point à un baromètre électoral. Lors de la présidentielle du 07 octobre dernier, Paul Biya a récolté plus de 90% des voix à Sangmelima.

Toutefois, il est vrai que les émeutes de Sangmelima ont montré un visage hideux de l’élite locale. On a appris des sources proches du cabinet civil de la Présidence de la République que Paul Biya serait très en colère contre son ministre des finances. En effet, s’il y a un homme qui a tenté de verser dans la récupération politique durant ces événements malheureux, c’est bel et bien Motaze. Lorsque les événements éclatent, il est en mission hors du pays. Sans se référer au Chef de l’Etat, il va alors abandonner sa mission pour rentrer au Cameroun et prendre la direction de Sangmelima. Alors que Fame Ndongo et les autres avaient déjà déployé leurs efforts pour que tout rentre dans l’ordre, Motaze se croira également investi de la même mission. Le but, récolter le titre de sauveur de la nation et faire croire que c’est grâce à lui que la bombe de Sangmelima a été désamorcée. Toute chose qui a été perçue comme une sorte de désaveu de l’initiative qui a été portée par le gouvernement dont Paul Biya est la caution ,à savoir mettre autour d’une table des belligérants, avec comme personnalité-pivot Jacques Fame Ndongo.

Ministre pas comme les autres ?

« Vous pensez que Motaze travaille mieux que son prédécesseur Alamines Ousmane Mey ? Ce n’est pas parce qu’il fait trop du bruit », fulmine un directeur en service au ministère des finances. Pourtant, Louis Paul Motaze est perçu par une partie de l’opinion publique comme un ministre pas les autres dans le système Biya. Ses proches gardent de lui l’image de l’homme qu’on présente comme « Monsieur grands projets structurants » ou encore « Monsieur économie ». C’est que, Louis Paul Motaze, l’actuel ministre des finances, est avant tout un meneur d’un grand nombre d’initiatives sous le renouveau. Il s’est toujours dit qu’il est celui-là qui a conçu le document de stratégie pour la croissance et l’emploi (Dsce), véritable bible et vade-mecum des grandes orientations économiques pour un Cameroun émergent à l’horizon 2035. Espère-t-il rester à son poste après le gouvernement de transition qui interviendra après les élections locales de Février 2020 ? Motaze est-il au service exclusif de Paul Biya ?
Les scandales de détournements dans le cadre de la réalisation des projets structurants (Nous s’y reviendrons avec les premiers éléments du rapport de Consupe à Mekin) , les « surfacturations de certains marchés à la Cnps » , la guerre de tranchée ouverte avec le ministre d’Etat ,secrétaire général de la présidence de la République ,Ferdinand Ngoh Ngoh et la bataille de positionnement avec son frère, maire de Sangmelima , montrent à suffire que l’horizon n’est pas bleu clair pour l’actuel ministre des finances. Le prochain gouvernement sera très politique.
Vomi par la base, Louis Paul Motaze est désormais en ballotage défavorable. Des émissaires de la Présidence de la République auraient entamé des négociations avec l’actuel Maire de Sangmelima pour son entrée dans le prochain gouvernement. Ces derniers temps, les tensions avaient été exacerbées entre le Maire et l’actuel ministre des finances. Les deux ne se sont plus adressé la parole, et le chef de l’Etat aurait engagé des consultations avec le magistrat municipal de Sangmélima. En dehors de ses relations conflictuelles avec le maire, Ngoh Ngoh et Motaze se regardent en chiens de faïences depuis le scandale de l’organisation avortée, de la Coupe d’Afrique des Nations 2019. D’un côté, le Sgpr estimerait que le ministère des finances a empêché la bonne marche des travaux en bloquant certains financements. De l’autre, certains contrats, jugés douteux, ont fuité sur les réseaux sociaux, remettant en cause la gestion de la « task force » mise en place par Ferdinand Ngoh Ngoh. La rivalité n’a pour le moment pas fait de victimes.

Parcours

Passé par la Camair et la Caisse nationale de prévoyance sociale, Louis-Paul Motaze, diplômé de l’École nationale d’administration et de magistrature, à l’époque où il était Minepat, s’entretenait avec le président Paul Biya sur toutes les questions relatives aux orientations économiques du pays, de la construction de barrages au port de Kribi et bien d’autres. L’aboutissement d’une carrière assez dense qui a commencé à la Cameroon Shipping Lines (Camship), où il a débuté à la représentation. Il y travaillera pendant cinq ans de 1984 à 1989 avant de devenir Directeur Commercial. Il devient ainsi professionnel du secteur des Transports et revient au pays en intégrant en 1989 la Camair, la compagnie aérienne d’État camerounais où il a occupé plusieurs postes. Directeur commercial de 1989 à 1993, il passe à la tête de la Direction de l’audit et de contrôle de gestion de 1993 à 1998 avant d’accéder au poste de conseiller technique à la Direction générale de 1998 à 1999. Après 10 ans de travail à la Camair, il est nommé à la tête de la CNPS (Caisse Nationale de Prévoyance Sociale) en septembre 1999. Il y laisse en chantier le projet de réforme de la sécurité sociale, et livre son analyse des perspectives africaines de la sécurité sociale dans un ouvrage paru en 2008 : L’Afrique et le défi de l’extension de la sécurité sociale : l’exemple du Cameroun. Par ailleurs, il a vogué de ministères régaliens en postes sensibles. Il a souvent été dans un mécanisme de ping-pong, quittant un ministère pour le retrouver plus tard. Par exemple, en 2015, Louis-Paul Motaze redevient ministre de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire, un poste qu’il avait déjà occupé de 2007 à 2011, avant un interlude à la primature, où il avait été chargé de lancer les grands chantiers aux côtés de Philémon Yang.

Mais, commençons par le début. En septembre 2007, il est nommé Ministre de l’Économie de la Planification et de l’Aménagement du Territoire. Il se lancera dans la recherche de financements innovants pour diversifier les ressources de l’État afin d’accroître le financement des projets issus de la Stratégie de la Croissance et de l’Emploi (DSCE). Un dossier qu’il a piloté jusqu’à sa nomination à la tête du Secrétariat Général de la Primature, et qui a connu son épilogue en novembre 2012 avec le lancement par le Ministre de l’économie, Emmanuel Nganou Djoumessi, du réseau social consacré à la mobilisation des fonds non générateurs d’endettement pour le financement des projets de développement. C’est également lui, au poste de ministre de l’Économie, du Plan et de l’Aménagement du territoire, qui a signé avec Herakles Farms le 17 septembre 2009 des accords que tente aujourd’hui d’annuler le gouvernement camerounais. Ces accords, dénoncés comme scandaleux par Greenpeace, laissent à l’entreprise américaine 70 000 hectares pour un dollar par an pendant 99 ans pour créer une palmeraie et disposer des ressources des terres.

En décembre 2011, Motaze est nommé Secrétaire Général des Services du premier ministre avec rang de Ministre. Il est le Président du Comité de Pilotage de plusieurs projets puisqu’il est chargé en tant que SG/PM, de la coordination des Grandes réalisations de l’État du Cameroun, et le pilotage de nombre d’entre elles (Port autonome en eau profonde de Kribi, Barrage de Lom-Pangar et de Memve’ele, Projets de fer de Mbalam et de bauxite de Ngaoundal). Ce rôle de coordonnateur des actions du gouvernement aux côtés du Premier Ministre lui confère une sphère d’influence plus large. Fort de caractère, la collaboration avec le Pm sera parfois houleuse et tendue. Le 2 octobre 2015, il est de nouveau nommé Ministre de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire (MINEPAT) dans le Troisième gouvernement Philémon Yang. Depuis mars 2018, il a été porté à la tête du ministère des finances. Partout où il est passé, il a autant de casseroles qu’un parrain de la mafia.
Agé de 59 ans, et originaire du Dja-et-Lobo, le département d’origine du chef de l’État, il est le neveu de Jeanne-Irène Biya, l’ex-première dame. Il est marié à une native de l’Extrême-Nord.

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