Les investissements ont privilégié la construction des barrages et centrales, au détriment des infrastructures de transport et de distribution.
En cause également, la gestion cahoteuse des projets.En 2012, AES-Sonel a, d’après des documents budgétaires présentés à l’Assemblée nationale, déclaré un résultat net de 13,37 milliards de FCFA. Dans le même temps, le chiffre d’affaires de l’entreprise jusque-là chargée de la production, du transport et de la distribution de l’énergie électrique au Cameroun et qui vient de céder sa place à Actis, a connu une hausse, passant de 222 milliards en 2011 à 243 mil¬liards de FCFA en 2012.
Paradoxalement, cette accumulation de bénéfices et cette augmentation du chiffre d’affaires s’accompagnent d’un déficit de fourniture de l’énergie, vécu depuis de nombreuses années à travers de récurrents délestages devenus le lot quotidien des grandes villes.
Une situation que le directeur général de AES-Sonel, M. Jean David Bilé, explique par «la survenance d’une série d’incidents ayant touché les centrales de production de Songloulou, Edéa, Limbé et de Kribi», et qui a entraîné «un déséquilibre entre l’offre et la demande d’énergie électrique».
Pourtant, ce n’est pas faute pour le gouvernement d’avoir mis en route des projets pour pallier, ne serait-ce qu’en partie, le déficit énergétique qui fait perdre près d’un point de croissance au Cameroun. Mais l’exploitation de ces projets révèle des errements qui annihilent les efforts de résorption du déficit énergétique.
La centrale thermique à gaz de Kribi constitue un cas emblématique. Construite pour 173 milliards de FCFA, elle est dotée de 13 groupes d’une capacité de 16,6 MW chacun, soit une puissance globale installée de 215,8 MW. Seulement, cette centrale, gérée par Kribi Power Development Corporation (Kpdc), mise en service le 18 mai 2013, n’a jamais fonctionné à plein régime. Une mission du Comité de suivi des grands projets structurants créé par le ministère des Finances (Minfi), a constaté lors de son passage mi-décembre 2013, que seuls quatre groupes sur les treize dont dispose la centrale sont en service.
«Du 18 mai 2013, date de sa mise en service commerciale, au 19 décembre 2013, la puissance moyenne maximale injectée dans le réseau par la centrale n’a jamais été au-delà de 118 MW», note le rapport de la mission. Une note interne du Minfi croit même savoir que « la puissance utilisée est d’environ 30% »
En vérité, révèle la direction des affaires économiques du Minfi lors de la conférence annuelle des responsables des services centraux, déconcentrés en extérieurs tenue en janvier 2014, la centrale n’achète pas la quantité de gaz prévue et disponible pour son fonctionnement optimal. Elle ne produit donc qu’en fonction de la demande exprimée par AES¬Sonel, qui a signé un contrat d’achat d’énergie avec Kpdc.
D’après les mêmes sources, la faible demande est liée à la vétusté des équipements de transport. «Le problème de délestage observé n’est donc pas, d’après les explications reçues lié à la capacité de production de la centrale mais plutôt au système de transport et de distribution qui relève de la responsabilité de AES-Sonel», corrobore le Comité de suivi des grands projets structurants du Minfi. En clair, les investissements consentis pour booster l’offre d’énergie ont négligé le développement des infrastructures de transport et de distribution.
Curieusement, et alors que la centrale thermique à gaz de Kribi ne fonctionne pas déjà aux mieux de sa capacité installée, et qu’aucune solution aux problèmes de transport de l’énergie n’est proposée, voilà que se met en route un projet d’accroissement de ses capacités de production de 216 à 330 MW. D’un coût de 65,6 milliards de FCFA, il sera financé à hauteur de 7,5 mil¬liards de FCFA par l’Etat et 9,2 milliards de FCFA par l’actionnaire majoritaire. Des bailleurs de fonds devront mettre à disposition les 49 milliards de FCFA restants.
Autre projet qui a souffert des affres d’une gestion cahoteuse: le Programme thermique d’urgence (PTU), conçu pour parer au plus urgent. Ses centrales de Yaoundé, de Bamenda, de Mbalmayo et d’Ebolowa, d’une capacité totale de 100 MW, ont parfois connu un arrêt de fonctionnement, faute de carburant. Le ministère de l’Eau et de l’Energie, AES Sonel et Electricity Development Corporation (EDC) ne s’accordaient pas sur la responsabilité de celui qui devait prendre en charge l’approvisionnement en gasoil.
Il a fallu que le Minfi règle une ardoise d’environ 5 milliards de FCFA pour calmer la polémique qui plombait le fonctionnement du PTU. Pour éviter à l’avenir cette situation, le gouvernement camerounais vient de confier à AES-Sonel la gestion des centrales de Bamenda, Ebolowa et Mbalmayo.
Source: Dominique Mbassi, Repères