Cameroun : Des prix explosifs pour s’offrir le ciment

ciment

Des opérateurs entretiennent l’opacité autour des prix, qui fluctuent d’un distributeur à l’autre malgré l’arbitrage du ministère du Commerce et les contrôles inopinés de ses agents.

Ce mercredi 27 avril 2022, Yann a « fouillé » le ciment dans tout le secteur Makèpè-Missokè en vain. Pourtant, les tracasseries de ce jeune homme d’à peine 25 ans ne sont pas dues à l’absence ou à la pénurie du ciment, mais au fait que ce produit coûte des yeux de la tête. Pour emprunter au jargon camerounais, il faut « être prêt » pour s’hasarder à demander le prix, même si l’achat ne suit pas. C’est finalement à Ndogbong, un quartier voisin de Makèpè-Missokè, à Douala 5ème, que le jeune homme a trouvé pointure à sa bourse. Sauf que ce jour le ciment 32.5 dont il a besoin est vendu à 5500F CFA le sac. Cette variété de ciment est appropriée pour les travaux de crépissage, de finitions, nous explique le technicien venu se ravitailler à la Quincaillerie de Ndogbong. Car le lendemain, les boutiques n’ouvriront pas avant 10h, les jeudis étant jour de propreté. « La semaine dernière, j’ai acheté ce même ciment à 4800F, et ce prix était meilleur comparé aux 5500F exigés aujourd’hui », se désole Yann.

Selon la plupart des vendeurs, les prix ne sont pas stables et peuvent fluctuer d’un jour à l’autre, d’une semaine à l’autre et d’une quincaillerie à l’autre. Une folie inflationniste que ces opérateurs, comme ceux des autres filières d’importation ou de production locale, expliquent par la guerre que la Russie mène en Ukraine depuis le 24 février 2022. Le 42.5, par exemple, qui sert au coulage (poutres, fondations, etc.), coûte ce jour 5800F CFA dans la quincaillerie où nous avons débuté notre enquête, au quartier Ndogbong. Il y a une semaine, ce même coûtait 4500F. Le reporter du Jour a été sollicité par un frère résidant à l’étranger pour prendre des renseignements sur les coûts des matériaux de construction. Ce proche parent envisage le lancement des travaux de finition de son chantier localisé au quartier Logpom. « Je conseille à ton frère de patienter. Moi-même je gère les chantiers. Le seul conseil que je donne à ceux qui veulent acheter le ciment, maintenant, c’est de patienter même pendant une semaine », explique le propriétaire de cette quincaillerie ».

Jusqu’à 6000F le sac

Vous avez dit fièvre inflationniste ! Quand donc cette tendance haussière baissera-t-elle ? « D’ici la semaine prochaine », devine le quincaillier, dont les allégations ne reposent pourtant sur aucun indicateur ni aucune assurance. « Le ministère (du Commerce) est en train de travailler pour le retour à l’ordre », nous rappelle-t-il. Plus en contre-haut, un autre jeune quincaillier dit avoir décidé carrément de l’arrêt de la vente du ciment du fait des tracasseries que leur infligent des agents du ministère du Commerce. « Ils ne font rien pour stopper la hausse des prix, mais ils viennent interpeller les gens », s’offusque-t-il. En effet, ce commerçant a, à plusieurs reprises, été surpris en flagrant délit de surenchère par des agents de la brigade de contrôle du ministère du Commerce, qui l’ont sommé de pratiquer les prix homologués. Pour éviter les problèmes, le quincaillier a préféré suspendre provisoirement la vente de ciments.

Aussi bien des vendeurs que des consommateurs affirment avoir vendu ou acheté du ciment à des prix avoisinant jusqu’à 6000F. Comme ce quincaillier opérant au lieu-dit carrefour Zachman à Ndogbong, qui vend le ciment Hydro, « approprié pour les zones humides », à 6800F CFA. A Dangote Cement Cameroon ce vendredi 06 mai 2022, un manœuvre nous informe que le sac du ciment au sortir de l’usine coûte 4950 F ou 5000F. « Cependant, quand on est grossiste, on peut bénéficier des réductions sous la forme de ristourne », précise-t-il. O. S., un vendeur de gros, est venu se ravitailler. Vêtu d’une gandoura blanche, chaussé de babouches en cuir tanné, il se concerte avec plusieurs jeunes rencontrés à l’esplanade de la société, où des camions affluent d’une heure à l’autre pour effectuer les chargements. Il se pourrait que ces jeunes soient des intermédiaires ou démarcheurs, ou alors des manutentionnaires en attente de « pointage ».

Lorsque nous demandons à O. S. quel est le prix d’achat en gros du ciment à l’usine, il nous répond : « ça dépend de votre palier, et il en existe plusieurs. Si par exemple vous devez acheter cinq tonnes ou moins, il vaut mieux que vous achetiez chez moi. Je vends le 42.5 à 4800 francs et le 32.5 à 4000 francs », précise l’opérateur économique, propriétaire d’un point de vente à Douala. Après de brèves concertations, O. S. tend à ces jeunes trois bordereaux, sans doute des manifestes de livraison, il repart ensuite à bord d’une moto conduite par un jeune garçon. Dans la salle d’accueil de l’immeuble-siège de Dangote Cement Cameroon, sur les berges du fleuve Wouri, un écran diffuse en boucle des images de la commémoration du cinquième anniversaire du deuxième opérateur de la filière du ciment au Cameroun, en mettant un accent sur les actions sociales de la société du milliardaire nigérian Akiko Dangote.

Marché noir

Le documentaire vante entre autres le 42.5-R et les prix à la portée des bourses moyennes. Sauf que ces données précèdent l’inflation actuelle sur le marché qui a viré au noir, en proie à des pratiques mafieuses. Aucune société de production du ciment n’est épargnée par la spéculation pratiquée sous le prétexte de la rareté de la production, elle-même justifiée par les tensions dans la géopolitique internationale. « Tu achètes le ciment à raison de à 6000F le sac, mais on refuse de te délivrer la facture. Quand tu insistes, on te demande d’aller faire un tour, ou bien ils te disent que si tu ne peux pas prendre à ce prix, tu dégages », a confié à l’une de nos sources, le promoteur d’un établissement hôtelier à Ndogbong.

La plupart des commerçants approchés par un reporter à Bafoussam ont refusé de lui communiquer le moindre chiffre que ce soit, craignant avoir affaire à un agent du Mincommerce déguisé en journaliste. Contactée par Le Jour, une distributrice de la marque Dangote Cement dans la même ville s’est montrée tout aussi réservée : « Chacun sait comment il pratique ses prix. Moi aussi, quand je vais acheter du ciment, ils augmentent 300 à 400F. Quand c’est un autre client qui vient acheter, ils ne vont jamais lui dire le prix. Parfois ils vous disent qu’il n’y a pas de stock », affirme la commerçante. Qui déplore, en passant, la rareté du 42.5 dans la région du soleil couchant. « Si vous arrivez à l’Ouest, vous allez constater qu’on a plutôt le 32.5 utilisé pour les finitions. »

Après près d’une heure d’attente, nous avons été reçu par le directeur des relations publiques et de la communication à Dangote Cement Cameroon, Chief Ness Essombey Ndambwe. « Nous allons organiser une conférence de presse dans les prochains jours pour communiquer sur cette situation. Il est vrai que les prix d’achat de la matière première ont connu une hausse, mais il y a une très large concertation avec le gouvernement pour que ces charges ne pèsent pas sur une seule partie, qu’elles n’affectent pas le consommateur final, que ce surcoût ne le pénalise pas, ou que ça ne l’affecte que très peu. Voilà la situation, mais globalement, les prix restent inchangés », affirme-t-il en nous demandant de mener notre propre enquête pour connaître les prix.

Théodore Tchopa / 237online.com

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