Cameroun – Consommation : Le maquereau se fait rare sur le marché

Viande et poissons importés

Très sollicité par les ménagères et les braiseuses, le poisson maquereau tend à disparaitre des étals, ce qui cause la hausse de son prix.

Sur des étals au marché d’Etoudi à Yaoundé, sont exposés des maquereaux. Ils ont été disposés en tas de 3 et de 4, en fonction de leur grosseur. Mirabelle, ménagère, demande les prix de ce poisson qui visiblement, sera au menu chez elle. « Les prix varient entre 1000fcfa à 2000fcfa par tas », affirme Vincent, vendeur de maquereau assis derrière son comptoir. Surprise, Mirabelle s’exclame : « les prix grimpent tous les jours ? Bientôt le maquereau va coûter 3000fcfa le kilo ». Voyant les prix au-dessus de sa bourse, la jeune femme a décidé de changer de comptoir. « Vous boudez mon maquereau que vous allez encore trouver ca où ? Le maquereau est rare sur le marché. Il n’y a même pas les gros. En plus le doré (variété de maquereau, Ndlr) est en rupture de stock », ajoute Vincent.

Sur la même rangée que le vendeur, un autre étal de poisson est exposé. On y observe le bar, le tilapia, le maquereau et le mâchoiron. A la question de savoir combien coûte le tas de maquereau, la vendeuse répond : « le tas de 3 gros poissons coûte 2000fcfa. Celui des moyens poissons coûte 1500fcfa ». Selon elle, le maquereau doré refait surface petit à petit et les prix sont un peu plus abordables que les jours précédents. « Les prix ont même baissé. La semaine dernière le maquereau doré était introuvable dans toutes les poissonneries. Le maquereau Oya Oya coûtait 1700fcfa le tas de petits poissons et 2200fcfa celui des gros poissons. De plus, lorsqu’on sert le client en tas, c’est lui qui bénéficie car un tas de poisson fait plus d’un kilogramme », explique la vendeuse.

Dans une poissonnerie au marché Messassi, le maquereau se fait également rare. Seuls deux compartiments dans un congélateur sont réservés à ce poisson. Sur l’un de ces compartiments, rempli de moyens poissons, est posée une ardoise sur laquelle il est écrit : « Maquereau doré : 1500fcfa/kg ». L’autre compartiment, à moitié plein, contient des petits maquereaux. Celui-ci quant à lui coûte 1350fcfa le kilogramme. « D’habitude nous vendons toutes les variétés de maquereau. Mais depuis quelques semaines, il est difficile d’en avoir chez les grossistes », explique honoré, vendeur dans la poissonnerie. A quelques enjambées de cette poissonnerie, le constat est le même, voire pire. Les prix sont plus élevés qu’ailleurs.

1650fcfa le kilogramme de moyens maquereaux dorés, contre 1400fcfa pour le kilogramme de petits maquereaux de la même espèce. Clémence, propriétaire de cette poissonnerie explique : « Le maquereau doré et le maquereau Oya Oya sont en rupture de stock. Quand bien même on les trouve, ils coûtent la peau des fesses. En ce moment c’est le maquereau 25+ chilien qu’on retrouve sur le marché. Les consommateurs ne l’apprécient pas trop à cause de son goût moins savoureux que le maquereau doré ou le Oya Oya ».

20kg à 42500fcfa

Armelle, papier format entre les mains, fait des va-et-vient au marché du Mfoundi. Accompagnée de sa tante, elles font les achats en vue des préparatifs des obsèques de son papa. Sur le papier format qu’elle ne cesse de regarder, Armelle a dressé une liste des achats que les deux femmes auront à faire. Après un énième coup d’œil sur sa liste, elle se dirige vers l’une des nombreuses poissonneries du marché. « combien coûte un carton de maquereau svp », lance-t-elle au vendeur assis en face d’elle. « 36000fcfa pour 20kg de petits maquereaux et 42500 pour 20kg de gros maquereaux », répond-t-il. La tante d’Armelle, visiblement habituée de ce marché, lui propose d’aller dans une autre poissonnerie où les prix sont plus abordables. Seulement, ils sont identiques à la précédente poissonnerie. « Qu’est-ce qui explique cette flambée des prix ? Il y a quelques temps, j’ai acheté le carton de 20kg de gros poissons à 36.000fcfa. Je suis surprise du prix qu’on nous donne aujourd’hui. Décidément le phénomène de vie chère touche tous les domaines », s’étonne la tante d’Armelle.

Josiane, une vendeuse de poisson braisé qui a suivi la conversation entre la tante et la nièce, leur répond : « Le poisson, spécialement le maquereau, se fait rare sur le marché depuis décembre. Au début nous avions pensé que c’était dû aux différentes cérémonies qu’il y en fin d’année, mais aujourd’hui nous constatons que le problème est ailleurs. Il n’y a pas que le prix des gros poissons qui a augmenté. Le carton de 20kg de petit maquereau est aussi passé de 30.000fcfa à 36.000fcfa ».Josiane ne se plaint pas uniquement du prix du poisson. Elle déplore également le fait que le « vrai » maquereau soit introuvable. « Le maquereau chinois n’est pas succulent, pourtant c’est lui qu’on retrouve quand même sur le marché. De plus, les gros poissons sont absents des poissonneries. Tout ça nous fait perdre la clientèle car lorsque nous taxons un poisson braisé à 1000fcfa, lorsqu’ils voient la grosseur, ils préfèrent se tourner vers le porc ou le poulet braisés », décrie Josiane.

Comme causes de cette pénurie de maquereau, certains propriétaires de poissonneries n’ont pas souhaité s’expliquer. D’autres par contre ont évoqué le contexte sanitaire lié à la pandémie du coronavirus qui aurait un impact sur les importations du poisson. Toutefois, Vincent révèle que dans le marché, il circule des informations selon lesquelles les grands exportateurs ont bloqué d’importances cargaisons de maquereaux dans le but de faire monter les enchères.

15.000 fcfa de perte par jour

Sylvie Nga. Braiseuse de poisson depuis 25 ans, elle se lamente du phénomène de rareté du maquereau sur le marché depuis plusieurs semaines.
« Je braise le poisson depuis plus de 25 ans », déclare Sylvie Nga avec le sourire aux lèvres. Les yeux rouges de fumée, la dame tourne et retourne le poisson posé sur le grillage. Teint chocolat, elle ne manque pas d’offrir son large sourire à tous ses clients. Rencontrée dans son lieu de vente sis au marché Etoudi, Sylvie Nga ne cache pas son désarroi. « Il n’y a pas le maquereau doré sur le marché. Ça fait déjà presque cinq ans que nous faisons face à ce problème. Il n’y a que le maquereau chinois ou queue rouge qui est disponible dans les poissonneries et, cette variété n’est pas très bonne à braiser », se lamente-t-elle. « Un morceau de poisson qui coutait 400 fcfa est déjà à 600 fcfa aujourd’hui. Les prix ont totalement augmenté. Nous achetons le carton de 20 kg à 39.000 voire 40.000 fcfa. C’est une grande perte pour nous les braiseuses. Je faisais des bénéfices de 25.000 fcfa par jour. Ce qui n’est plus le cas. Ces jours, je peux avoir 10.000 fcfa ou moins. C’est vraiment difficile pour nous de s’en sortir », a-t-elle ajouté.

La hausse des prix du maquereau étant le principal souci de Sylvie Nga, elle fait tout de même face à d’autres difficultés dans son activité. « Le kilogramme de maquereau doré est à 2000 fcfa. Nous ne pouvons pas acheter à des prix élevés pour revendre à des prix bas. Les clients se plaignent des prix et nous ne pouvons pas faire autrement. Par conséquent, nous perdons beaucoup de nos clients », explique la vétérane du poisson.
Pour contourner ces difficultés, Sylvie Nga a développé des astuces afin de maintenir son activité. « J’ai pu me procurer un congélateur. J’achète du poisson en quantités énormes lorsqu’il y a arrivage et je fais des réserves. Je peux prendre 3 à 4 cartons de poissons que je mets au frais. Et, chaque matin, je prends la quantité que je vais braiser. C’est ainsi que je fonctionne », déclare-t-elle.

Malgré les problèmes que rencontre Sylvie Nga, la vétérane du poisson a pu se construire une maison et scolarise ses trois enfants. Issue d’une famille modeste, Sylvie Nga se lance dans cette activité après le décès de son papa avec un capital de 3.000 fcfa. Fière de son autonomie financière, la braiseuse de poisson ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Elle a pour projet l’ouverture d’une poissonnerie pour approvisionner ces femmes qui travaillent jour et au nuit près du feu de charbon pour nourrir leurs familles.

Exonération : Ce que dit la loi

L’ordonnance n°2008/002 portant suspension des droits et taxes de douane à l’importation de certains produits de première nécessité tels que le poisson, le sucre, la farine et bien d’autre exige une homologation préalable de ces denrées avant toute mise en vente sur le marché national.
Le 24 octobre 2018, Luc Magloire Mbarga Atangana, ministre du Commerce (Mincommerce), signait un arrêté fixant la liste des produits et services dont les prix et tarifs sont soumis à la procédure d’homologation préalable. Cet arrêté intervient dans un contexte où, les commerçants, outre les mesures prises par le gouvernement, s’étaient adonnés à la vente des produits de première nécessité à des prix illégaux. « La loi n°90/031 du 10 août 1990 régissant l’activité commerciale au Cameroun, suivie de l’ordonnance n°2006/001 du 28 septembre 2006 portant révision de la fiscalité applicable à certains produits de première nécessité, modifiée et complétée par l’ordonnance n°2006/002 du 30 septembre 2006 est pourtant bien structurée et encadre bien les prix des produits de première nécessité. Seulement, de nombreux commerçants se livrent de plus en plus à des activités illégales telles que la vente de ces denrées aux prix non homologués », affirme Emmanuelle M, contrôleur des prix au ministère du Commerce.

Cependant, cette ordonnance n’a pas toujours été respectée par les commerçants de poisson importé. Prenant le cas du maquereau, suite à la grève de la fin en février 2008, Luc Magloire Mbarga Atangana, avec l’accord des opérateurs de la filière poisson, a fixé le prix homologué à 1000Fcfa. Toutefois, en 2010, le prix homologué de la variété « 25+ » est passé à 850fcfa. Depuis 2014, ces prix ont considérablement augmenté, allant jusqu’à 1350fcfa le kilo. « Les prix fixés par le Mincommerce peuvent varier d’une année à une autre. Dans ce cas, les commerçants n’auront qu’à les réajuster en fonction des nouveaux montants homologués. Cette mesure ne concerne que grossistes et détenteurs de poissonneries. Les détaillants quant à eux, peuvent ajouter une marge 50-100 voire 200fcfa afin d’avoir un léger bénéfice », ajoute Emmanuelle M.
Pour ce qui est des commerçants véreux qui s’amusent à stocker les denrées dans le but de faire monter les enchères sur le marché et ensuite de les revendre plus cher, Emmanuelle M. précise que : « Ces personnes s’exposent à de lourdes sanctions. Ces activités sont illicites et sont sévèrement punies par la loi. Les contrevenants s’exposent à un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amande pouvant aller jusqu’à 10 millions de Fcfa », a-t-elle ajouté.

Que faites-vous pour limiter vos pertes ?

Hortense Noah, braiseuse : « J’ajoute des capitaines frits »

Nous ne nous en sortons pas. Les prix du poisson sont extrêmement à la hausse. Le carton de 20 kg que nous prenions à 30.000 fcfa est déjà à 36.000 fcfa. En plus, ce sont les petits poissons. Les gros sont déjà à 42500 fcfa alors qu’ils coutaient 36.000 fcfa. Comment allons-nous faire pour avoir des bénéfices ? Les clients se plaignent également du fait que les prix des morceaux de poissons aient changé. Nous ne pouvons plus vendre un morceau de maquereau doré à 500 fcfa alors que le kilogramme est à 2.000 fcfa. Nous sommes obligés d’user d’autres astuces pour essayer de remonter nos bénéfices. J’achète les petits capitaines que je fais frire avec du plantain mûr. En fonction de la grosseur, je peux vendre un à 250 ou 300 fcfa. A défaut de cela, je suis obligée d’acheter le maquereau queue rouge, qui n’est pas du tout apprécié par les consommateurs parce qu’il n’est pas très bon. Je ne peux pas me permettre d’acheter la carpe ou le bar corvina parce que les clients ne vont pas acheter sous prétexte que les prix sont élevés.

Marlyse Essogo, braiseuse : « Je braise le maquereau queue rouge »

Il est vraiment difficile ces jours pour nous femmes braiseuses d’avoir du maquereau, surtout le doré, parce qu’il est celui qui reste le bon et le meilleur pour la braise. Malgré le fait que je travaille avec les grossistes, l’approvisionnement reste un problème. Je suis contrainte d’acheter du poisson en détail. Pour le moment, c’est le maquereau queue rouge qui est en abondance sur le marché. C’est ça que nous braisons, à défaut d’avoir le maquereau doré. Nous avons également le maquereau « gros yeux » qui est en circulation. Les clients se plaignent des prix que nous leur donnons. Un morceau de maquereau doré qui était à 500 fcfa coûte désormais 650 voire 700 fcfa. Nous faisons juste le maintien.

Déjolie Pouaggo, braiseuse : « Je braise les petits capitaines »

Nous vendons à perte certains jours. C’est ça la règle du marché. On ne peut pas gagner tous les jours. C’est le cas en ce moment où nous faisons face à la rareté du maquereau doré sur le marché. Cette denrée alimentaire est presque vide dans les poissonneries. Nous sommes obligés de jongler avec le bar corvina ou encore la carpe et parfois le poisson sardine. Mais le principal problème reste les prix. Ils ne sont pas les mêmes que ceux du maquereau. Aussi, tous les clients ne sont pas à mesure d’acheter une carpe ou un morceau de bar à 1200 ou même 1500 fcfa sans complément. Actuellement, nous avons le maquereau rouge qui est en abondance sur le marché. C’est ça que nous essayons de braiser, même si le gout n’est pas le même que le doré. Je braise également les petits capitaines pour ne pas perdre toute la clientèle et faire aussi des bénéfices.

Murielle Tchoutat / 237online.com

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