Au Cameroun, on espère encore une vraie prise de conscience pour faire redécoller la recherche, ailleurs, les gouvernements utilisent les chercheurs pour développer des nouvelles technologies, avoir le monopole sur un segment d’activité, créer des emplois décents et stables, et impacter ainsi leur balance commerciale. Histoire d’une grève annoncée.
Le diagnostic d’un management approximatif de la recherche au Cameroun fait consensus. Il est admis dans la Stratégie nationale de développement du Cameroun 2020-2030 (SND30) élaborée par le gouvernement que « le Cameroun occupe encore une place peu honorable en ce qui l’Indice mondial de l’innovation (Gll). Il est passé de la 103eme place sur 125 en 2011 à la 117eme sur 127 en 2017 », et à la 125eme sur 131 en 2021.
Il est aussi admis que le Cameroun n’a pas atteint les objectifs assignés au Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (Dsce), dont la SND30 est une amélioration, parce que les actions entreprises dans le domaine de la recherche innovation « n’ont pas véritablement permis d’obtenir les résultats escomptés, dans la mesure où elles n’ont pas permis de renforcer la compétitivité des produits locaux afin de poser les bases d’une politique de substitution des importations » , lit-on dans la SND 30 (paragraphe 340).
Et au titre des mesures qu’il faut prendre pour corriger ces échecs, la SND30 (paragraphe 342) rappelle qu’il faut engager des réformes du cadre juridique et législatif dans le secteur de l’innovation afin d’impacter la politique d’import-substitution si présente dans le discours officiel.
Manifester pacifiquement
Ce diagnostic d’un mauvais management de la recherche a-t-il induit un traitement du mal ? La réalité est plus que contrastée. Déçus et excédés par l’inaction, les chercheurs camerounais expriment leur ras-le-bol et se remobilisent pour contraindre le gouvernement à l’action. Réuni le 13 mai dernier, le bureau exécutif national élargi aux bureaux des coordinations du Syndicat national des chercheurs du secteur public (Synac) dans les instituts de recherche a examiné l’entrave à la profession et les violations des droits des chercheurs. Le bureau exécutif national invite par conséquent « tous les chercheurs des Instituts et Centres de recherche à utiliser une panoplie de moyens pour manifester pacifiquement leur mécontentement et ceci de manière graduelle à compter du 30 juin 2022. »
Le gouvernement, accuse le Synac, a rompu le dialogue social après la suspension du préavis de grève contenue dans le communiqué final du 30 novembre 2021 signé par le ministre du Travail et de la Sécurité sociale, le ministre de la Recherche scientifique et de l’Innovation et enfin le SYNAC. Qui constate la négligence du gouvernement au sujet des revendications formulées par les chercheurs lors de cette rencontre du 30 novembre 2021 notamment la mise en œuvre sans délai des « Hautes Instructions » du Premier ministre, chef du gouvernement, adressées au ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative dans sa correspondance du 22 novembre 2019 et l’amélioration du cadre juridique de la recherche scientifique.
En fait, dans une correspondance adressée le 28 avril dernier au ministre d’Etat secrétaire général de la présidence de la République, le président du bureau exécutif national du Synac exprime la désillusion des chercheurs pourtant bercés par un certain nombre d’engagements pris par le gouvernement l’année dernière : « Par communiqué final du 30 novembre 2021, suspendant notre préavis de grève, explique Dr Alban Ngatchou, le ministre du Travail et de la Sécurité sociale et le ministre de la Recherche scientifique et de l’Innovation nous ont fait constater, la volonté du Gouvernement à répondre favorablement à des sollicitations majeures des Chercheurs contenues dans ce préavis de grève. Ils nous ont donnés de constater également ce jour, que vous aviez instruit le ministre du Travail et de la Sécurité sociale de recueillir nos doléances. Par ce communiqué, le Syndicat national des chercheurs du secteur public (Synac) a noué le dialogue social avec le Gouvernement. En outre, nous avons convenu que certaines de nos revendications devraient être résolues dans un délai de trois mois et d’autres dans un délai de six mois. Aussi, il importe de rappeler que ce communiqué final faisait suite à un préavis de grève, notifié le 05 novembre 2021 au Premier Ministre. »
Silence du gouvernement
En gros, il s’agissait de réviser le Décret du 18 juillet 1980 portant statut des chercheurs, de leur donner accès au compte spécial de modernisation de la recherche, de promulguer une loi d’orientation de la recherche, d’harmoniser le statut et l’âge de départ à la retraite des chercheurs des Instituts universitaires et ceux des Instituts de recherche, de leur donner des primes diverses (liées à la captation des financements, gestion des projets réussis, etc.)
Les chercheurs constatent une absence de volonté réelle de maintenir le dialogue social entre le Synac et le gouvernement (Mintss, Minresi) autour de ces questions. Dans le Communiqué final, suspendant le mot d’ordre de grève le 30 novembre dernier, il a été convenu des réunions mensuelles tripartites (Minresi, Mintss, Synac) de suivi-évaluation desdites revendications. « Ces réunions n’ont jamais été convoquées », désespèrent les chercheurs. Ils sont désagréablement surpris du silence d’une part des deux départements ministériels (Minresi et Mintss) et d’autre part du Premier ministre à qui leurs revendications étaient adressées.
Les instructions données au plus haut niveau semblent pourtant claires. Le président de la République dans une correspondance du 06 juin 2001, avait instruit, la refonte du statut des chercheurs. Plus de 21 ans se sont écoulés sans résultat. Au-delà, le ministre des Finances, dans une correspondance du 13 janvier 2017, confirmait la soutenabilité budgétaire de la révision du statut des chercheurs. Dans le même ordre d’idées, le compte de modernisation de la recherche a été créé, depuis 2009, pour octroyer des primes trimestrielles de modernisation de la recherche et le personnel chercheur du ministère de la Recherche scientifique et de l’Innovation, malgré l’absence de mode permanent de financement de la recherche, n’en bénéficie pas.
L’attaché de recherche au Cameroun gagne 247 000 Fcfa par mois, en Afrique du Sud, le salaire mensuel du chercheur est de 2 millions FCfa et en Côte d’Ivoire, le chercheur gagne 1.100.000 FCfa. En fait, l’attaché de recherche est payé à l’indice 467 comme un titulaire de la Licence, comme le prévoit le décret du 18 juillet 1980 portant statut des chercheurs. A l’époque on recrutait les attachés de recherche avec la Licence ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. On les recrute avec le Master et même le Doctorat/PhD. Au lieu qu’il soit payé à l’indice 530 pour ceux titulaire du Master et à l’indice 605 pour ceux titulaire du Doctorat/PhD comme les assistants d’Universités, on maintient leur traitement salarial à l’indice 465 comme les titulaires de Licence. Parce que le statut de 1980 n’a pas été révisé.