Cameroun – Coin du droit: Que dit la loi camerounaise à propos de la prostitution ?

Selon le législateur camerounais notamment à travers l’article 343 du code pénal, la prostitution tient soit dans le fait de se livrer habituellement contre rémunération à des actes s*e*xuels, soit dans le fait de racoler publiquement des personnes en vue de la prostitution ou de la débauche.
Le droit français en général ne réprime pas le fait de se prostituer ou de se livrer à la débauche. Les lois du 4 mars 2002 et du 18 mars 2003 ne tendent à s’attaquer qu’au proxénétisme dont les contours englobent aussi bien le fait de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations s*e*xuelles en échange de rémunération que le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations s*e*xuelles contre rémunération, d’une personne dite vulnérable. Au regard de ces deux différences de perception, la prostitution doit être entendue comme intégrant nécessairement le proxénétisme. Cette approche est d’ailleurs pratiquement inévitable, lorsqu’on sait que la prostitution ne s’entretient et ne se développe que par des réseaux de proxénètes bien organisés.

Eléments constitutifs de la prostitution et du proxénétisme
Il est un principe cher aux juristes énoncé en latin dans l’adage  » nullum crimen nulla poena sine lege « , qui se traduit par  » il n’y a point d’infraction ni de peine sans loi « . D’après cette maxime, on ne doit pouvoir admettre qu’il y a prostitution ou proxénétisme que si les faits ou actes concernés correspondent exactement à ceux que la loi incrimine. Parlant de loi, on a référence ici aux articles 294 et 343 du code pénal camerounais, ainsi qu’à l’article 225 du code pénal français, modifié par l’article 50 de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure. L’exploitation de ces deux législations révèle l’existence d’éléments principaux et d’éléments accessoires aux deux infractions.
a)Les éléments principaux de l’incrimination
La prostitution et le proxénétisme supposent au minimum que les trois éléments suivants soient réunis : la référence aux relations s*e*xuelles, la rémunération et l’habitude.

La référence aux rapports s*e*xuels
Qu’il s’agisse de la prostitution ou du proxénétisme, chacune de ces infractions a référence aux rapports s*e*xuels. La prostitution se définit comme le fait pour une personne, de se livrer de manière habituelle aux rapports s*e*xuels avec autrui contre rémunération. Le rapport s*e*xuel ici n’est pas simplement éventuel, il est effectivement consommé par la personne même qui est poursuivie. Dans le cas du proxénétisme, c’est un tiers qui s’organise à tirer profit de la prostitution d’autrui. L’acte s*e*xuel n’est donc plus accompli personnellement par le prévenu, mais par une autre personne. De même, comme dans le cas de la prostitution, l’acte s*e*xuel peut avoir été effectif, mais le proxénétisme peut aussi être consommé alors que la relation charnelle est simplement suggérée. C’est ainsi que le texte français notamment incrimine le simple fait d’inciter à ou de solliciter des relations s*e*xuelles. Si on devait se limiter aux seuls rapports s*e*xuels, il n’y aurait que très peu de personnes pour échapper à l’étiquette de prostituée ou de proxénète. L’élément déterminant qui rend le rapport s*e*xuel répréhensible au titre de la prostitution ou du proxénétisme est la rémunération.

La rémunération
Si la prostitution est souvent considérée comme un métier, c’est justement parce que l’acte s*e*xuel est fait à titre de profession rémunérée. Il n’y a pas prostitution en droit lorsque la personne accomplit l’acte s*e*xuel simplement pour assouvir sa libido ou pour  » rendre service  » sans contrepartie. C’est donc l’exigence de contrepartie qui distingue la débauche de la prostitution. Généralement, la rémunération correspond à une somme d’argent que le client doit verser avant ou après l’acte s*e*xuel. Mais, la rémunération peut aussi consister en un autre avantage quelconque accordé en contrepartie du plaisir procuré. Dans les  » nkanè  » (bordels) du Cameroun, on peut payer avec une bière, des morceaux de savon, des kilogrammes de riz. Certains faits divers révèlent que des actes s*e*xuels sont parfois concédés en paiement de dette ou pour obtenir l’abaissement du montant d’une taxe ou d’un tarif. Ces faits montrent bien qu’il n’est pas toujours nécessaire que le client débourse de l’argent. La rémunération est caractérisée dès lors que le client se dépouille d’une somme, d’un droit ou d’un avantage au profit de son partenaire.

L’habitude
Pour qu’il y ait proxénétisme, il faut que l’auteur ait aidé, facilité ou provoqué la prostitution d’autrui. Autrement dit, c’est par rapport à l’activité de la personne prostituée que la culpabilité du proxénète sera établie. Or, la prostitution elle-même ne tient jamais dans un acte s*e*xuel isolé. Elle rentre en droit, dans la catégorie des infractions dites d’habitude, c’est-àdire celles dont la caractérisation suppose au moins la répétition des actes réprouvés. L’article 343 alinéa 1 du code pénal camerounais illustre bien cette nature de la prostitution, lorsqu’il mentionne que la personne n’est coupable que si elle se livre habituellement à des actes s*e*xuels contre rémunération. Il en résulte que celui qui consomme un acte unique contre rémunération ou qui facilite ou provoque un tel acte ne serait jamais coupable de prostitution ou de proxénétisme s’il s’arrêtait à ce seul acte. La culpabilité ne peut découler que de la répétition. Il faut donc prouver que l’acte s*e*xuel rémunéré a été accompli au moins deux fois pendant le délai de prescription qui est de trois ans pour les délits et dix ans pour les crimes. Le véritable problème qui pourrait se poser devant les juridictions reste celui de la preuve des actes incriminés. En dehors de l’hypothèse où les victimes déclenchent la poursuite en concourant à l’administration de la preuve des éléments ci-dessus, il est très difficile pour les polices et parquets mal équipés comme ceux du Cameroun d’établir la matérialité de certains faits. Aussi, compte tenu du secret et de l’intimité qui entourent très souvent la pratique de la prostitution, les législateurs camerounais ou français préfèrent parfois se limiter à réprimer les moyens et les buts que nous pourrons alors considérer comme des éléments secondaires de l’incrimination.

b) Les éléments secondaires de l’incrimination
Face à la difficulté de prouver matériellement les actes s*e*xuels et la rémunération exigée, la loi retient souvent uniquement les moyens et les buts visés, à la condition constante qu’ils soient habituels. Dans cette logique, la prostitution serait caractérisée par le racolage public, tandis que le proxénétisme pourrait être déduit du concours actif à la prostitution d’autrui, du bénéfice tiré de cette activité et de l’abus des faiblesses d’autrui

Le racolage public
Le fait de procéder en public, par des gestes, paroles, écrits ou tous autres moyens au racolage, c’est-à-dire à l’interpellation ou au recrutement d’autrui en vue de l’accomplissement des actes s*e*xuels, est considéré en droit camerounais comme constitutif de prostitution au terme de l’article 343 alinéa 2 du code pénal, et de proxénétisme par l’article 225-10-1 du code pénal français. En général, le racolage suppose un acte positif comme un appel par la voix ou au téléphone, un sifflement, un geste manuel ou un regard suffisamment suggestif. En prévoyant qu’on peut aussi racoler par tous autres moyens, la loi permet, à l’instar de l’article 225-10-1 du code pénal français, de ranger parmi les actes de racolage, même les attitudes passives, dès lors qu’elles sont de nature à aiguiser ou à stimuler le désir s*e*xuel chez autrui. On songe notamment à une posture provocante sans paroles ni gestes, en tenue légère devant un lieu très fréquenté comme un débit de boissons, une boîte de nuit, un restaurant.

Le concours actif
Traditionnellement, le proxénétisme se caractérise par un concours actif à la prostitution d’autrui. Parce que le proxénète est le principal bénéficiaire de l’activité de son agent, il s’investit d’abord pour lui faire acquérir le goût et l’art du s*e*xe et ensuite pour en faire la promotion. C’est dans ce sens que la loi camerounaise (article 294 al. 1 du code pénal) punit celui qui provoque, aide ou facilite la prostitution d’autrui. Le concours actif pourrait consister en une multitude de faits dont les plus évidents sont la recherche de partenaires à la prostituée, la fourniture de local, la communication d’informations, etc.

Le bénéfice de la débauche d’autrui
Les articles 294 du code pénal camerounais et 225-5 du code pénal français répriment au titre du proxénétisme, le fait de partager même occasionnellement, le produit de la prostitution d’autrui. En tant qu’infraction intentionnelle, le profiteur proxénète n’est punissable que s’il est établi qu’il sait que l’avantage dont il jouit est le fruit de la prostitution. Conscient aussi des difficultés qu’il pourrait y avoir à administrer cette preuve, le législateur camerounais a choisi à l’alinéa 2 de l’article 294 du code pénal de retenir qu’  » est présumé recevoir des subsides, celui qui, vivant avec une personne se livrant à la prostitution, ne peut justifier de ressources suffisantes pour lui permettre de subvenir seul à sa propre existence « .

L’abus des faiblesses d’autrui
En règle générale, le partenaire d’un prostitué n’est pas pénalement responsable au titre de la même infraction ou même du proxénétisme. On ne réprime en principe que le fait, de  » vendre son corps  » ou de vivre du  » commerce charnel « , parce qu’il serait moralement choquant. Celui donc qui paie pour le plaisir ne vend pas son corps puisqu’il ne reçoit rien. Il est donc normalement irréprochable. Toutefois, et c’est une spécificité française, on devient répréhensible au titre du proxénétisme lorsque,
comme le veut l’article 225-12-1 du code pénal, on sollicite, accepte ou obtient, en échange d’une rémunération ou d’une promesse de rémunération, des relations s*e*xuelles de la part d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, lorsque cette personne présente une particulière vulnérabilité, apparente ou connue de son auteur, due à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse. Il s’agit ici de protéger les faibles de corps et d’esprit que sont généralement les mineurs, les aliénés et tous les handicapés physiques ou moraux. Lorsque le consentement de la victime à l’acte s*e*xuel est totalement absent, on parle de viol. Mais en droit camerounais, même si la victime est consentante, le fait d’avoir un rapport s*e*xuel avec une personne âgée de moins de 21 ans avec ou sans rémunération constitue, selon les articles 344 et suivants du code pénal, les infractions autonomes soit de corruption de la jeunesse, soit d’outrage à la pudeur dont les peines s’alourdissent d’autant que la victime est jeune.

Quelles sanctions sont applicables à la prostitution ?
La prostitution est avant tout une infraction. Elle est par conséquent susceptible d’entrainer des sanctions pénales. Mais si l’acte s’est fait au préjudice d’autrui, des sanctions civiles peuvent également être envisagées.
a) Les sanctions pénales
Les lois camerounaise et française prévoient des sanctions principales et des peines complémentaires.
–  Les peines principales
Il s’agit de la peine d’emprisonnement et de l’amende, c’est-à-dire une somme que l’auteur doit verser au trésor public. Les articles 294 et 343 du code pénal camerounais prévoient un emprisonnement de six mois à cinq ans et une amende de 20.000 à 500.000 francs CFA pour la prostitution au sens strict. La peine d’emprisonnement est la même, mais le maximum de l’amende est porté à un million de francs pour le proxénétisme. En France, le racolage public est puni d’un emprisonnement de 2 mois et d’une amende de 3.750 euros. L’emprisonnement applicable au proxénétisme simple est de sept ans et l’amende de 150.000 euros, tandis que la privation de liberté est de trois ans pour le client de prostitué fragile et l’amende de 45.000 euros. En fonction des circonstances de l’infraction, ces peines peuvent s’alourdir. Au Cameroun, elles sont simplement doublées si l’infraction de proxénétisme s’accompagne de contrainte ou de fraude ou si l’auteur est armé, s’il est le propriétaire, le gérant ou le préposé d’un établissement où se pratique la prostitution. Il en est de même si la victime est âgée de moins de 21 ans ou si l’auteur en est le père, la mère, le tuteur ou le responsable coutumier. En France, la peine du client de prostituée fragile passe à cinq ans et l’amende à 75.000 euros lorsque l’auteur a eu recours simultanément à plusieurs partenaires ou s’il avait une autorité sur la victime. On atteint sept ans d’emprisonnement et 100.000 euros d’amende lorsque la victime a moins de 15 ans. S’agissant du proxénétisme, les peines peuvent aller jusqu’à vingt ans de prison et 3.000.000 euros d’amende, d’après l’article 225-7-1 du code pénal lorsqu’il est pratiqué à l’encontre d’un mineur de moins de quinze ans, lorsque l’auteur et la victime ont des liens de famille ou de dépendance ou lorsqu’on a recours à la contrainte. Enfin, l’article 225-9 fixe que le proxénétisme commis en recourant à des tortures ou des actes de barbarie est puni de la réclusion criminelle à perpétuité et de 4.500.000 euros d’amende.
– Les peines complémentaires
L’article 343 du code pénal camerounais est muet sur les autres mesures pouvant accompagner au titre de la prostitution, les peines principales sus énoncées. Par contre, l’article 294, à l’image de ce qui est prévu en France, organise une série de mesures complémentaires dont le proxénète ou même la prostituée peuvent faire l’objet. L’alinéa 4 de ce texte veut que, lorsque le proxénétisme est l’oeuvre du propriétaire, du gérant ou du préposé d’un établissement où se pratique la prostitution, ou est commis avec contrainte ou sur une personne mineure de moins de 21 ans ou par un parent de la victime, l’auteur fasse l’objet d’un engagement préventif, c’est-à-dire s’engage en justice à payer une somme déterminée en cas de récidive dans un certain délai, avant de subir la nouvelle peine pour le fait nouveau. L’auteur peut également être privé de toute autorité morale sur la victime ou subir toute autre déchéance telle que citée par l’article 30 du code pénal(destitution de fonction par exemple pour un assistant social ou un ministre du culte ; incapacité d’être assesseur ou juré-expert ; interdiction de porter une décoration ; interdiction de servir dans les forces armées ; interdiction de tenir une école ou même d’enseigner et d’une façon générale, d’occuper une fonction se rapportant à l’éducation ou à la garde des enfants). Le tribunal peut enfin, comme l’indique l’alinéa 6 de l’article 294, ordonner la fermeture de l’établissement où se pratique la prostitution. Le droit français est pratiquement dans la même logique, puisque les alinéas 20 à 25 de l’article 225 prévoient le recours aux mêmes mesures que celles énoncées par le législateur camerounais, parfois avec un peu plus de sévérité.

b) Les sanctions civiles
A la différence des sanctions pénales qui visent à punir l’auteur de l’infraction et le pousser à s’amender, les sanctions civiles sont plutôt destinées à consoler la victime ou à la protéger. La première des sanctions imaginables à ce titre est l’allocation de dommages-intérêts sur le fondement des articles 1382 et suivants du code civil, si la victime de la prostitution ou du proxénétisme parvient à faire la preuve d’un préjudice direct et personnel qu’elle a souffert. Ce droit à indemnisation revient aux parents de mineurs abusés. Au-delà du versement d’une indemnité, il est possible que l’entreprise de prostitution ou de proxénétisme ait donné lieu à la confection d’actes juridiques et notamment d’engagements contractuels. Dans un pays comme le Cameroun où la prostitution est illégale, il va de soi que de tels contrats doivent être annulés comme ayant une cause immorale ou un objet illicite comme le suggèrent les articles 1128, 1131 et 1133 du code civil. En France, les contrats de prostitution ne peuvent pas être annulés du fait de leur seul objet. Ils pourraient cependant perdre toute force obligatoire s’ils ont été obtenus par malice, par fraude ou sous la contrainte. Le consentement de la victime est alors vicié soit par l’erreur, le dol ou la violence et conformément à l’article 1109 du code civil, il ne peut produire l’effet obligatoire normalement attaché aux contrats.

Moïse TIMTCHUENG, Dr en droit privé et sciences criminelles

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *