Cameroun – Boko Haram: « A menaces globales, réponses globales »

Retour sur le discours présidentiel au corps diplomatique de janvier 2015 Evoquer la question d’une menace globale en rapport à la lutte contre Boko Haram invite à s’appesantir d’emblée sur la dimension transnationale des facteurs de déstabilisation des Etats africains et constater qu’aujourd’hui, les plus grandes multinationales de la criminalité agissant sur le leitmotiv du djihadisme2 débouchent sur un terrorisme aux visages multiples. Cette menace qui n’épargne personne, sévit à différents degrés et quel que soit le niveau d’éloignement des Etats. D’où l’idée selon laquelle, l’éloignement d’un pays du théâtre des opérations n’est pas une assurance tout risque. Il convient juste de rappeler en ce sens, que le principal auteur des attentats de septembre 2001 aux Etats-Unis, s’était également entrainé dans un pays africain considéré à l’époque, comme très éloigné du continent américain. Si la dimension globale semble ainsi consubstantielle au terrorisme djihadiste, le véritable défi revient de savoir comment en venir à bout sans une réponse globale ? Il sera donc question dans le cadre de cette réflexion, de s’entendre d’abord sur la notion de menaces globales, avant de revenir à la réponse globale.
Une menace qui n’a pas de frontière est dite globale, au regard de ses ambitions, de ses manifestations, de ses sources de financement et d’approvisionnement.
Pour ce qui est des ambitions, il faut mettre en exergue la volonté des groupes terroristes, de propager par effet de domino, un islamisme intégriste du Moyen-Orient à l’Afrique subsaharienne, en passant par le Maghreb. C’est dans cette optique en effet, que la nébuleuse Al Qaeda diffuse ses idées à travers ses démembrements en Irak (Al Qaeda en Irak), au Moyen-Orient (Al Qaeda au Moyen-Orient), au Maghreb (Al Qaeda au Maghreb Islamique). Cette dernière à son tour, adoube les mouvements tels que Ançar Dine, Boko Haram et Al Shebabs. C’est dire que dans leur déploiement, l’Etat investit par un mouvement ne représente qu’un pion sur l’échiquier ; la finalité étant la domination de l’espace allant du Moyen-Orient à l’Afrique subsaharienne, en s’assurant la jonction entre l’Afrique occidentale et l’Afrique orientale.
Perçue sous cet angle, la lutte que mène Boko Haram au Cameroun et à partir du Nigéria ne représente que la dimension locale d’un projet plus ambitieux. Si on prend en compte juste son axe oriental ou horizontal en partant du Nord Est du Nigéria, il ne fait aucun doute que l’acharnement de Boko Haram contre le Cameroun, pour le contrôle des 50 km qui le séparent de l’un de ses voisins orientaux, est une manœuvre visant à faire jonction avec les éléments en attente au Tchad, en Centrafrique et au Soudan, pour atteindre vers le Nord la Libye et vers l’Est la Somalie.
Et si on prend l’axe vertical toujours en partant du Nigeria comme socle de propagation, le Niger devient aussi une bande de transit permettant d’atteindre le Mali et en suite, se propager sur toute la côte ouest africaine, en direction du Sahara occidental, le Maroc et surtout le sud algérien.
De là, la qualification de multinationale de la criminalité transfrontalière appliquée à ces mouvements. On comprend ici, non seulement qu’il a des filiales comme dans toute multinationale, mais aussi, que la détermination de se faire de l’argent au moyen du crime transnational est une constante. La religion ne sert donc que d’affichage et on le voit de plus en plus avec Boko Haram, dont les attaques concernent toutes les populations, indépendamment de leur confession.
Concernant les manifestations, le rejet des libertés fondamentales et des droits humains, les crimes de masse, les crimes contre l’humanité et les crimes de génocide dans lesquels excellent les groupes djihadistes constituent un défi majeur pour la communauté internationale.
En effet, s’il est reconnu que ce sont les Etats qui sont garants de la sécurité de leurs populations, il reste qu’en cas de péril grave contre celles-ci dépassant la capacité de réaction de l’Etat concerné, la communauté internationale se doit, au nom de la « responsabilité de protéger », de prendre toutes les dispositions pour préserver les vies humaines. C’est dire que devant les massacres perpétrés contre les populations civiles, la communauté internationale portera sous sa conscience la non assistance à personnes en danger.
En ce qui concerne les sources de financement, il est indéniable que les mouvements djihadistes bénéficient du soutien de certaines monarchies pétrolières et des paradis fiscaux afin de faire transiter et blanchir les importantes sommes d’argent issues de la criminalité et des trafics divers. S’il est vrai que ces groupes essayent de contrôler l’espace sahélo-saharien pour ses multiples avantages en tant que zone de transit importante et de toutes sortes de contrebande, ils tirent également des dividendes des prises d’otages et rançons, ainsi que des financements extérieurs. C’est donc du ressort de toute la communauté internationale de pouvoir contrôler leurs mouvements de capitaux.
Enfin, ces groupes s’approvisionnent en matériels sophistiqués auprès de grandes multinationales occidentales et ces matériels transitent par les Etats qui ont perdu une grande partie de leur souveraineté au lendemain des printemps arabes qui les ont secoués.
Ces évènements majeurs vécus dans le monde arabe ont eu pour conséquence de faire de la Libye et du Sud Soudan les principales voies d’acheminement des armes au bénéfice de Boko Haram.
La globalité que représente la menace aujourd’hui, tient donc compte des multiples trajectoires et de l’imbrication de nombreux acteurs dans son développement. Alors pour y faire face, la prise en compte d’une pluralité d’aspects est nécessaire. C’est donc d’une réponse globale qu’il s’agit.
La globalité de la réponse face au terrorisme tient de plusieurs aspects. Premièrement, la guerre coûte cher et aucun pays ne peut prétendre tout seul mettre un terme au terrorisme. Il s’impose une riposte militaire multilatérale face à un phénomène mondial.
Les grandes puissances, l’ONU, l’Union africaine, la Commission du bassin du lac Tchad, la CEEAC et la CEDEAO devraient se saisir de la question et fournir les ressources nécessaires. Le terrorisme est une sorte de multinationale de la criminalité dont les succursales et les tentacules sont disséminées partout, y compris dans le sahel, dans la corne de l’Afrique et comme nous le constatons aujourd’hui, en Afrique subsaharienne. Boko Haram n’est donc qu’un démembrement de cet « international terroriste ».
La riposte militaire, menée sur un seul front reste inefficace si les forces terroristes disposent de bases arrières où elles peuvent se reconstituer et revenir à la charge. Une réponse globale implique donc la mise en synergie des forces de plusieurs Etats, la coordination des moyens logistiques terrestres, aériens et technologiques de divers ordres, l’échange de renseignements et l’offensive synchronisée des forces militaires de la ligne de front (Cameroun, Tchad, Niger et Nigeria). Les grandes puissances disposent de moyens logistiques et technologiques importants, des drones par exemple et les renseignements collectés par ces dispositifs devraient être fournis aux Etats-majors des combats au sol.
Deuxièmement, la globalité de la réponse est liée au fait que le terrorisme ne se développe pas ex-nihilo. Il repose sur des réseaux de financement et d’approvisionnement en armes. Ceux qui financent sont connus ; les pays qui pourvoient en armes sont également connus.
Il devrait être question de tarir les sources d’approvisionnement de Boko Haram et de tous les autres groupes terroristes actifs, en intensifiant par exemple la lutte contre le trafic des stupéfiants à l’échelle globale.
Troisièmement, la pauvreté est un terreau favorable à l’enrôlement dans les mouvements terroristes. La lutte contre le terrorisme passe aussi par un développement socioéconomique de nature à offrir une voie autre aux jeunes que la criminalité. Ceci implique l’éducation, les services sociaux primaires (eau potable, électricité), des emplois, etc. C’est dans ce sens qu’il faut appréhender le plan d’urgence pour le développement du septentrion. Mais, dans la foulée, il faudrait aussi revoir la structure sociale traditionnelle et ses mécanismes de redistribution et de socialisation.
Enfin, la guerre contre une idéologie appelle à une contreidéologie. Il faudrait également mener une guerre idéologique. Audelà des solutions militaires et socioéconomiques préconisées, il doit se développer au sein des citoyens, un sens commun d’appartenance à la patrie. La notion même de « défense populaire » est à l’épreuve ici.
En plus de ce qui est déjà fait par les appareils idéologiques d’Etat, il doit se construire autour de la lutte contre le terrorisme, un sentiment national au sein des populations, une cohésion sociale manifestant le soutien aux institutions et aux forces de défense, ainsi que le rejet catégorique du terrorisme. Le rôle des médias, partis politiques, leaders d’opinion, hommes d’affaires, associations et organisations de la société civile est donc très important à ce niveau. Nous devons tous restés mobilisés.
On l’aura donc compris, à menaces globales, réponses globales va bien au-delà d’un simple appel à l’aide. Il s’adresse à la communauté internationale, tout en faisant sens à la communauté nationale. Il cible la communauté des Etats ; mais aussi la société civile internationale. Il interpelle la communauté internationale, responsable en premier de la sécurité collective, face à une menace mondiale qui menace la sécurité de tous et de chacun.

Par Professeur Joseph Vincent Ntuda Ebodé
Directeur du Centre de Recherche d’Etudes Politiques et Stratégiques (CREPS)-
Université de Yaoundé II-Soa

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