L’on est parti d’un bénéfice de 3,5 milliards Fcfa réalisé lors de la dernière année de l’ancien directeur général, à un déficit de 4,5 milliards Fcfa, en quelque temps. Seulement.[pagebreak]Rien ne va plus à la Société de développement du coton (Sodecoton), depuis le départ d’Iya Mohammed de la direction générale, le 25 mai 2013. Les comptes de l’entreprise sont passés du vert au rouge. Car, le conseil d’administration tenu quelques jours avant son éviction, avait indiqué un bénéfice de 3,5 milliards Fcfa. Remplacé par Abdou Namba en août 2013, ce dernier vient de livrer le bilan de sa toute première année à la tête de la structure. Les chiffres sont effroyables. Selon des sources dignes de foi, le conseil d’administration tenu le 15 décembre 2014, aurait constaté que la Sodecoton a enregistré une perte de 4,5 milliards Fcfa. Plus grave, l’avenir semble des plus incertains. Le déficit pourrait atteindre 8 milliards Fcfa en fin 2015, d’après les prévisions des administrateurs. Comme si cela ne suffisait pas, le Français Henri Clavier, directeur général adjoint, vient de quitter précipitamment l’agro-industriel, alors que son contrat de travail renouvelable tous les deux ans, s’achève en novembre 2015.
Banqueroute. Selon des informations crédibles parvenues à La Météo, les méthodes de gestion peu recommandables de la nouvelle équipe managériale seraient à l’origine de cette chute libre. Il se murmure à Garoua que, Abdou Namba qui ne comprend rien à rien, aurait, contre toute attente, rompu toute collaboration avec le Dga. «Le prédécesseur d’Iya Mohammed, fonctionnaire qui n’a jamais occupé de telle fonction, a toujours considéré Henri Clavier comme son adjoint, au sens administratif du terme. Ignorant que ce dernier, non seulement est un technicien chevronné avec lequel il devait collaborer pour l’intérêt de l’entreprise, mais également, est un employé de Geocoton, actionnaire de la Sodecoton à hauteur de 30%. C’était l’interlocuteur privilégié des bailleurs de fonds», confie une source proche du pool managériale de l’entreprise. Et de poursuivre : «Henri Clavier a de ce fait, perdu ses positions dans des secteurs qui étaient considérés comme les siens depuis de nombreuses années et sur lesquels il excellait. Cette mise à l’écart du Dga entraîne indubitablement des bisbilles avec le partenaire français Geocoton avec qui, la société a un contrat d’assistance technique depuis 1974.» Notre source conclut : «Du coup, il y a comme une atmosphère de crainte dans la maison (Sodecoton, ndlr), et même dans tout le Grand-nord dont, les populations dépendent en grande partie de la culture du coton. Avec le déficit enregistré l’année qui s’achève et les prévisions alarmantes pour l’exercice qui commence, auxquels il faut ajouter la brouille -inutile- avec les Français, la Sodecoton n’est pas loin de la faillite.»
Peur bleue. En effet, le rappel à la maison-mère d’Henri Clavier est diversement interprété. Alors que dans certains milieux, l’on espère que Geocoton enverra un autre cadre pour remplacer le Dga parti, au quartier Sodecoton à Garoua, l’on redoute le retrait des Français du capital de la Société de développement du coton. Car, il faut le relever, le partenaire français n’a pas approuvé les méthodes de travail de l’actuel Dg, qualifié d’incompétent dans les milieux cotonniers d’Afrique, voire du monde. La mise en retrait de l’actionnaire français, de par les méthodes de travail d’Abdou Namba, vient en rajouter une couche dans le climat déjà, délétère, qui existe entre la multinationale et le Cameroun, depuis l’incarcération (abusive) de M. Iya Mohammed.
Les populations du Grand-nord craignent des lendemains incertains pour l’entreprise, et par ricochet pour elles-mêmes, apprend-on. Elles gardent en mémoire les expériences centrafricaine et tchadienne. Il y a quelques années, des stratagèmes similaires avaient été utilisés pour faire partir les cadres français du top management de Cotontchad et ceux de la Société des fibres centrafricaines (Sofica). Mais au final, la société tchadienne a été mise en liquidation alors que Sofica a tout bonnement fermé ses portes.
De ce fait, le départ des Français de la Sodecoton est fortement redouté dans le septentrion. Déjà, c’est l’unique entreprise du Grand-nord qui a 1800 employés permanents et utilise entre 2000 et 2 200 personnes aux emplois temporaires et saisonniers chaque année. Bien plus, les populations rurales des régions du Nord et de l’Extrême-nord tirent l’essentiel de leur revenu du coton. Les producteurs encadrés par l’entreprise sont passés de 357.000 durant la campagne 1993/1994, à 367.000 en 2001/2002, pour se stabiliser autour de 206.000 en 2010/2011 et 166.000 en 2011/2012 après assainissement. Au regard de ce rôle de poumon de l’économie du septentrion, la faillite de la Sodecoton est susceptible de créer un véritable malaise dans cette partie du territoire national.
La belle épopée ‘’Iya’’. L’on en vient donc à regretter aujourd’hui dans le Grand-nord et même partout ailleurs au Cameroun, l’époque où Iya Mohammed était directeur général de la Sodécoton. «Avec Henri Clavier, il (Iya Mohamed, ndlr) formait un tandem complémentaire et très apprécié», affirme un cadre de la maison. Notre source renchérit : «Chaque responsable de la société pouvait invariablement s’adresser à l’un ou l’autre pour une décision sans que celle-ci ne soit remise en cause par l’autre.» Et de terminer : «Chacun avait un rôle précis à jouer, en fonction de ses compétences. Personne ne marchait sur les plates-bandes de l’autre. Les bailleurs de fonds étaient toujours très contents de travailler avec la société.»
Pour Aboubakar Poro, coton-culteur installé dans le bassin de la Benoué à Garoua : «Le coton, c’est une chaîne. Si vous ne pouvez pas anticiper, il devient un investissement à haut risque. Par exemple, en prévision à l’harmattan qui va de décembre à février, en plus des camions de l’entreprise, Iya Mohammed allait louer d’autres au Tchad et au Nigeria, pour transporter le coton et le stocker dans des entrepôts appropriés. Mais depuis son départ, le vent emporte la quasi-totalité de la récolte. Pourtant, il paraît qu’il (l’ex-dg, ndlr) a laissé 13 usines», avoue-t-il. Mohamadou Ali, originaire de Demsah quant à lui regrette : «Du temps d’Iya, la Sodecoton avait un volet social très important et très apprécié des populations. Les engins de la société s’occupaient de l’entretien des pistes rurales. Iya faisait construire des salles de classe, des forages ; il nous fournissait l’engrais et les produits phytosanitaires de premier choix pour l’entretien des plantations. Depuis son incarcération, nous sommes dans l’abandon total.» Même les militants du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), parti au pouvoir, sont délaissés. «Quand il (Iya Mohammed, ndlr) était en poste, on avait régulièrement nos pagnes du parti, les T-shirts. On nous transportait gratuitement pour les grands meetings. On était motivé. Mais depuis le départ d’Iya, le parti (Rdpc, ndlr) est mort», avoue un président de sous-section de la localité.
De sources concordantes, la Société de développement du coton redistribuait chaque année, pas moins de 1,5 milliard Fcfa aux planteurs. Le niveau de dividendes distribuées aux actionnaires est estimé à 13,2 milliards Fcfa, depuis 1994.
En effet, du temps de l’ancien président de la Fédération camerounaise de football, la Sodecoton réalisait d’énormes bénéfices et était en nette progression. Malgré la rude crise cotonnière qui a parcouru le monde de 2005 à 2008, les profits réalisés par la société entre 1993 et 2012 sont évalués à plus de 30 milliards Fcfa. Les emprunts à long terme, restés autour de 18 milliards Fcfa en 2007, sont passés à 6 milliards Fcfa en 2012. Malheureusement, l’entreprise qui faisait la pluie et le beau temps dans le septentrion, court droit vers la faillite, malgré une conjoncture mondiale favorable à la filière.
Nadine Bella