Demain, 9 décembre 2014, cela fera exactement trois ans que le gouvernement Yang est en place. Une équipe qu’on a annoncé «de combat», «de mission» et censée poser les jalons de l’«émergence à l’horizon 2035».[pagebreak] Et beaucoup y ont cru, après avoir constaté l’incroyable potentiel dont l’Eternel a doté le Cameroun. Les partenaires au développement n’ont jamais mis autant de moyens au service du développement du pays. Les Camerounais ne se sont sans doute jamais autant sacrifiés, en termes d’idées et de contribution à l’effort de guerre.
Mais la désillusion est aujourd’hui bien grande. Le fameux Document de stratégie pour la croissance et l’emploi apparaît comme un gadget, les projets structurants, annoncés en grandes pompes pour booster la croissance, désenclaver et offrir de l’emploi, ont l’air de chimères. Le peuple perd patience, pour ne pas dire qu’il est retombé dans la désespérance.
Le 31 décembre dernier, la voix du président Biya est venue, solennellement, sonner la charge contre un gouvernement globalement médiocre et dont certaines pratiques confinent à la trahison contre les intérêts de toute une communauté. Le 31 décembre 2013, à l’occasion de son traditionnel discours à la nation, le président de la République semblait ainsi tomber des nues : «Nous avons encore sans aucun doute des marges de progression pour améliorer l’efficacité de notre politique économique. Nous disposons d’une stratégie pour la croissance et l’emploi qui indique la voie à suivre pour atteindre nos objectifs. Mais d’où vient-il donc que l’action de l’État, dans certains secteurs de notre économie, paraisse parfois manquer de cohérence et de lisibilité ? Pourquoi, dans bien des cas, les délais de prise de décision constituent-ils encore des goulots d’étranglement dans la mise en œuvre des projets ? Comment expliquer qu’aucune région de notre territoire ne puisse afficher un taux d’exécution du budget d’investissement public supérieur à 50% ? Enfin, il est permis de s’interroger sur l’utilité de certaines commissions de suivi de projets, qui ne débouchent sur aucune décision.»
L’horizon des priorités fixées sur le court terme, à savoir : redresser la courbe de notre croissance en créant des emplois et maintenir un niveau élevé de performances sur plusieurs années d’affilée, ne cesse de s’éloigner et les feuilles de route gouvernementales ont fané avant même d’avoir pris forme.
Paul Biya avait indiqué que l’exécutif devait «s’attaquer aux causes de nos insuffisances en supprimant les points de blocage, les zones de dispersion et les doublons». Près d’un an plus loin, on a envie de remettre au goût du jour ses propres interrogations : «Serions-nous incapables de faire ce que d’autres pays comparables au nôtre ont fait ou sont en train de faire ? Je ne le crois pas. Nous avons des hommes, des femmes et des jeunes talentueux, ingénieux, bien formés et entreprenants, capables de relever ces défis. Nous avons des ressources naturelles, abondantes et variées. Nous avons des institutions, modernes et démocratiques. Notre pays connaît la paix et la stabilité. Alors que nous manque-t-il ?»
On a presque envie de lui reproposé le même discours pour cette fin d’année, tant la réalité est têtue : «Je crois que nous avons des progrès à faire sur deux points importants : la primauté de l’intérêt général et la coordination de nos efforts. Bien qu’attachés à nos communautés d’origine – ce qui ne nous empêche pas d’être de fervents patriotes lorsque l’honneur national est en jeu – nous sommes un peuple d’individualistes, plus préoccupés de réussite personnelle que d’intérêt général. Notre Administration reste perméable à l’intérêt particulier. Ce dernier est le plus souvent incompatible avec l’intérêt de la communauté nationale. Dans un État moderne, cette dérive ne doit pas être tolérée. La plupart de nos grands projets mettent en jeu, à un stade ou à un autre de leur mise en œuvre, les compétences de divers services. Je ne suis pas sûr que l’indispensable coordination entre ceux-ci ait toujours lieu. Il nous faudra sans aucun doute améliorer les choses de ce point de vue.»
Las ! L’équipe Yang semble atteinte de paralysie chronique, bien que quelques uns de ses membres se détachent du lot. Une bien maigre consolation, pour un pays dont chaque seconde d’inertie, chaque franc distrait ramène à des décennies en arrière. Bizarrement, et contre toute attente, cette équipe tant décriée a survécu à tous les séismes annoncés depuis le début de l’année.
Dans un an, si rien n’est fait pour corriger le tir, on en sera encore à ressasser les mêmes regrets, à refaire un film qui n’a pas arrêté de virer au cauchemar. À qui profite le crime ?
René Atangana et Nadine Bella