Cameroun : 15 ans de prison maintenus pour l’ancien DG de la Sonara

La Cour suprême a validé la condamnation infligée à l’ancien directeur général de la Société nationale de raffinage devant le Tribunal criminel spécial en 2015 pour détournement des fonds pourtant restitués au Trésor public.

Le ministère public s’est gardé de dévoiler ses réquisitions, dévoilant un énorme malaise autour du dossier.

Les hostilités sont définitivement achevées dans l’une des batailles judiciaires opposant l’Etat du Cameroun à Charles Metouck, ancien directeur général (DG) de la Société nationale de Raffinage (Sonara). Le pourvoi introduit par l’ex DG tendant à faire annuler sa condamnation à 15 ans d’emprisonnement écopée devant le Tribunal criminel spécial (TCS) le 21 octobre 2015 pour un prétendu détournement de la somme de 108 millions de francs a essuyé un revers. La Section spécialisée de la Cour suprême l’a jugé recevable mais non justifié. Le même sort a été appliqué sur le pourvoi de Jean Joule Edinguele Edinguele, l’ancien directeur des affaires juridiques de la Sonara, lui aussi a vu sa peine de 12 ans de prison maintenue. Les deux hommes devront s’acquitter solidairement du paiement des frais de justice générés par l’examen de leurs recours.

C’est le 25 juin 2019 que la Section spécialisée, juridiction qui examine en dernier recours les procédures de détournement de deniers publics, a procédé à l’examen public de l’affaire. Les pourvois de M. Metouck et M. Edinguele soulevaient une dizaine d’arguments de droit, pour obtenir l’annulation de l’arrêt critiqué. Ils reprochaient aux juges du TCS «le non-respect de l’égalité des citoyens devant la loi». Les avocats de la défense s’offusquaient notamment de la discrimination dont ont été victimes leurs clients suite à l’autorisation d’arrêt des poursuites au profit de l’un seulement des mis en cause, qui était poursuivi en coaction avec deux autres accusés finalement condamnés pour la somme remboursée…

En effet, M. Metouck était poursuivi en même temps que M. Dikoume Albert, le directeur financier de la Sonara, et M. Ngalle Noé, ancien chef du service export, et Etienne Tiako, représentant de l’entreprise étrangère Win King, un fournisseur de pétrole brut à la raffinerie. Le montant reproché aux quatre hommes pour ce chef d’accusation est de 108 millions de francs. La somme avait été payée à Win King, par erreur, comme «intérêt sur crédit fournisseur», à travers une décision du directeur financier assumant l’intérim du DG absent à cette période. Quelque temps après, le même directeur financier de la Sonara, M. Dikoume, va réclamer le remboursement de cet argent et geler le paiement de trois autres factures de Win King alors en instance à la Sonara pour des livraisons ultérieures à la première, objet de contestation.

Accord frauduleux ?

Estimant que la Sonara abusait d’elle, Win King décidait de saisir un tribunal arbitral au Royaume Uni, selon les clauses contractuelles entre les parties. Le service juridique de la Sonara, informé de la naissance du litige, émettait un avis conseillant au DG de transiger avec son fournisseur, dans le but d’éviter un «contentieux coûteux devant le tribunal arbitral de Londres». C’est à la suite de cet avis que Charles Metouck va accepter de signer un accord transactionnel avec Win King, abandonnant ainsi, au cours des négociations, les réclamations concernant le paiement des 108 millions de francs. Le TCS, qui a connu du dossier, estime que le fait d’avoir abandonné les procédures de recouvrement de cet argent pour «s’empresser» de mettre sur pied un protocole d’accord est frauduleux. D’où la condamnation prononcée contre M. Metouck et M. Edinguele.

Chose curieuse, alors que l’affaire était en cours de jugement et comportait d’autres volets pour lesquels le TCS avait finalement reconnu qu’il n’y avait rien à reprocher au mis en cause, en prononçant leur acquittement, M. Tiako Etienne de Win King, qui comparaissait libre, a restitué la somme querellée le 10 janvier 2014. Il bénéficiera de ce fait, tout seul, d’un arrêt des poursuites décidé par le Garde des Sceaux, Laurent Esso. Hormis M. Ngalle Noe, les autres personnes concernées par ce chef d’accusation seront condamnées. Le tribunal, dirigé par le chef de la juridiction de l’époque, M. Yap Abdou, avait estimé que «La demande d’arrêt des poursuites est personnelle et subjective. Elle ne s’étend pas aux co-accusés». Un argumentaire curieux de la part d’un juge qui avait déjà étendu à tous les coaccusés de l’ancienne ministre de l’Education de Base, Mme Haman Adama, l’arrêt des poursuites décidé en faveur de cette dernière et de ses coaccusés, pour les sommes en cause effectivement remboursées.

En examinant ce problème de droit posé par les deux recourants, le juge-rapporteur a suggéré le rejet de cet argument en opposant que «la demande d’arrêt des poursuites doit résulter du mis en cause». Ce que M. Metouck et M. Edinguele n’ont pas fait. Le haut magistrat a aussi proposé aux juges de rejeter les autres moyens qui, pour lui, sont de nature à ramener la Cour a réexaminé les faits souverainement analysés devant le TCS.

Silence du parquet

En prenant la parole pour sa défense, M. Metouck a indiqué qu’il était infamant pour lui d’être condamné pour un détournement de 108 millions de francs, quand on connaît les chiffres qu’il a réalisé à la tête de la Sonara dans un environnement pourtant difficile. Fait rarissime : lorsque le tour du représentant du ministère public est arrivé de prendre la parole pour ses réquisitions, il a fait des digréssions sur tout, sans jamais dévoiler le contenu desdites réquisitions écrites «contenues dans le dossier», auxquelles il a dit s’en tenir, dévoilant un malaise dans l’examen du dossier. De toutes les façons, le collège des juges, dirigés par M. Mvondo Evezo’o, s’est retiré pour décider du sort des accusés et est revenu en salle. Et le président du collège a lu la décision «prise à l’unanimité des voix». Dans les couloirs de la Cour pourtant, certains conseillés n’ont pas masqués leur gène «devant ce qui se passe»…

«Ce type n’a rien fait. On devait le laisser dans cette affaire»; disait un juge en conversation avec son collègue au sortir de l’audience. Rappelons que le procès contre Charles Metouck et certains de ses anciens collaborateurs devant le Tribunal criminel spécial avait démarré début 2013. Renvoyés en jugement le 23 septembre 2013, Charles Metouck et ses compagnons d’infortune devaient s’expliquer sur deux chefs d’accusation relatifs à leur gestion de la Sonara entre 2010 et 2013. En dehors du chef d’accusation de 108 millions de francs, l’accusation reprochait également à l’ex DG de n’avoir pas reversé les taxes sur la valeur ajoutée (TVA) retenues à la source et l’impôt sur les revenus (IR) chiffrés à 406,4 millions de francs. Les juges du TCS avaient acquitté les mis en cause en disant qu’on ne saurait parler de détournement de deniers publics à travers la fraude fiscale alors que l’administration ayant qualité pour la constater ne l’a pas relevée. Notons que le deuxième procès intenté à M. Metouck s’est ouvert au TCS. Le rouleau compresseur, c’est le cas de le dire, tourne en plein régime.

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