Cameroun: L’inquiétante montée des radicalismes

La crise anglophone, le boycott du 20-Mai ou encore la répression administrative révèlent une poussée victorieuse des néo-conservateurs au sein des appareils politiques et d’Etat.
Une coordination parfaite pour mettre en musique la mise à mort médiatique du SDF (Social democratic front). Une dizaine de titres privés, dans une symphonie au moins suspecte, s’intéressent à l’utilisation que le principal parti de l’opposition fait des ressources mises à sa disposition par l’Etat. Un titre met en cause la responsabilité directe de Ni John Fru Ndi, soupçonné de prendre des libertés avec ces fonds publics. Le pouvoir vient d’organiser la riposte à la décision très dure du SDF de ne pas prendre part aux festivités marquant la célébration de la fête de l’Unité nationale. Sur le tard, le parti de Fru Ndi, qui a raté l’épisode de la mobilisation pour la cause anglophone, veut jeter de l’huile sur le feu dans un contexte d’enlisement de la crise qui sévit dans les Régions anglophones. C’est ce que le sérail a perçu qui lui assène un coup en dessous de la ceinture. Le SDF est atteint par cette riposte qu’il n’avait pas vu venir, porté par les radicaux tapis au sein du pouvoir qui n’entendent rien laisser passer. Le 15 mai, il a publié un communiqué où il dénoncé le comportement suspect et anti-professionnel » de certains organes de presse et « regrette fortement le choix fait par les commanditaires de ces organes d’avoir choisi d’adopter un traitement trop parcellaire et tendancieux de l’information ». En réaction, le parti de Fru Ndi annonce une opération de transparence de la gestion du financement public et réserve même le droit de porter plainte. Le SDF veut gommer le sous-entendu qu’il serait financé par le pouvoir en place à coups de milliards de FCFA. Aussi invoque-t-il la loi du 19 avril 2012 qui régit le financement public des partis politiques au Cameroun, y compris le parti au pouvoir. Le Social democratic front sait désormais qu’il est allé loin et essaie de mettre de l’eau dans son vin au sujet de la célébration du 20 mai 2017. Son vice-président Joshua Osih ressort la ficelle du malentendu. Il déclare que le SDF ne boycotte pas mais ne célèbrera ni le 20-Mai, si le 26 mai 2017 qui marque le 27ème anniversaire de la naissance de ce parti. Cette séquence montre un SDF de retour sur les terres qui l’ont forgé : la logique insurrectionnelle, la politique de la chaise vide qu’il a longtemps pratiqué. En effet, jusqu’en 1997, le parti de John Fru véhicule une image de radicalisme par le boycott systématique, après avoir plusieurs mois durant soutenu les villes mortes et réclamé « la victoire volée » de la présidentielle de 1992. Son entrée à l’Assemblée nationale au terme des législatives de 1997 marque un tournant, scellé par les négociations engagées avec le RDPC pour une entrée dans le gouvernement. Même si elles n’aboutissent, les deux parties ont pu s’asseoir sur la même table, alors que la diabolisation du SDF était le mot d’ordre permanent. Fru Ndi va progressivement se « normaliser », au point d’être un hôte permanent de Paul Biya à quasiment tous les événements publics. Cette proximité ne lui a pas que porté bonheur, puisque le leader du SDF est aujourd’hui en train d’être doublé sur sa droite par les tenants de la ligne dure du parti. A moins de 18 mois de la présidentielle, le ton est donné. Si le SDF se repositionne sur les thèses de son aile radicale, c’est que les leaders de la crise anglophones l’ont ringardisé. En effet, les positions les plus dures ont eu le dessus, qui ont préconisé et mis en œuvre les villes mortes, les violences diverses sur les personnes et les biens, le tout assis sur une demande de la sécession. Les modérés ont depuis demandé un retour à la normale, mais les néo-conservateurs campent sur leurs positions, comme l’attestent l’incendie d’une école à Bamenda la semaine dernière. Ces extrémistes sont nourris par quelques frustrations parfois légitimes certes, mais aussi par une abondante littérature diffusée sur des sites de radicalisation de la cause anglophone. Ces extrémismes ne sont pas le fait exclusif de la périphérie du pouvoir. En son sein loge aussi une aile dure, dont les tenants décochent des flèches douloureuses. Ainsi Paul Biya a-t-il été convaincu par cette frange radicale dont certains sont ses proches collaborateurs qu’une coupure d’internet dans les Régions anglophones était la meilleure manière de juguler la crise. Mais bien avant, le visage du radicalisme s’était exprimé en la personne de Paul Atanga Nji. Le secrétaire permanent du Conseil national de sécurité n’est pas tendre avec ses « frères » anglophones, qui prône la manière forte pour éteindre les mouvements de revendications. Moqué voire snobé par une partie de son camp, ce proche collaborateur du président a pourtant son oreille et il ne lui souffle pas que des amabilités. Dans le gouvernement, les propos se radicalisent eux-aussi. Comme le ministre de la Santé, André Mama Fouda, très dur avec les médecins en grève. Là où ils attendaient le dialogue, ils ont reçu des affectations disciplinaires sans autre forme de procès. Le même ministre de la Santé publique était resté flegmatique dans sa gestion de l’affaire Koumatekel, cette femme enceinte de jumeaux, éventrée à ciel ouvert devant les portes fermées de Laquintinie, le 12 mars 2016. Personne n’a oublié ses propos à la limite de la xénophobie tenus au lendemain des émeutes de la faim de février 2008 par une élite du Mfoundi qu’il cornaquait : « nous invitons fermement tous les prédateurs venus d’ailleurs, de quitter rapidement et définitivement notre sol. Car ils n’y seront plus jamais en sécurité ». Plus globalement, le pouvoir a depuis durci le ton, en étouffant toutes les oppositions qui sont aujourd’hui interdites de manifestations publiques.

Parfait N. Siki

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