Cameroun – Corruption dans les marchés publics: Quand les délégués font leur marché :: Cameroon

L’espoir d’une meilleure gouvernance qu’a suscité l’avènement du Ministère des Marchés publics n’a pas eu besoin de plus d’une année pour s’évanouir. En lieu et place de la transparence, de l’objectivité, de la célérité, de l’égalité, de l’équité, de la responsabilité et de l’efficacité des marchés publics escomptés, c’est plutôt l’effet contraire auquel on assiste.Les marchés publics et plus précisément le Ministère des Marchés publics est plus que jamais sous le feu des projecteurs. Surtout depuis que le Chef de l’Etat en personne a regretté, dans son discours de fin d’année à la nation, la faible consommation du budget d’investissement public. D’ailleurs, dans notre dernière livraison, nous consacrions tout un dossier sur les magouilles qui ont fait leur lit au Ministère des Marchés publics. Un dossier qui n’a laissé personne indifférent ce d’autant plus que, sans être exhaustif, nous démontrions les petits calculs du Ministre des Marchés publics, Abba Sadou, à travers 2 importantes réalisations qui dorment encore dans les tiroirs du fait des appétits financiers du Minmap. L’on avait même oublié que peu après sa prise de fonction, le même Minmap avait défrayé la chronique dans ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire de la construction de l’immeuble siège de l’Art, un bâtiment futuriste de 9 niveaux au boulevard du 20 mai.

Pour l’histoire, tout avait commencé en 2008 avec le lancement de l’appel à manifestation d’intérêt y relatif qui a abouti à la pré-qualification des structures. L’appel d’offres proprement dit sera lancé en octobre 2011. 11 entreprises vont postuler. En 2012, le marché est attribué au Groupement Bati Services-Pictet-Cfao Technologies après avis du Premier Ministre. Malheureusement, cette décision sera annulée le 3 octobre 2012 rendant l’appel d’offres infructueux à la demande du Minmap. Si l’Art avait été à l’époque accusée – à tort – de favoriser l’entreprise adjudicatrice, l’on ne sait pas toujours pourquoi le Minmap était intervenu, ce d’autant plus qu’il est reconnu que toutes les étapes de la procédure avaient été franchies dans le strict respect de la réglementation. Seulement, la société chinoise China Shanxi Construction Engeneering avait trouvé matière à contester les résultats de l’appel d’offres. Et elle a été suivie dans sa requête par le Minmap. Que s’était-il donc passé? Evitez de suivre notre regard. Mais toujours est-il que le Minmap est plus que jamais l’antre de la corruption.

Technique de «passe-passe»
Si les cas de l’autoroute Yaoundé — Nsimalen, la construction de l’immeuble siège du Ministère des Travaux publics ou celui de l’Art sont des affaires à gros sous où le Ministre est personnellement engagé, d’autres cas sont signalés au niveau des régions et des départements où la cupidité, la soif d’accumulation, la volonté d’enrichissement, la multiplication des blocages sont le lot quotidien des délégués départementaux et régionaux du Ministère des Marchés publics. Et comment opèrent-ils? Selon un prestataire suffisamment introduit dans l’univers des marchés publics au Cameroun, quand la plupart des délégués ne sont pas eux-mêmes prestataires directs des marchés publics, ce sont leurs épouses, leurs frères ou leurs amis qui jouent le rôle. Plutôt futés et jamais à court d’idées géniales, ces délégués départementaux et régionaux ont mis sur pied une technique dite de «passe-passe». En quoi consiste-elle? «Tu me passes un marché dans ta circonscription, je te passe un marché dans ma circonscription». Par ce jeu de réciprocité et de transitivité, les dés sont pipés d’avance. Les conflits d’intérêts nombreux. Plus ingénieux encore, pour s’assurer de la bienveillance des autorités administratives, et éviter des rapports conflictuels et de dénonciations b leur hiérarchie par les préfets qui n’ont pas encore fait le deuil de la passation des marchés publics, un quota des marchés du département leur est réservé. A charge pour eux de les faire réaliser par leurs épouses ou protégés à défaut de les vendre tout simplement.

Que remarque-t-on chez les délégués régionaux et départementaux du Minmap? Un enrichissement météorique chez la plupart d’entre eux, généralement des professeurs de lycées. D’ailleurs, une anecdote recueillie au cours de notre enquête nous indique cette histoire d’un régional du Minmap proche du Ministre Abba Sadou, subitement devenu riche au point d’envisager le divorce d’avec sa femme. C’est dire à quel point ces délégués respirent la grande forme financière.

Comment dans ce contexte contrôler la bonne exécution physique des marchés dans cette ambiance de clientélisme et de copinage? Au niveau des populations, c’est la déception totale. Tout se passe comme si le Ministre Abba Sadou s’était enfermé dans une bulle dans son bureau pour ne pas voir la réalité sur le terrain. A moins qu’il refuse de voir comme l’autruche qui nie l’évidence que son regard vient d’appréhender ou que ce qui se passe sur le terrain bénéficie de la complicité prébendière de certains responsables des services centraux ou même de celle du Ministre en personne.

Autre récrimination faite au Minmap, c’est celle des maires qui ne comprennent pas que sous le prétexte du coût élevé du fonctionnement des commissions des marchés que le Minmap exige que pour créer des commissions dans les communes que le compte administratif soit supérieur à 300 millions de FCFA. Pourtant, le même Ministère des Marchés publics fait passer les marchés par les délégués départementaux et régionaux des Marchés publics alors que leurs budgets de fonctionnement ne dépassent pas 40 millions de FCFA. Difficile n’est-ce pas de se séparer du «gombo» si juteux, des pourcentages de vente des Marchés publics et des rétro-commissions chez les patrons à Yaoundé. Sinon pourquoi le budget de fonctionnement des commissions des marchés départementaux et régionaux que le Minmap alloue à ses délégués n’est-il pas transféré aux communes au titre de dotation dans le cadre de la décentralisation, comme le font les autres Ministères? D’ailleurs, il parait de plus en plus urgent que l’Association des villes et communes du Cameroun réagisse ce d’autant plus qu’il est difficile de comprendre que, des élus qui ont des comptes à rendre aux populations soit toujours en train de se faire mener à la barbe par des fonctionnaires qui n’ont pour seul ambition que de s’enrichir.

Le reportage sur les salaires des fonctionnaires présenté à la Crtv dans son journal télé de jeudi dernier est suffisamment illustratif de cette situation où on se demande comment ceux-ci font pour s’acheter une voiture, quand on voit les parkings des Ministères remplis de grosses cylindrées leur appartenant au regard de leurs modestes revenus. En tout cas, à cette allure, l’émergence n’est pas pour demain. 2013 s’en est allé avec son faible taux de consommation du Bip mais aussi son faible taux d’attribution desdits marchés. Qu’en sera-t-il de 2014 au Minmap? La question reste ouverte ce d’autant plus qu’au niveau du Ministère des Finances et celui de l’Economie, du Plan et de l’Aménagement du territoire, tout a été mis en place pour corriger les écarts constatés: le journal des projets est sortie à temps; le budget est opérationnel; les cartons sont sortis à temps. Seulement, une autre incongruité qui veut que c’est le Minmap qui passe le marché et qui le contrôle n’a pas été corrigé. Les mêmes causes risquent encore de produire les mêmes effets. A moins que…

Évitez surtout de suivre mon regard du côté d’Etoudi.

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