Coupe d’Afrique de foot 2019: Le Cameroun sur la sellette, le Maroc en embuscade

Le Cameroun, qui doit accueillir la Coupe d’Afrique des Nations de football 2019 pourrait être jugé défaillant en raison de retards dans la réalisation d’infrastructures sportives et routières. Il existe néanmoins une objection inavouable pour l’instant.
Celle d’une déflagration dramatique, à la suite d’une «candidature de trop» de Paul Biya.
«Tout va très bien, Madame la marquise»? En quittant le Cameroun, en août dernier, au terme d’une visite d’inspection, les experts de la Confédération africaine de football (CAF) affichaient une certaine satisfaction. Les lacunes relevées, quelques mois plus tôt, au niveau des sites censés accueillir la prochaine CAN (Coupe d’Afrique des Nations de football), étaient en partie comblées. Rien du coup, ne justifiait que les mauvaises langues continuent de spéculer sur une malveillance marocaine qui attendrait le Cameroun au tournant.
Le président de la CAF, Ahmed Ahmed, n’assenait-il pas, pour tordre le cou à ces rumeurs, «la CAN 2019 aura lieu au Cameroun… jusqu’à preuve du contraire»? Le Maroc lui-même, par la voix du président de sa Fédération, Faouzi Lekjaa, n’apportait-il pas son soutien au pays des Lions indomptables, comme preuve ultime de sa bonne foi et loyauté?
Pourtant, quelques semaines plus tard, la «preuve du contraire» demandé par Ahmad Ahmad ne s’avérait pas irréfragable. «Je ne suis pas sûr que le Cameroun soit prêt pour accueillir la compétition. Il y a beaucoup de choses qui sont toujours en attente, et il ne reste plus beaucoup de temps», avoue le président de la CAF dans un entretien avec le site américain Kwese.espn.
L’analyste camerounais Augustin Ateba rendait compte, récemment, des retards et défaillances accusés, au niveau des infrastructures sportives, routières et hospitalières.
Malgré les efforts considérables consentis par les autorités camerounaises, de l’aveu de toutes les parties, des problèmes financiers plombent toujours l’avancement des travaux. De quoi hypothéquer la date de livraison des infrastructures, prévue pour le 26 décembre prochain, soit moins de six mois avant le début de la compétition prévue du 7 au 30 juin 2019. Nonobstant le caractère alarmiste des déclarations de la CAF, Jean-Baptiste Guégan, géopoliticien du sport, estime que le Cameroun a tout de même ses chances. Et pour cause:
«Toute la médiatisation autour des difficultés du Cameroun, c’est aussi une manière pour la CAF de mettre la pression sur le pays hôte. Ce n’est pas sans rappeler ce qui s’est passé lors de la dernière Coupe du Monde, quand les experts de la FIFA ont constaté, à trois mois de la compétition, que le stade de Samara n’était toujours pas prêt. Peu après le point de presse, le Gouvernement russe a fait ce qu’il fallait. Un mois avant la coupe du Monde, tout était bon», souligne pour Sputnik, Jean-Baptiste Guégan, coauteur de «Football Investigation — Les dessous du football en Russie», chez Bréal.
Les premières spéculations sur le «détournement» de la CAN au profit du Maroc remontent au début de l’année 2017.. Des rapports de presse, des analyses d’observateurs, et très souvent, sur foi de fuites au sein du comité exécutif de la CAF… à l’époque, cet organe venait d’acter l’augmentation du nombre d’équipes prenant part à la CAN de 18 à 24. Pas sûr que le Cameroun y fût préparé. On disait le Maroc, déjà, «en embuscade».
Pour Guégan, si le Maroc obtenait effectivement l’organisation de la CAN 2019, ce serait «la preuve de la réussite de sa nouvelle stratégie sportive, consistant à utiliser le sport pour montrer ses capacités à peser dans le jeu international».
Une stratégie déjà mise à l’épreuve lors de l’organisation de la Coupe du monde 2026. Une course qui était perdue d’avance pour de nombreux observateurs, mais dans laquelle le Royaume chérifien s’est tout de même lancé à corps perdu. Faute d’avoir remporté la bataille, c’est un coup de marketing pour la «marque Maroc», qui assoie sa place dans le concert des (rares) nations capables de rivaliser avec l’hydre nord-américaine. Concernant la CAN 2019, et malgré l’absence de toute déclaration officielle corroborative, les Marocains sont bien en train de se positionner.
«Si les Marocains se sont autant positionnés, c’est parce qu’on leur a laissé entrapercevoir que le Cameroun ne puisse pas à 100% remplir ses obligations. La CAF joue une sorte de joker. Si, au dernier moment, elle voit que la CAN ne peut pas se dérouler au Cameroun, elle sortira la carte marocaine et le Maroc sera tout content de le faire. D’autant plus qu’il fait partie des rares pays qui peuvent faire cela dans une sorte d’improvisation, vu qu’il a toute l’infrastructure nécessaire. Dans tous les cas, je pense que ça va se jouer à l’arraché, car le Cameroun a trop à perdre dans le contexte actuel pour se priver de cet événement», estime ce géopoliticien du sport.
«Le contexte actuel», c’est d’abord un rendez-vous électoral d’envergure, la présidentielle du 7 octobre, qui dotera ce grand pays d’Afrique centrale d’un (nouveau) Président pour les sept ans à venir. Théoriquement, le (nouveau) Président aura tout intérêt à accueillir une CAN, pour la première fois depuis 1972. Ce sera, abonde l’analyste français, «un état de grâce prolongé, qui lui permettra de rencontrer ses homologues africains, puisque les grands chefs d’Etat, les plus intéressés par le foot, feront le déplacement. C’est l’occasion de rencontres informelles, d’échanges bilatéraux».
Sauf que pour le cas de la présidentielle camerounaise, peu de suspens plane sur l’identité du gagnant. Au pouvoir depuis 1982, Paul Biya n’est plus à un état de grâce près. Pis, la présidentielle se tient dans un contexte de violences communautaires, d’attaques terroristes et de risque de sécession. Toutes les conditions sont réunies pour une déflagration dramatique à la veille de cette candidature contestée, estimait, il y a quelque temps, le penseur Achille Mbembe, dans une déclaration à Sputnik. De quoi donner à la réflexion d’Ahmed Ahmed, qui craignait que les mauvaises structures et conditions n’affectent «la sécurité des joueurs», des dimensions inavouables.
«La CAF va sécuriser sa principale manifestation sportive et fera ce qu’il faut. Si, toutefois, on se retrouve, deux mois après la Présidentielle, dans une situation d’impasse politique avec un haut risque sécuritaire pour les joueurs et les délégations, la CAF ne prendra aucun risque. Il sera hors de question qu’elle laisse ce qui s’est passé, en 2010, avec l’équipe du Togo se reproduire», prévoit Jean-Baptiste Guégan.
Le 8 janvier 2010, le bus transportant la sélection togolaise est pris sous les feux des mitrailleuses, alors qu’il passait la frontière de l’Angola, où allait débuter la CAN. Bilan: Deux morts, et plusieurs joueurs blessés dans cet attentat revendiqué par des Forces de Libération de l’État du Cabinda-Position militaire. Ces indépendantistes déclaraient viser l’armée angolaise chargée d’escorter les Togolais. Comment ne pas penser aux indépendantistes camerounais?
Le sort du Cameroun pourrait être scellé, le 30 septembre, à l’occasion d’une assemblée générale extraordinaire de la CAF à Sharm El Cheikh, en Égypte. Aucune décision favorable ne serait, pour autant, définitive, si la Présidentielle s’avère mouvementée et que les troubles s’inscrivent dans la durée.
Autant dire que le Cameroun devra choisir entre une carte blanche pour la CAN et un carton rouge à Biya.

sputniknews.com : Safwene Grira

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