Cameroun: Pas de pression sur la justice dans l’affaire Lydienne Eyoum Yen

TCS

Paul Biya a usé de ses prérogatives constitutionnelles, après avoir laissé les juges faire leur travail.
Répondant le 3 juillet 2015 à une question de Pierre Boisselet de Jeune Afrique, relative à ce qui pouvait être fait à la suite de la confirmation de la condamnation de Me Lydienne Eyoum Yen par la Cour suprême, le président Paul Biya avait conclu son propos en ces termes : « Je verrai ce que je pourrai faire si tel est le souhait de l’intéressée. Et si la Constitution me donne les moyens de faire quelque chose, c’est de bon cœur que je le ferai le moment venu ». Afin d’édifier les nombreux journalistes de la presse internationale qui accompagnaient alors le président François Hollande en visite d’Etat au Cameroun sur l’effectivité de la séparation des pouvoirs dans son pays, le président Paul Biya avait souligné que « La justice au Cameroun est totalement indépendante ». Et d’ajouter : « Même s’il arrivait à l’exécutif de vouloir l’influencer, l’exécutif ne réussirait pas. C’est dire que j’ai assisté comme tout le monde à la sortie du verdict concernant cette personne ». L’affaire Lydienne Yen Eyoum ayant été à tort présentée par certains comme une affaire à connotation politique, le président de la République a saisi l’occasion qui lui était offerte pour la restituer dans son cadre. Celui de la lutte contre la corruption, dont il a fait une des priorités de son action à la tête de l’Etat. Et pour montrer qu’il y a bien eu atteinte à la fortune publique, Paul Biya a fait un bref rappel des faits. « L’avocate en question avait été chargée de récupérer une somme de deux milliards de F auprès d’une banque pour la déposer au Trésor. Au lieu de déposer les deux milliards de F, elle n’a déposé qu’un milliard de F et c’est là-dessus que les services l’ont poursuivie. La justice a suivi son cours et la Cour suprême a pris une décision ». Un an après la visite d’Etat de François Hollande au Cameroun, Paul Biya, usant des prérogatives que lui confère la loi fondamentale a, dans un timing dont il est le seul juge, décidé de prendre une décision discrétionnaire. En accordant une remise totale de la peine restant à purger par l’avocate condamnée par le Tribunal criminel spécial à 25 ans de prison en septembre 2014. Ce qui coupe court aux analyses tendancieuses qui s’acharnaient à victimiser une justiciable de droit commun reconnue coupable de détournement de deniers publics. A l’issue d’un procès juste et équitable.

Les explications de Me Jean Blaise Etoua, avocat au barreau du Cameroun: « Les conséquences civiles de la peine ne changent pas »

Quelles sont les implications juridiques du décret de remise de peine totale du président de la République au profit de Me Lydienne Eyoum ?
Je voudrais tout d’abord rappeler que la remise de peine prévue par les dispositions de l’article 6 alinéa 7 de la Constitution camerounaise et celles de l’article 66 du Code pénal, est du ressort de la compétence exclusive et du pouvoir discrétionnaire du président de la République. Elle n’est possible que si la peine exécutée est devenue définitive. Il faut aussi rappeler que ce décret parle essentiellement d’une remise totale de la peine restant à purger, ce qui signifie qu’elle devait encore continuer à la purger. Or, si l’on se base sur la date approximative de son arrestation, courant 2010, on peut aisément imaginer qu’elle avait purgé environ cinq années. C’est le reste de cette peine qui bénéficie de cette remise totale du président de la République. En outre, il faut comprendre que les conséquences civiles de la peine ne changent pas par cette remise de peine. Par exemple, les mentions du casier judiciaire subsistent au même titre que les déchéances, si elles ont été prononcées, ainsi que les conséquences professionnelles de cette décision, si elles ont déjà été prises. C’est la grande différence entre l’amnistie et la remise gracieuse de la peine.

Est-ce que la remise de peine signifie que Me Eyoum n’est plus obligée de rembourser ce que l’Etat lui réclame?
Il faut comprendre que cette grâce présidentielle ne s’applique que sur la peine d’emprisonnement et non sur les autres peines. De même, les condamnations civiles y sont totalement exclues. Mais, on peut se poser la question de savoir quel est le sort de la peine d’emprisonnement née du fait de la conversion du non-paiement des dépens en peine d’emprisonnement. Pour ma part, cette peine d’emprisonnement par conversion n’est pas concernée par la remise de peine. Il faut noter que mon analyse n’a aucun rapport avec le paiement ou non des dépens qui auraient été fixés par la juridiction pénale. Donc, la remise de peine ne s’applique que sur la peine de 25 ans comme le confirme le décret suscité. Il faut aussi rappeler que le projet de révision du Code pénal crée l’infraction de « non-respect des décisions de justice ». Cette infraction vient donc contraindre les personnes condamnées à procéder à une exécution volontaire des condamnations pénales et civiles et permettra ainsi à l’Etat et à ses justiciables bénéficiaires des décisions de justice d’éviter de nouvelles dépenses relatives aux frais d’exécution et aux honoraires d’avocats. On peut donc affirmer que l’exécution d’une décision de justice devient une obligation légale dont l’inexécution est sanctionnée par une condamnation pénale.

Si Me Eyoum ne consent pas à rembourser volontairement, de quel moyen dispose l’Etat pour l’amener à le faire ?
L’Etat du Cameroun est en train d’introduire l’infraction de « non-respect des décisions de justice » pour faire face au refus de payer les condamnations civiles, même issues d’une décision pénale. Il faut comprendre que le recouvrement des condamnations civiles est déjà encadré par le Code de procédure civile et commerciale. Il faut enfin noter que le problème ne se pose pas sur les modalités de paiement de ces condamnations mais sur la volonté de l’Etat de les recouvrer car l’Etat a toujours et à chaque instant les bons moyens pour le faire.

Chronologie
8 janvier 2010 : Arrestation de Me Lydienne Yen Eyoum.
11 janvier 2010 : Mise en détention provisoire à la prison centrale de Yaoundé.
26 septembre 2014 : Condamnation à 25 ans de prison par le Tribunal criminel spécial.
27 septembre 2014 : Introduction d’un pourvoi en cassation à la Cour suprême.
9 juin 2015 : La Cour suprême confirme le verdict du Tribunal criminel spécial.
3 juillet 2015 : Le président Paul Biya, interrogé au cours d’une conférence de presse, évoque la possibilité d’une grâce au cas où la concernée en fait la demande.
5 juillet 2016 : Me Lydienne Yen Eyoum est graciée et libérée.

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